ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


Charles-Robert AGERON, Œuvres complètes, préface G. Meynier, Paris, Éditions Bouchène (Histoire du Maghreb), 2005, 5 vol.

Par Gilbert Meynier - Juin 2006


Si quelqu'un, il y a quelque trente ans, m'avait laissé entendre que je présenterais un jour les œuvres complètes de Charles-Robert Ageron livrées aujourd'hui au public par mon ami Abderrahmane Bouchène, j'en aurais été proprement stupéfait ; voire plus. Et pourtant, j'ai dédicacé mon Histoire intérieure du FLN, parue fin 2002 chez Fayard, à cinq historiens, qui furent pour moi des historiens-phares[1]. Parmi eux, il y avait Charles-Robert Ageron. Ce faisant, je savais fort bien ce que je faisais.

 

De ce dernier j'avais entendu parler pour la première fois il y a juste trente-six ans alors que j'étais jeune enseignant - j'avais vingt-six ans - à la jeune université de Constantine. Il fut, en juin 1979, à l'université de Nice, lors de la soutenance de ma propre thèse d'État dirigée alors par [André Nouschi->90], un censeur exigeant et rigoureux. La soutenance, avec lui, s'était déroulée sur le mode aigre-doux ; lui, ulcéré qu'on pût le critiquer comme historien critique de l'Algérie coloniale, moi persuadé d'avoir raison contre celui que je voyais alors sommairement comme un représentant vergogneux de l'histoire coloniale, fût il libéral et généreux d'inspiration. Il y eut notamment une passe d'armes sur le chiffre des victimes de la répression de l'insurrection de l'Aurès en 1916-1917 que j'avais dénombrées en termes de déficit démographique d'après les données des recensements officiels. Lui me représenta que les chiffres ainsi obtenus ne pouvaient être ceux des victimes directes d'une répression qui avait pourtant nécessité l'envoi dans le Sud constantinois de plus de deux divisions et marqué durablement la mémoire résistante de l'Aurès : ce ne fut pas un hasard si les premiers combats d'envergure de la guerre franco-algérienne de 1954-1962 se déroulèrent en terrain aurésien.

 

J'avais, onze ans auparavant, depuis Constantine, demandé par lettre à Charles-Robert Ageron d'être mon directeur de thèse. Fut-ce la carence des services postaux ? Fut-ce le refus ou la réticence d'un maître sans doute souvent sollicité et peut-être peu désireux de patronner un petit gauchiste fumeux ? Toujours est-il que je n'eus jamais de réponse et que je m'inscrivis avec un autre maître, [André Nouschi->90], historien que je voyais alors dans la nébuleuse communiste, mais qui, dans sa thèse, Enquête sur le niveau de vie des populations rurales constantinoises de la conquête à 1919. Essai d'histoire économique et sociale[2], se plaçait entre autres sous les auspices des Annales et du structuralisme de Lévi-Strauss, dont il citait les Tristes Tropiques ; c'était un événement pour une thèse d'histoire novatrice, qui était, par ailleurs, aussi, un classique. Même si Nouschi s'orienta ultérieurement hors d'Algérie et centra surtout ses recherches sur l'histoire du pétrole et des intérêts pétroliers, je n'eus jamais à regretter ce choix, eût-il été à l'origine, un peu fortuitement, un choix par défaut.

 

J'en avais gardé à l'égard de Charles-Robert Ageron un ressentiment impulsif, étayé par la certitude conjoncturelle que les débats des suites de mai 1968 pouvaient nourrir. À l'époque, j'étais de sympathie et de mouvance instinctives libertaires, dans la détestation des sphères réactionnaires, et aussi de ceux que je voyais non sans simplisme comme leurs collatéraux marxistes-léninistes. De tout cela, je l'espère le simplisme en moins, je n'ai en soi rien renié. À l'encontre de ces sympathies, mais en connivence alors non exprimée avec le néopositivisme droit dans ses bottes de Charles-Robert Ageron, je voyais certes en ce dernier un vrai historien - crédible, honnête, fiable -, mais aussi un auteur frileux et engoncé dans ce que je dénommais alors in petto le libéralisme colonial. J'étais - je suis toujours - athée. Et Ageron me paraissait être un chrétien de gauche tout juste vergogneux devant les excès du colonialisme. Je voyais aussi en lui sommairement un positiviste étroit et borné dont la vulgate dans le vent de l'après 1968 m'avait incliné à le regarder avec une sympathie non dénuée de méfiance.

 

Dois-je ajouter que, dûment instruit par de bons gauchistes lyonnais, et étant moi-même Lyonnais, je savais qu'Ageron provenait lui aussi de la capitale des Gaules, mais du VIe arrondissement. Ce qui signifiait que pour moi, fils d'instituteurs originaire du populaire VIIIe1NBSP.arrondissement (le quartier des États-Unis), je ne pouvais voir en lui qu'un affreux bourgeois des Brotteaux. En vérité, il était rien moins que bourgeois. Certes il relevait d'une lyonnitude plus anciennement enracinée que la mienne, d'extraction récente, provenant à la génération antérieure du Haut Forez d'un côté et des confins franco-italiens de l'ancienne république des Escartons de l'autre côté. Même si les origines du patronyme Ageron - qui abonde dans le sud de l'Isère et le nord de la Drôme - renvoient probablement aux Terres Froides, à Chambaran et/ou à ce qu'on dénomme aujourd'hui la « Drôme des collines », il était, lui, un vrai Lyonnais. Cela n'enlève rien au fait que le nom d'Ageron provient de l'ager latin : ager, c'est le champ qu'on cultive.

 

Charles-Robert Ageron - Robert pour ses proches - est issu d'une famille de petits patrons d'atelier. Son père dirigeait une modeste entreprise de mécanique qui incluait, outre le père/patron, un contremaître, quelques ouvriers, et la mère qui, en plus des tâches ménagères, œuvrait de son côté au devenir de l'affaire familiale. Le lieu ? Certes le VIe arrondissement, mais son extrême sud-est, rue Notre-Dame, c'est à dire pratiquement le cours Lafayette, qui fait frontière entre le VIe et le IIIe arrondissements, et jouxte Villeurbanne, la Villette et la Part-Dieu ; c'est-à-dire aux antipodes des lieux huppés des Brotteaux - le cours Vitton et le boulevard des Belges...

 

Mai 1968 me surprit - non témoin et sympathisant lointain - à Oran. Je voyais alors, imprudemment et faussement, Charles-Robert Ageron comme la butte témoin hors du temps d'une histoire abolie. Et je me réjouissais d'avoir comme directeur de travaux cet André Nouschi dont l'historien idéologue officiel du FLN Ahmed Tawfiq al-Madanî avait dit que son œuvre était pour le peuple algérien comme l'eau qui s'offre au caravanier auprès la traversée du désert. Mais à l'époque, j'étais encore quelque peu dans la sacralisation du FLN, même si la découverte du système des nouveaux maîtres de l'Algérie commençait à m'ébranler ; je n'avais au surplus pas encore lu Tawfiq al-Madanî, le Lavisse algérien, et j'étais naïvement porté à avaliser tout ce que la production algérienne officielle émettait, fût-ce sans beaucoup mentionner un authentique historien, éloigné de toutes les histoires officielles de tout poil - celui que je présente aujourd'hui.

 

On l'a compris, rien ne prédisposait vraiment Charles-Robert Ageron à devenir cet historien incontournable de la colonisation française - et particulièrement de l'Algérie coloniale - qu'il est devenu. Dans son ascendance, on a dit que son père était un petit patron ordinaire, tel qu'on en trouvait alors beaucoup dans le grand Lyon, et tel qu'il y en subsiste encore quelques uns maintenant. Il avait bien une grand-mère institutrice. Mais son père regretta toujours qu'aucun de ses garçons n'ait voulu reprendre l'affaire familiale. Robert était né en novembre 1923. Il avait deux frères et il était l'aîné. Le deuxième frère disparut tôt, jeune enfant. Le troisième, le cadet chéri de son aîné, devint polytechnicien et il parvint à une situation professionnelle qu'une telle formation commande. Robert, lui, fit ses études primaires aux classes primaires du lycée du Parc, à deux pas du Parc de la Tête d'Or et tout près du cœur des Brotteaux. Il poursuivit dans le même établissement ses études secondaires, avant d'accéder aux classes préparatoires du lycée. Ce lycée, je le connus aussi, et en partie avec les mêmes professeurs, quelque vingt ans plus tard, alors que j'étais, pour mon compte, issu du vieux lycée Ampère, dans la Presqu'île.

 

Charles-Robert Ageron est bachelier en 1941 à dix-huit ans - l'âge normal. Il s'inscrit ensuite à la faculté des lettres de Lyon où l'un de ses enseignants fut Henri-Irénée Marrou ; il admira profondément en lui le professeur et le résistant. On sait le rôle que ce grand historien, auquel on doit notamment une magistrale histoire de l'éducation dans l'Antiquité, qui éclaire encore aujourd'hui beaucoup sur le Maghreb, joua peu après dans la dénonciation de la torture institutionnalisée par le colonialisme français. Ce fut entre autres grâce à Marrou qu'Ageron put échapper au STO pour lequel la Milice le recherchait chez ses parents. Dans le même sens, il fut aussi redevable à Louis Faucon, son professeur de lettres du lycée du Parc, qui fut au cabinet du ministère Léon Blum en 1946-1947. Faucon l'assista et l'aida, après une interruption, à revenir en classes préparatoire. En effet, pendant quelques mois, Ageron avait dû interrompre ses études, et, même, travailler un temps dans une fabrique de peignes pour obtenir un certificat d'ouvrier lui permettant d'échapper au STO. Ce fut, toujours appuyé par Louis Faucon, qu'il put être réintégré en khâgne et reprendre ses études d'histoire-géographie à la faculté des lettres de Lyon.

 

À la même époque, Charles-Robert Ageron devint l'un des proches d'André Mandouze. Ce latiniste, chrétien de gauche hors normes, était alors assistant de latin à l'université de Lyon, deux lustres avant qu'il joue le rôle que les amis de l'Algérie lui connaissent dans la préhistoire, puis l'histoire de la guerre de 1954-1962, et quatre lustres avant la parution, en 1961, chez Maspéro, de sa Révolution algérienne par les textes. Ageron renoua avec lui ultérieurement, de 1947 à 1957, lorsqu'il fut enseignant à Alger. Avec Marrou, notre Lyonnais prépara et passa son Diplôme d'études supérieures - c'était alors le nom de la maîtrise -, dont le mémoire principal consista en une étude épigraphique destinée à établir la frontière entre parlers grecs et latins dans l'Empire romain. Une telle étude, notons le en passant, manque cruellement à l'historien pour préciser la démarcation des parlers latins, puniques et berbères dans la Numidie pré-arabe de l'époque d'Augustin de Thagaste. Ageron réalisa son mémoire secondaire (le DES en requérait deux, l'un principal, l'autre secondaire) avec André Fugier, ancien Saint Cyrien et mutilé de la guerre de 1914-1918, qui fut encore, en 1962-1965, un de mes quatre professeurs d'histoire moderne et contemporaine, en compagnie de Richard Gascon, André Latreille et Pierre Léon - tous bien connus de lui.

 

De cette époque de la guerre de 1939-1945, date pour l'essentiel la constitution de sa panoplie d'amis et d'hommes de référence. Ageron admire Henri-Irénée Marrou, et aussi André Mandouze, sans compter peu après le résistant et chrétien Edmond Michelet, qui fut ultérieurement garde des sceaux sous De Gaulle, aux premiers pas de la Ve République. Ageron garda le contact avec son ex-directeur de recherche de DES jusqu'à la fin de sa vie. Ce dernier habitait depuis 1945 les Murs Blancs, à Chatenay-Malabry, où il vivait dans une vaste maison communautaire dont il était l'un des habitants. S'y réunissait une sorte de phalanstère d'amis sous la houlette de la revue Esprit et de Madame veuve Emmanuel Mounier. On y rencontrait aussi le psychologue Paul Fraisse, Albert Béguin, qui succéda à Esprit à Mounier, les Domenach, Paul Ricœur, ainsi que Jean Baboulène, qui était aussi l'un des colocataires, et qui fut rédacteur en chef de Témoignage chrétien dans les années 1950. Ce fut dans les années 1960 que notre historien de l'Algérie y fut assez souvent invité le dimanche.

 

On voit, à considérer ce parcours, que Charles-Robert Ageron fut constitué par des valeurs de gauche, et aussi chrétiennes, sans que, pour autant, il ait jamais longtemps milité dans un parti ou été le fervent d'une pratique régulière. Il fut un bref moment proche du Parti Socialiste Autonome (PSA) en raison des positions de ce parti sur la question algérienne qui rompaient avec le naufrage colonialiste de la SFIO : sous la houlette nominale d'Édouard Depreux, mais avec aussi des personnalités comme André Philip, le PSA entendit maintenir un cap résolument disjoint des positions alambiquées et colonialistes du national-mollétisme. En un sens, et pour ce que le général De Gaulle représenta un temps dans la solution du tragique conflit algéro-français, on peut dire que Charles-Robert Ageron fut un gaulliste, mais sans que cette option ait jamais eu pour conséquence une affiliation partisane délibérée. Il fut donc un gaulliste anticolonial, comme avaient été en leur temps gaullistes résistants les Français antivichystes des années 1940-1945.

 

Mobilisé à l'été 1944, Charles-Robert Ageron accomplit normalement un an de service militaire. Après sa démobilisation, survenue en Algérie, il s'installa à Paris où il prépara l'agrégation d'histoire tout en exerçant des fonctions au lycée Buffon. H. I. Marrou l'avait en effet aidé à y être recruté comme professeur adjoint. Il y donna des cours, et plus largement s'y occupa de jeunes qui avaient eu à souffrir de la guerre : il passa ainsi plusieurs mois à remonter autant que faire se pouvait le moral d'enfants juifs rescapés. Plus tard, dans son quotidien comme dans ses travaux, Ageron fut de même du côté des traumatisés. Il y gagna ultérieurement cette réputation non usurpée - quoique bien réductrice - d'historien indigénophile, engeance contre laquelle ne peuvent que se mobiliser le vieux colonialisme pétrifié et ses chantres révisionnistes de la nostalgérie française.

 

Comme tous les gens de sa génération - et de quelques autres à sa suite -, il fut de ceux qui ne craignirent pas d'affronter le concours d'agrégation pour faire œuvre de pédagogue, et en même temps de chercheur dans la discipline qu'il choisit dans les années qui suivirent. Reçu à l'agrégation d'histoire en 1947, il fut, comme tous les célibataires de sa promotion, nommé en Algérie, au lycée Gautier d'Alger[3].

 

Ce fut donc le hasard d'une nomination au lycée d'Alger qui fut à l'origine de la vocation d'historien de l'Algérie de Charles-Robert Ageron. Mais ce fut par choix qu'il resta à Alger, enseignant de lycée et chargé de cours à l'Institut d'Études Politiques d'Alger. Pourtant, ce choix algérien ne s'était pas d'emblée imposé à lui : André Fugier l'avait engagé à préparer une thèse d'État sur l'histoire sociale de l'armée française au début de la IIIe République pour pouvoir postuler une très substantielle bourse d'études auprès de la fondation Thiers. Finalement, malgré une esquisse de recherche tournant autour de la « nation armée », et Monsieur Thiers, s'étant sans doute alors remémoré quelques déboires conjugaux, ayant précisé par testament que sa fondation ne serait accessible qu'aux seuls agrégés hommes célibataires, Ageron choisit le mariage. Il se vit donc interdire les avantages de la fondation Thiers. Il représenta alors au président de cette dernière qu'« une femme qui sera ma moitié compte plus pour moi qu'une Fondation qui ne serait qu'un tiers ». Pour le coup, il renonça aussi à la nation armée, laquelle, au demeurant, fut le sujet de thèse de Raoul Girardet, sous la direction de Pierre Renouvin.

Charles-Robert Ageron resta au total dix ans à Alger, soit du lendemain de la conversion tactique essentielle du Parti du Peuple Algérien (PPA), sous la houlette de Messali Hadj, en Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD) suivant une voie légaliste et électorale. L'aboutissement fut ce climax de lutte nationale du FLN, sous la direction de Ramdane Abbane, que fut le mot d'ordre de grève des huit jours lancé par le CCE fin 1956[4]. Il fut sanctionné par cette implacable répression d'Alger de 1957 que les historiens normés continuent de dénommer la « bataille d'Alger. »

 

À Alger, Ageron approfondit sa découverte de la réalité coloniale. Il ne se fit pas remarquer pour autant par un gauchisme impénitent : il ne fut jamais ni porteur de valises, ni porte-parole du FLN, et il n'en fut pas même un porte-voix. Il était plutôt à ranger dans le groupe qu'on dénommait alors des « libéraux », dont il fut l'un des cofondateurs. L'historien algérien Mahfoud Kaddache a dit avec pudeur combien une telle attitude parlait aux jeunes intellectuels algériens dont il était. On retrouve Ageron dans leur journal L'Espoir, où il publia de nombreux articles, et qui finit par être interdit pendant la grande répression d'Alger de 1957. Il fut aussi actif dans toute une campagne d'information de la presse française pour laquelle il tenta de redresser les rumeurs dominantes et de les dévier du cours de la normalité colonialiste ordinaire d'alors. Bref, depuis le déclenchement de 1954, le destin de l'Algérie ne cessa de le retenir, à la pensée comme au cœur. Ce fut à Alger que Charles-Robert Ageron commença, avec des archives qui n'étaient alors que partiellement accessibles, à engager les recherches historiques sur l'Algérie qui allaient faire de lui son historien-clé.

 

En 1957, il revint à Paris. Il exerça à Sceaux, au lycée Lakanal. Par la suite, il obtint d'être détaché au CNRS comme chargé de recherches. Ce fut au cours de ce détachement, en 1962, qu'il obtint un poste d'assistant d'histoire contemporaine à la Sorbonne. Il ne se rendit donc pas aux raisons de ses parents qui le poussaient à revenir à Lyon : il préféra rester à Paris, le lieu des archives et de la Bibliothèque Nationale Richelieu, qui n'était pas encore l'actuelle Bibliothèque Nationale de France, ultra-moderne autant que gigantesque, des bords de Seine : il descendait donc au métro Bourse ou au métro Palais Royal alors que ses jeunes collègues aujourd'hui descendent à la station Quai de la Gare ou à la station Bibliothèque... À la Nationale, ou bien aux Archives Nationales, ses amis et collègues avaient toutes les chances de le rencontrer tant il y fut longtemps assidu.

 

Pendant toutes ces années 1960, il travailla dur, sous la direction de Charles-André Julien - c'était alors le seul directeur de recherche imaginable - à la préparation de sa thèse d'État ; cela au prix du renoncement que connaissent tous les enseignants-chercheurs qui se sont coltinés à pareille épreuve. Expérience qu'Ageron lui-même a assimilée à un « labeur de bénédictin ».

 

Maître-assistant en 1964, il soutint quatre ans plus tard son doctorat ès-lettres, lequel incluait alors la soutenance de deux thèses, l'une dite principale, l'autre dite secondaire. La thèse principale avait pour titre Les Algériens musulmans et la France 1871-1919. Ce monument, qui est resté l'un des grands livres de référence sur l'histoire de l'Algérie, fut publié la même année aux Presses Universitaires de France, dans une typographie serrée insoucieuse des yeux fragiles[5]. De ce livre, Mahfoud Kaddache a écrit : « Le titre est déjà un programme, il s'agit des Algériens, nom auquel les autochtones aspirent, et non d'indigènes dont ils ne retenaient plus que la connotation péjorative. Le sujet, c'est la condition et le sort de ces Algériens face aux lois et aux mesures prises par l'administration coloniale. Et c'est là le vrai problème : quelles sont les conséquences des mesures politiques, économiques, sociales et culturelles prises par la colonisation à l'égard des Algériens et quelles sont les réactions et les aspirations de ces derniers. C'est là l'objectif d'une histoire scientifique des peuples ayant subi la colonisation[6]. »

 

La thèse secondaire de Charles-Robert Ageron, qui est restée inédite à ce jour, et qui, grâce aux éditions Bouchène, va maintenant être à la disposition du public, était consacrée au Gouvernement du général Berthezène à Alger (1831). Ce texte de pas moins de 385 pages relatait notamment le court mandat (dix mois) du général baron Pierre Berthezène, nommé en février 1831 à la tête de la « division d'occupation » qui prenait nominalement la place de l'« Armée d'Afrique. » Berthezène est entre autres connu, sur le plan militaire, pour avoir dirigé en juin 1831 une expédition sur Medea - qu'il dut d'ailleurs abandonner peu après. Dans sa thèse, Ageron met en valeur la position d'un général réputé à juste titre pour sa longanimité, contre la ligne du célèbre maréchal Clauzel, et, plus localement, à l'encontre des directives du lieutenant-général Boyer, commandant du territoire militaire d'Oran. Ce dernier se signala par ses directives répressives impitoyables : « Le sabre, voilà la loi qu'il faut leur imposer. »

 

Trois quarts de siècle avant un autre colonisateur précautionneux, le général Lyautey, Berthezène se signala par ses scrupules et par ses préventions contre la colonisation débridée : il tenait pour vrai que « ce qu'on appelle colonisation se ramène à des opérations de spéculateurs » et que les colons (civils) se recrutaient surtout parmi « les rebuts des rives de la Méditerranée. » Dans le cours encore balbutiant qui conduisait à la création d'un îlot capitaliste en Afrique du Nord sous la houlette de la France-nation, Berthezène fit preuve en effet d'une certaine probité. S'il ne fut pas un saint, il ne fut pas non plus cet incompétent que ses contempteurs d'alors stigmatisèrent. En tout cas, son intégrité contrasta avec le colonial enthousiaste sans vergogne que fut le maréchal Clauzel, lequel fut plus préoccupé des fins conquérantes que des moyens guerriers brutaux : l'omelette de la « civilisation » ne se battait pas sans broyer des œufs indigènes : au début de la conquête du Maroc, dans les années précédant la première guerre mondiale, c'est ainsi qu'un commentateur colonial jugea telle bavure militaire sanglante française dont des centaines de civils marocains furent les victimes.

 

Berthezène, lui, ne représenta-t-il pas que « les vexations et les dénis de justice » avaient en Algérie été moins graves sous le despotique joug turc que sous la tutelle éclairée française ? Il fut limogé en décembre 1831. Ce fut dès lors le règne sans émoi des colonisateurs violents - en l'occurrence du général, nommé commandant en chef, Savary duc de Rovigo. Ce dernier fut à maints égards un digne précurseur du maréchal Bugeaud -le « Bichou » qui servit d'ogre/épouvantail, dans les contes familiaux, à plusieurs générations d'Algériens : celui qui dirigea en 1948-1949 l'Organisation spéciale (OS) paramilitaire du MTLD, et fut l'un des chefs historiques du FLN, Hocine Aït Ahmed, par exemple, y fait allusion dans ses mémoires[7].

 

Au total, la thèse sur Berthezène représente un modèle d'analyse historique classique. Son objectivité se situe aux antipodes de la thèse colonialophile ad probandum qu'avait sur le même Berthezène soutenue l'universitaire colonial oranais Victor Demontès quarante et un ans auparavant. Le travail d'Ageron est fondé sur les documents de Berthezène issus d'archives familiales, le fonds Faramond, sur lesquels le général s'était appuyé pour rédiger le récit de son séjour et de son gouvernement à Alger[8]. Ce qui a frappé l'historien, c'est la rigoureuse probité avec laquelle Berthezène a composé ses mémoires. Il vante en lui « le style dépouillé jusqu'à l'aridité », « le rapport minutieux d'un administrateur et d'un militaire ennemi de toute rhétorique inutile ». On ne sera pas grand clerc à deviner que ce Berthezène put peut-être bien figurer une manière de modèle pour l'historien. Ageron insiste sur la largeur de vue compréhensive de sa « politique indigène » : ce n'était pas en effet un moindre paradoxe, pour la manière coloniale dominante, de voir « un gouverneur indigénophile médiocrement convaincu de la nécessité d'une colonisation de peuplement ».

 

Les thèses de doctorat de Charles-Robert Ageron constituèrent une ample introduction à toute l'œuvre - non moins ample - qui allait suivre. Les thèmes : l'Algérie, surtout, mais aussi plus largement la colonisation et les décolonisations. On ne décrira pas dans le détail tous les travaux recensés par le curriculum vitæ qu'il a bien voulu me fournir : outre les thèses de doctorat, ce curriculum vitæ ne recense pas moins de sept livres signés par lui, d'un livre postfacé et annoté par lui (Les Mémoires de Messali Hadj[9]), et d'un livre dont il fut avec trois autres collègues - Jacques Thobie, Catherine Coquery-Vidrovitch et moi-même -, le coauteur, et en vérité même l'authentique coordinateur (le tome 2 de L'Histoire de la France coloniale[10]), et on ne comptera pas les ouvrages qu'il a annotés ou présentés, comme la petite mais dense Algérie des Français[11]. Sans compter - qui pourrait les oublier ? - les 123 articles recensés, qui sont tous des études solides et fouillées, dont certaines tiennent pratiquement lieu de petits livres de synthèse sur tel ou tel sujet (le drame des harkis, la guerre des frontières de l'ALN, mai 1945, ou encore l'étude de sondages faites sur l'opinion des Français pendant la guerre de 1954-1962[12]...) et restent sans appel en attendant que d'autres historiens prennent les sujets concernés à bras le corps.

 

Cela fut dans quelques cas réalisé -p ar exemple, pour le drame de mai 1945 par l'historien algérien Boucif Mekhaled[13] - ; parfois des sujets tentants attendent encore leur historien : ainsi le héros des deux forts textes qu'Ageron a consacrés à Si M'hammed Ben Rahal, dont l'un en allemand[14] ; même si l'historien soucieux de peaufinage est en droit d'espérer, dans la lignée de la belle thèse de [Gilbert Grandguillaume->56] sur Nedroma[15], une grande étude historique sur Si M'hammed Ben Rahal : ce grand notable hadariyy, et dignitaire de confrérie religieuse de Nedroma, était à la fois parfaitement arabe et parfaitement francophone, en même temps musulman croyant et fort ouvert aux vents frais de l'extérieur...

 

Et encore, sur la masse des articles d'Ageron officiellement recensés, l'un ou l'autre non mentionné fera assurément défaut, parce que peut-être inachevé ou inédit. Il a entre autres rédigé deux notables livres de synthèse, deux histoires de l'Algérie contemporaine : l'une, petite par la taille - un Que sais-je ?[16] - dans lequel tout débutant sait qu'il ira d'emblée à l'essentiel, mais aussi où l'historien plus chevronné sait pouvoir trouver la trace factuelle qui lui manque ; et le gros ouvrage, publié aux PUF en 1979[17], qui fait suite au premier tome dû à Charles-André Julien. Il s'agit là d'une somme dont peu de peuples, dans l'histoire des pays colonisés, ont l'équivalent en clarté et en richesse informative en forme de bilan critique. Dans ce livre, qui pousse jusqu'à 1954, toute la période postérieure à la guerre de 1914-1918 traite d'un moment de l'Histoire où le politique prend la relève des insurrections armées défaites, du XIXenbsp;siècle à l'insurrection de l'Aurès de 1916-1917. Le poids du politique y est forcément plus grand que dans sa thèse principale, dont le terminus ad quem est 1919, la palette humaine peut-être plus diversifiée, voire telles appréciations antérieures peaufinées ou nuancées. Prenant partiellement la relève des Algériens musulmans et la France 1871-1919, l'Histoire de l'Algérie contemporaine 1871-1954 pousse le lecteur jusqu'à cette croisée des chemins où la décision hésite à se prendre ; mais où elle finit par se prendre, pour le meilleur et pour le pire, dans le recours aux armes de 1954, qui sonne le glas d'un colonialisme et donne forme aux modes de pouvoir dès lors établis sur l'Algérie jusqu'à nos jours.

 

À partir de l'Algérie, qui reste durablement l'épicentre de l'œuvre de Charles-Robert Ageron, on a dit que ses recherches ont évolué et se sont diversifiées : si l'approfondissement sur l'Algérie fut continu, comme en témoigne par exemple l'étude sur l'Algérie algérienne de Napoléon III à De Gaulle[18], des thèmes plus larges ont été aussi abordés dans ses livres, qu'ils concernent l'étude des Politiques coloniales au Maghreb[19], la Décolonisation française[20], ou qu'ils traitent en synthèse de l'Anticolonialisme en France de 1871 à 1914[21], ou encore de la phase terminale de cette Histoire de la France coloniale qu'on a déjà citée. Ceci dit, dans une aussi brève présentation, le présentateur hésite à se lancer en quelques lignes dans le compte rendu d'œuvres d'ampleur sans encourir le risque d'en dessécher la matière. Ce qu'on peut modestement tenter, c'est de dégager quelques lignes de faîte de la bibliographie d'Ageron, en soulignant tout ce que la communauté des historiens lui doit, indiscutablement, mais aussi en ne fuyant pas, fût-ce dans l'admiration, et, toujours dans le respect, les interrogations et le débat.

 

Si des gens de ma génération et de ma formation se reconnaissent peu ou prou dans Charles-Robert Ageron, quelles que soient les divergences originelles et les orientations formellement différentes, c'est peut-être qu'ils retrouvent dans l'homme et dans le savant une sympathie pour les humbles et les mal-aimés de l'Histoire. Certes, il y eut, j'y ai fait allusion, parmi ses collègues et contemporains, des personnalités plus démonstratives, voire plus tonitruantes. Que cela plaise ou non, il n'y en eut pas qui aient autant contribué à secouer la bonne conscience coloniale et la conscience citoyenne endormie des Français, à commencer par les historiens, et donc à remettre l'Histoire sur des rails moins trafiqués qu'ils ne l'étaient à l'époque du colonial sûr de lui et dominateur. En cela, il contribua aussi à sa place à révéler les colonisés à eux-mêmes. Quitte à générer pour plus tard des tabous et des blocages jusque chez des anticolonialistes avérés, qui hésitaient à se mettre au devoir critique dû à tous les objets d'histoire ; y compris ceux concernant les mouvements indépendantistes dont ils avaient épousé cette revendication libertaire que l'on a uniment, et parfois légèrement, dénommée « nationale. »

 

Parlons plus crûment, et plus régionalement. Serait-ce parce qu'il est comme moi Lyonnais que j'aime bien Ageron ? Sans doute la lyonnitude, et plus largement la provincialité (j'ai été, enseignant à l'université de Nancy II, pendant vingt-neuf ans un Lorrain d'adoption) ne sont pas en soi des garanties contre les modes, les statuts d'historiens de cour ou les langues de bois. Et pourtant je sens en Charles-Robert Ageron une personnalité si diamétralement opposée à cette France de BHL où l'intronisation de rastignacs médiatiques par le PAP (paysage audiovisuel parisien) tient trop souvent lieu de couverture scientifique, que je dois être quelque part en sympathie essentielle avec son itinéraire d'artisan - laborieux diront de méchantes langues. Faut-il le préciser, « laborieux » est sous ma plume au premier chef un compliment. Et s'il est vrai que nombre de freluquets médiatiques ne dureront sans doute, dans la renommée historienne, guère plus que ce que durent les roses, je gage que les livres et les articles d'Ageron resteront longtemps les références qu'ils sont déjà depuis leur parution. Ce n'est que dans l'illusion des renommées immédiates, dans le virtuel de l'instant, que la mauvaise monnaie chasse la bonne.

 

Les étudiants d'Ageron se souviennent de lui, parfois irrités, parfois conquis, mais en général respectueux. Car il les a marqués. Son œuvre a été réalisée, il faut le signaler, alors qu'il était enseignant, et qu'il a assuré avec continuité enseignement universitaire et tâches administratives corrélatives. Il fut pendant plus d'une décennie - celle des années 1970 - professeur à l'université François Rabelais de Tours, l'une de ces petites universités où l'enseignant doit jouer, par la force des choses, la partition de l'homme-orchestre : ici, pas de nuées d'assistants ou de maîtres de conférences pour assurer la préparation des étudiants au CAPES et à l'agrégation en lieu et place de mandarins, de droite ou de gauche. L'activité principale d'un professeur y reste au jour le jour, pour parler moderne, l'enseignement basique, sur des sujets la plupart du temps fort éloignés de ses thèmes de recherche. Et Dieu sait qu'un cours de licence, a fortiori un cours de CAPES/agrégation, accapare temps et énergie.

 

Et l'université de Paris XII-Créteil, où Charles-Robert Ageron fut élu en 1981, et où il enseigna jusqu'à sa retraite, n'était pas absolument comparable aux vénérables établissements du Quartier Latin. Et j'ai en mémoire tels autres cénacles parisiens périphériques où des collègues dans le vent décomptaient scrupuleusement dans leur horaire officiel d'enseignement des séminaires de deux heures où ils invitaient et faisaient plancher de chers collègues, en se réservant toutefois le privilège de les introduire pendant cinq minutes, et d'animer ensuite le débat qui suivait leurs prestations, de la préparation desquelles ils ne s'étaient évidemment pas chargés. À Tours, toutefois, Ageron participa aux activités de l'Institut de la Presse et de l'Opinion, dans les cahiers duquel il montra que la décolonisation de l'Algérie avait suivi en parallèle l'évolution des sondages d'opinion des Français au sujet du destin politique de l'Algérie. On pouvait en tirer la conclusion que, pour une fois, De Gaulle n'avait pas été forcément ce prophète que l'on a tant célébré.

 

En recherche historique, l'artisan méticuleux qu'est Ageron a toujours privilégié les documents écrits ; et il a pratiquement rejeté tous les autres. D'où son attachement aux archives, ces « greniers à faits » naguère encore gentiment raillés par Lucien Febvre. Il fut un temps où il était de bon ton de moquer les tenants d'un néo-positivisme ; néo-positivisme dans lequel Charles-Robert Ageron n'a pas à rougir d'être rangé. On sait en effet que la méthode positiviste - laquelle s'est longtemps confondue avec la méthode historique - s'est épanouie depuis Seignobos avec l'Affaire Dreyfus. L'enjeu était alors de rigoureusement établir les faits pour faire éclater une vérité d'urgence de l'histoire qui se fait. Le premier livre d'histoire de mon maître [Pierre Vidal-Naquet->110], en 1958, « fut consacré à l'établissement d'un fait : la mort de Maurice Audin[22] entre les mains de parachutistes français. Il portait sur la quatrième de couverture un texte de Jaurès, extrait de Preuves, livre publié en 1898, et consacré à l'Affaire Dreyfus, exemple mémorable d'une histoire immédiate »[23].

 

Charles-Robert Ageron fit-il substantiellement autre chose ? Le souci dominant, chez lui, fut toujours la production scientifiquement vérifiée de faits. En histoire coloniale, et particulièrement en histoire algérienne, où fleurirent si longtemps tant d'idéologues coloniaux, et où sévissent aujourd'hui tant d'idéologues nationaux, les faits s'imposent à l'historien : la plupart du temps, ces faits n'ont guère été scientifiquement relatés. On est donc bien obligé de repartir du degré 1 de l'Histoire, celui du positivisme, quitte à passer ensuite à d'autres degrés pour comprendre et éclairer, pour peu qu'on aime l' « histoire-problèmes » qui fut chère à Marc Bloch. Le néo-positivisme d'Ageron fut à la fois un choix délibéré et une urgence méthodologique adéquate aux objets d'histoire qu'il traitait. Et, sur ce terrain, il ne craint la censure de personne ; pas plus des piliers de l'histoire officielle algérienne comme Belkacem Saadallah ou feu Amar Hellal[24], que des nostalgiques de l'Algérie française comme le général Maurice Faivre ou son épigone non dit Georges-Marc Benhamou.

 

Aux premiers, Ageron assène tranquillement, par exemple, au risque d'être taxé de révisionnisme, que la guerre d'Algérie a fait entre 234 000 et 290 000 morts algériens, avec une probabilité tournant autour de 250 000[25]. Déjà, au lendemain du recensement algérien de 1966, un homme de la stature d'André Prenant, pourtant résolument engagé aux côtés du FLN, avait montré que le bilan des victimes était inférieur à un million[26]. Or, on sait que, suite à une conférence de presse de Belkacem Krim en 1960, le chiffre officiel du FLN fut fixé à un million ; puis, deux ans plus tard, après une déclaration de Ben Bella, à un million et demi de chuhadâ-, chiffre qui est désormais demeuré publiquement incontestable, qui fait officiellement autorité et qu'il ne fait pas bon de révoquer publiquement en doute. De telles exagérations, qui furent par exemple relevées en privé par le propre ministre de l'Information du GPRA, M'hamed Yazid[27], correspondaient bien sûr au contexte d'une guerre atroce, grosse de traumatismes si graves qu'ils autorisèrent alors la parole désespérée extravagante, et qu'ils rejouent gravement encore aujourd'hui dans le champ de l'histoire immédiate de l'Algérie.

 

Ceci dit, même une intense sympathie pour le combat du peuple algérien n'autorise pas l'historien à avaliser toutes les faussetés produites, même sincèrement, en son nom. C'est même un devoir de déontologie que de se départir de la vergogne : en effet, des historiens comme Ageron n'ont jamais été pris dans le syndrome anti-colonial culpabilisant qui bloque l'esprit critique. Par respect même pour les Algériens, l'historien de l'Algérie a pour impératif de se débarrasser de tous les tabous complaisants qui ne font que prolonger le paternalisme colonial, ainsi que l'a bien fait remarquer Gilbert Grandguillaume[28]. Charles-Robert Ageron, lui, dit ce qu'il pense en conscience être le vrai après étude scientifique, et que cela plaise ou non ; de même qu'il a été l'un des premiers à oser analyser la guerre de libération algérienne dans les termes qui furent spontanément, et si souvent, ceux des mujâhidûn : les termes du jihâd, d'où procède d'ailleurs le substantif mujâhid. De même, il scrute avec sa passion méthodique coutumière les ravages de la « bleuite » et des purges sanglantes consécutives qui décimèrent si douloureusement les rangs de l'ALN à partir de 1958[29].

 

Et la méthode suivie pour établir le bilan des victimes algériennes de la guerre de 1954-1962 fut fondée sur les documents démographiques, notamment sur l'étude comparée des recensements de 1954 et de 1966. C'est là une méthode qui se rapproche singulièrement de celle qui a été mise en œuvre pour rendre compte du chiffres des civils européens massacrés par les Nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale dans des livres aussi fondamentaux que celui de Raul Hilberg, La Destruction des juifs en Europe[30], ou encore dans ce modèle d'analyse historique qui apprécie méticuleusement, pays par pays, l'ampleur de ces massacres, le grand livre dirigé par Wolfgang Benz, Der Dimension des Völkersmords[31], que les Français ne connaissent généralement pas parce qu'il n'est pas écrit en français, ou, à la rigueur, en anglais. On ne voit pas pourquoi ce qui serait scientifiquement bon d'un côté de la Méditerranée se révélerait mauvais concernant l'autre côté. Cela n'empêche pas la guerre de 1954-1962 d'avoir été atroce. Mais elle n'eut pas pour cela besoin d'inflation victimisante : la fourchette et la probabilité données par Ageron, sans souci des modes et des institutions idéologiques de pouvoir, représente, au prorata de la population de l'Algérie, à peu près le nombre des morts de l'horrible guerre d'Espagne. C'est beaucoup et c'est assez.

 

Aux seconds, il assène sans répit possible les conclusions de toute son œuvre sur la spoliation coloniale, sur la discrimination, sur les dénis de justice structurels, sur ces occasions manquées qui furent à vrai dire manquées avant même que d'avoir été tentées, bref sur un système colonial qui stigmatisait, infériorisait et aliénait un peuple rendu étranger dans son propre pays. Il analyse aussi sans concessions, mais sans hargne, les camps de regroupement de la guerre de 1954-1962[32] qui déracinèrent plus de deux millions de personnes, et furent si gros de traumatismes de masse et de déchirements du tissu social. Pour cela, les nostalgiques de l'Algérie française ont contre lui une dent, plus peut-être que contre tels anticolonialistes formellement plus engagés, mais souvent cantonnés dans la posture de la pure fonction tribunicienne. Car, avec Ageron, on n'est pas dans la polémique fumeuse. On est dans la confrontation avec des faits établis avec le scrupule scientifique et la passion raisonnée du chercheur. Et ses contradicteurs, conduits sur le front des faits, ne tiennent guère le choc tant ils sont bien incapables de les reconstruire avec une égale méthode qui satisfasse leurs fantasmes.

Sans doute, l'air du temps de la révision médiatique ne joue pas forcément en faveur des Ageron : l'incroyable Un Mensonge français. Retours sur la guerre d'Algérie[33], signé par le journaliste Georges-Marc Benhamou, a eu droit, lors de sa sortie à l'automne 2003, à un battage médiatique éhonté, dont le clou fut l'émission télévisée Mots croisés, produite par le service public et animée par Arlette Chabot. Ce livre, charge véhémente contre la politique algérienne du président De Gaulle, tend par exemple, aussi, à avaliser la thèse du général Maurice Faivre et de quelques autres, dont notablement le colonel Henri Le Mire[34] et aussi - quo non descendat - une sociologue, respectable fille de Raymond Aron[35], par ailleurs auteur de travaux reconnus sur l'oralité en histoire, selon laquelle il y aurait eu plusieurs dizaines de milliers de harkis massacrés en Algérie en 1962-1963. On est allé, dans les évaluations fantaisistes, jusqu'à parler de 150 000 massacrés, ce qui signifie, si l'on retient ce chiffre délirant, que lesdits harkis auraient à peu près tous été tués. Avec Benhamou, on a déjà divisé par plus de deux : on en est à 70 000, toujours sans aucune démonstration et sans aucune preuve... tous chiffres dont Ageron a prouvé qu'ils étaient impossibles[36].

 

Par honnêteté, quand il ne peut donner de chiffres, Ageron s'abstient d'en livrer quand ils ne peuvent être scientifiquement établis - comme c'est le cas par ailleurs pour mai 1945. Sur ce sujet, l'historien algérien Boucif Mekhaled[37], dans son bilan sur mai 1945, n'en donne pas non plus : il passe en revue les diverses évaluations chiffrées en les soumettant avec une simple probité à la critique historique. Il reste que personne ne connaît Boucif Mekhaled et que personne ne cite Ageron alors que tout le monde a un temps cité Benhamou. Il semble heureusement que la fièvre occasionnée par la sortie de son livre se soit salutairement calmée. Au vrai, les idéologues de nostalgie coloniale veulent bien qu'il y ait eu relativement peu de morts algériens dans la guerre de 1954-1962 parce que cela dédouane la France coloniale. Mais, parmi ces morts, ils veulent beaucoup de harkis parce que cela charge le FLN - et de Gaulle, accusé, non sans quelque raison pour le coup, de les avoir abandonnés. Dans quelque sens que ce soit, de toute façon, l'inflation victimisante est une offense à l'Histoire. Et tant pis pour ceux qui se sentent offensés par une histoire scientifique rigoureuse que tels ressentiments et délires ne pourront jamais très longtemps contrer au fond.

 

Faudra-t-il ajouter que les deux camps opposés - celui de l'histoire algérienne officielle bureaucratisée et celui du révisionnisme de nostalgérie française, mieux connu en France - se retrouvent finalement dans le même camp méthodologique frelaté ? Les uns et les autres martèlent qu'il faut attendre que tous les cartons d'archives de l'armée française aient été dépouillés pour cerner la vérité. Or, la plupart de ces cartons ont été déjà dépouillés (j'en ai pour ma part consulté plus de 600) ; et, à supposer qu'un dépouillement exhaustif ait été effectué, il ne pourra à l'évidence apporter que des précisions factuelles locales puisque les données comptables alimentant la macro-histoire, la seule où l'on puisse établir des chiffres sérieux, se trouvent dans des recensements scientifiques de la population de l'Algérie, et que ces recensements sont archi-connus. Ageron, lui, ne s'y est pas trompé.

 

Au demeurant, plusieurs institutions ne s'y sont pas non plus trompées, qui ont voulu sa collaboration. À compter de 1976, il a participé aux travaux du Comité d'Études de la Deuxième Guerre mondiale, devenu depuis l'Institut d'histoire du temps présent (IHTP). Il a aussi été membre élu de l'Académie des Sciences d'outre-mer et il a présidé pendant dix ans la Société française d'histoire d'outre-mer (SFHOM), société savante fondée en 1913 sous le nom daté de Société de l'histoire des colonies françaises, et qui publie la Revue française d'histoire d'outre-mer dont il est le président d'honneur. Il a aussi collaboré à des institutions qui n'honoraient pas forcément la seule histoire positiviste, notamment l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Qu'il se soit agi là d'un hommage du vice à la vertu ou d'une concession de la vertu au vice, il y a accepté un poste de chargé de cours pour mieux assurer son travail de direction d'étudiants et de formation de jeunes chercheurs en histoire de l'Algérie ; et il a aussi animé le GERM (Groupe d'études et de recherches maghrébines) où ont planché un jour ou l'autre tous les gens de ma génération.

 

C'est que Charles-Robert Ageron ne s'était pas coupé des gens qui n'épousaient pas en tout ses manières de voir. Certes il pouvait ferrailler durement avec eux, j'en sais quelque chose. Mais il ne les condamnait pas irrémédiablement. Il se situait certes davantage du côté des lecteurs de la Revue historique, creuset du positivisme historique dès le dernier quart du XIXe siècle, que du côté des Annales, revue qui se situa, dès les années 1930 du XXe siècle, dans la lignée d'un positivisme se voulant moins naïf, suite aux impulsions d'histoire économique et sociale de Marc Bloch et de Lucien Febvre, avant le grand historien de la Méditerranée que fut peu après Fernand Braudel.

 

Toujours, Ageron insista sur l'importance des textes écrits. Il voulut toujours travailler sur archives, et non sur des impressions et des émotions qui lui paraissaient leur être antagoniques. Mais, à ceux qui étaient tentés de s'engager dans d'autres directions, il disait en substance : « Bon courage aux jeunes ! » Jamais il ne fut un chef d'école. Il fut plutôt un pôle de référence autour duquel s'agglutinèrent de plus ou moins près tous les gens qui s'engageaient sur les chemins de la recherche historique qu'il avait avant eux commencé à défricher.

 

Certes, il ne fut pas toujours un souple. Il eut par exemple, sur les communistes d'Algérie, un regard que je considérais comme entaché de quelque parti pris, comme l'étaient à mon avis les travaux de l'historien israélien Emmanuel Sivan[38], pourtant par la suite auteur d'un tonique essai sur les mythes politiques arabes[39] : les communistes d'Algérie auraient été surtout des petits blancs imbus de leurs privilèges et étroitement liés aux normes coloniales. Certes, existait bien ce que René Gallissot a dénommé un « socialisme colonial » [40], mais il y eut aussi, dans les années 1920 et 1930, dans la presse du parti communiste en Algérie, des dénonciations enflammées et sincères des excès coloniaux. Avec Ahmed Koulakssis, j'ai tâché de montrer, au milieu des années 1980, que les jeunes communistes d'Algérie, au lendemain de la première guerre, provenaient pour une notable partie de l'anarcho-syndicalisme et de la sensibilité libertaire[41]. Ce fut notamment le cas de nombre de militants oranais d'origine espagnole, mais aussi de Victor Spielmann, fils d'un optant alsacien, petit colon ruiné au début du XXe siècle. Cette ample figure, qui fut à l'entre-deux guerres le défenseur passionné du droit des « indigènes », attend toujours son historien... Il fut, jusqu'à l'élimination politique, par le Gouvernement général de l'Algérie, de l'émir Khaled à l'été 1923, le porte-plume attitré de l'émir. Baptisé à la musulmane, au lendemain de sa mort en 1940, dans le Chihâb, par le chaykh Ibn Bâdis, peu avant le décès du même Ibn Bâdis, « l'ange gardien du peuple algérien », il n'était pas resté longtemps au parti communiste. André Julien (Charles-André Julien), le professeur d'histoire socialiste et de culture originellement protestante, qui était alors professeur à Oran, y était resté moins longtemps encore.

 

Mais l'un comme l'autre avaient été attachés au seul mouvement qui apprît alors aux humains d'Algérie le militantisme à la fois social et anti-colonial ; fût-ce dans l'ambivalence du « socialisme colonial. » Des différends existant entre nous à ce propos, nous eûmes, Ageron et moi, il y a de cela près de vingt ans, autour d'un plat du jour et, à la lyonnaise, d'un pot de Côtes du Rhône, dans un petit restaurant de la rue Rameau, à deux pas de la Bibliothèque Nationale Richelieu d'où nous nous étions échappés pour la pause du déjeuner, un ample échange de vues. Il n'en sortit certes pas un accord parfait, mais une acceptation raisonnée mutuelle de nos positions respectives.

 

À propos d'un autre différend qui portait sur l'émir Khaled[42] (l'émir avait-il ou non été le premier nationaliste algérien ?), Charles-Robert Ageron ne craignit pas, après avoir pris connaissance de la lettre que le petit-fils d'Abd El Kader avait adressée en 1919 au président Wilson pour lui demander la mise en tutelle de l'Algérie par la SDN - lettre qui fut publiée en 1979 par Claude Paillat[43] - de reconnaître, dans un beau mouvement d'honnêteté intellectuelle, qu'il s'était trompé[44]. Il donna ainsi indirectement raison à Mahfoud Kaddache, qui avait contre lui affirmé le nationalisme de Khaled[45]. Au vrai, et comme Abdelkader Djeghloul le signala[46], Khaled n'avait pas été le premier nationaliste algérien au sens où nationaliste équivaut à combattant pour la libération des Algériens : il y en avait, de ce point de vue, eu d'autres avant lui. Mais il ne fut pas non plus un béni-oui-oui attaché à l'idée d'assimilation à la cité française. Il fut simplement un homme de son temps, résolu, mais prêt aux compromis, c'est-à-dire engagé dans la politique, qui revendiqua surtout une représentation des Algériens au Parlement français, même s'il anticipa peu ou prou tous les thèmes de ses successeurs en politique. Il fut plutôt un initiateur de cette lutte politique qui déboucha, in fine, devant les blocages coloniaux du politique, sur la solution violente, et sur la sacralisation de la violence, qui marquèrent durablement la génération algérienne de l'indépendance. Djeghloul écrivit raidement que, en formulant à treize ans d'écart deux jugements opposés, Ageron n'avait en somme eu raison dans les deux cas qu'à 50 %. Au-delà de la polémique, en tout cas, sa probité était inscrite au cœur de sa méthode et de son système de pensée : un document nouveau pouvait faire changer d'avis un historien, toujours inébranlablement fidèle à ses sources à condition qu'elle fussent fiables.

 

 Charles-Robert Ageron, comprenait le mouvement indépendantiste algérien : il en avait plus que tout autre peut-être analysé les origines. Il saisissait peut-être moins amplement tous ces humains déchirés, tous ces Européens qui étaient des passerelles entre Algériens et Français, à commencer par Victor Spielmann. Il était sans doute plus spontanément en sympathie avec ces « Jeunes Algériens », ces « évolués » dont il a si bien marqué les contours[47]. Belkacem Bentami, Omar Bouderba, Mustapha et Abdennour Tamzali ; sans compter bien sûr Mohammed Salah Bendjelloul et Ferhat Abbas... Peut-être bien que cette mince élite en apparence francisés renvoyait chez lui à un non advenu, à la séduction pour l'impossible : un système colonial compatissant et généreux, une école de qualité offerte à la masse algérienne au lieu de lui être si mesquinement dispensée, c'est-à-dire tout ce que ce système ne fut pas et ne pouvait pas être.

 

À l'inverse, Ageron était méfiant vis-à-vis du Parti communiste, même lorsqu'il s'algérianisa, au moment du Front populaire, moins superficiellement qu'on l'a pu dire, au congrès de Villeurbanne. Ceci dit, le gros des militants continua à provenir des pieds noirs et des juifs d'Algérie. Il était aussi assez allergique à un marxisme en quoi il voyait une idéologie de la mobilisation et de la rupture marquée du sceau du totalitarisme. De mon côté, j'étais moi aussi très anticommuniste, même si c'était pour des raisons différentes : mon père, qui me parlait souvent de la guerre d'Espagne et des Brigades internationales, m'avait tout jeune enfant appris à chérir le dirigeant anarchiste Buenaventura Durutti et à vomir le communiste André Marty, qu'il ne dénommait jamais autrement que « le boucher d'Albacete ». Mais le marxisme-léninisme de combat, officiellement si hostile à la plus ancienne tradition du mouvement ouvrier français, ne put jamais pour moi, lorsque j'arrivai à l'âge d'homme, se confondre avec le marxisme en tant que théorie du mouvement des sociétés dans l'Histoire.

 

Or, à Ageron, il ne fallait pas beaucoup parler de théorie. En un sens, on l'a dit, il n'avait pas tort : la crudité du rapport colonial requérait peut-être bien d'abord le recours dans l'urgence au positivisme fondateur. Mais, même une fois décantée la période d'affrontements de la guerre algéro-française de 1954-1962, il resta fidèle aux mêmes logiques. Et pourtant, peut-on durablement se priver d'avoir recours à des modes d'analyse qui tentent de les dépasser ? L'établissement des faits suffit-il ? Et peut-on se passer de problématisation ? Au vrai, un historien, pour moi, ne peut être seulement un « historien marxiste », par exemple. Ou alors, s'il l'est, c'est en ayant recours aussi à tous les grands modèles d'explication et d'analyse, qu'il s'agisse de Max Weber, qu'il s'agisse de Toynbee, qu'il s'agisse de Freud puis de Lacan, de Michel Foucault, qu'il s'agisse du systémisme ou du structuralisme... Car, si l'historien doit en professionnel tout critiquer, la pluralité des approches n'est-elle pas une garantie qu'il saura voir large et éviter d'analyser dans le stéréotype ?

 

Même si Charles-Robert Ageron laissa d'autres que lui s'y engager, lui n'était pas prêt à s'aventurer dans des maquis inconnus ou incertains. Ainsi, resta-t-il durablement rétif à l'histoire orale : il ne croyait pas retrouver, dans les documents oraux, cette solidité intangible qu'il croyait découvrir dans les écrits. Il est vrai que, avant la superbe thèse de Philippe Joutard sur la mémoire des Camisards, avant l'équipe des ethno-textes d'Aix en Provence..., la France fut assez longtemps au diapason des réticences et des méfiances d'Ageron. Pour ne parler que de ce que je connais quelque peu, il n'y eut pas d'équivalent français, dans les années 1960 à 1980, de l'histoire orale tendrement militante des historiens piémontais - Daniele Jalla, Luisa Passerini, Nuto Revelli... Et pourtant, qui pourrait se passer maintenant de leurs livres fondateurs - de ceux de Gianni Bosio, aussi - pour aborder l'histoire de l'Italie du Nord contemporaine ? Personnellement, pour mon Algérie révélée, comme plus tard pour l'Histoire intérieure du FLN, j'ai eu recours à des témoignages oraux : je considère que ce type de documents est à analyser et à critiquer à peu près de la même manière que les sources écrites.

 

La tâche me semble déjà plus malaisée pour l'analyse de l'image, et, comme Ageron, je ne m'y suis guère aventuré ; plus parce que, à notre génération, notre formation universitaire ne nous y avait guère préparés que parce que la chose serait en soi plus ardue. Mais je sais tout le travail de méthode et de théorisation de mes amis historiens et sémioticiens [Pierre Sorlin->105], Marie-Claire Ropars et Michèle Lagny pour m'abstenir sur ce terrain de rivaliser avec eux, et même avec leur aîné Marc Ferro. Car on ne s'improvise pas historien en se contentant des émotions et des correspondances que suscitent les images avec d'autres représentations par ailleurs construites. Simplement, en ces matières, Ageron ne dit mot parce que, sans doute, il ne s'y sentait guère de compétences. Et il ne critiqua en rien son ancien étudiant de thèse Benjamin Stora d'avoir maintenant à son actif, outre ses travaux historiques antérieures « classiques » bien connue - il avait passé avec en 1991 avec Ageron sa thèse d'État sur l'immigration algérienne - une œuvre aussi fondée sur l'image, qui renouvelle, en histoire, partiellement les visions d'antan.

 

On ne trouvera guère non plus dans l'œuvre d'Ageron de références à la littérature, a fortiori à la musique, sans doute pour les mêmes raisons que celles qui lui firent regarder avec méfiance les documents oraux ou les images. Cela ne veut pas dire que, au-delà de l'Histoire, il ne s'y intéressa pas ni qu'il n'eut pas de rapports chaleureux avec plusieurs écrivains. Et ce fut bien sur ce terrain que des hommes se sont retrouvés, qui venaient pourtant des deux côtés de la barrière coloniale : les animateurs du groupe d'Alger, les poètes de la collection « Fontaine » chez l'éditeur Charlot... et aussi les Gabriel Audisio, Mahieddine Bachtarzi, Albert Camus, Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, Max-Pol Fouchet, Bachir Hadj Ali, Yacine Kateb, Mouloud Mammeri, Malek Ouary, Jean Pélégri, Emmanuel Roblès, Jules Roy, Jean Sénac..., et d'autres encore dont plusieurs furent broyés par ce système colonial dont ils étaient, à la marge, l'antithèse et le désaveu ; quand tels d'entre eux ne furent pas à leur tour broyés dans l'Algérie indépendante : le poète Jean Sénac, qui fut assassiné dans des conditions encore mal élucidées eu août 1973 à Alger, était outré d'avoir eu à demander une nationalité algérienne qui était attribuée d'office à tout musulman parce que musulman, eût-il été le pire des collaborateurs de l'autorité coloniale : le système de pouvoir autoritaire algérien normé succédant au système colonial structurellement injuste...

 

 Si l'on en croit Jean-Paul Sartre, le colonialisme fut un « système ». Charles-Robert Ageron, lui, le pensait peut-être mais il ne l'a jamais analysé comme tel. Il a décrit les mécanismes, jusqu'aux plus compliqués, de la discrimination et de l'exclusion coloniales, au point qu'il les a mis en lumière pour tous ceux qui l'ont lu et le liront. On peut penser par ailleurs, me semble-t-il à bon droit, que la colonisation a été l'expression historique de la création outre-Méditerranée d'un îlot capitaliste, fût-ce sous la rhétorique ambivalente française qui se targuait outrageusement du « devoir de civilisation » au moment où un Rudyard Kipling célébrait de son côté le « White man's burden ». Chez Ageron, on trouve des descriptions de faits bruts parlants, secs et souvent rudes, dûment décortiqués pour qu'ils deviennent lumineux pour le lecteur. Mais c'est au lecteur de bâtir sa synthèse et ses conclusions.

 

Dans l'ensemble de son œuvre, Ageron met surtout le projecteur sur la responsabilité des « colons » ; c'est à dire de ce peuplement européen d'immigration que les historiens anglo-saxons dénomment une société créole, et à laquelle sont venus s'agglutiner les juifs d'Algérie. Lorsque, au terme de son service militaire, il fut démobilisé, ce fut en Algérie où il venait pour la première fois. Dans un tramway, à Alger, encore en uniforme, il s'avisa de céder sa place assise à une dame algérienne. Médusés, ses compagnons de voyage pieds noirs se chargèrent de faire comprendre au jeune intempestif qu'il s'était trompé de planète galante, et même de planète tout court. Il est vrai que c'est au niveau des contacts entre communautés que la crudité du rapport colonial s'impose avec le plus d'ordinaire brutalité. Je n'ai jamais vécu en Algérie coloniale - j'étais trop jeune pour cela. Je n'ai vécu que deux étés et trois ans en Algérie indépendante alors qu'Ageron a passé dix ans à Alger avant l'indépendance. Mais, lors d'un séjour de deux semaines en Palestine/Israël fin 1993, je crois avoir éprouvé ce que sont, et une société créole, et un rapport colonial.

 

 Il reste que, dans le cas israélien, la responsabilité de la politique brutale suicidaire de Sharon est largement cautionnée et dominée par la protection quasi inconditionnelle dont il bénéficie de la part du système américain au nom d'une probable connivence inconsciente entre les peuples élus. Et, de même, dans l'Algérie des Français, le maintien d'une situation insupportable et inadmissible fut sur la longue durée largement tolérée, et même supervisée, par une république française qui devait bien quelque part partager quelques valeurs avec ces créoles qui l'incarnaient en site algérien pour céder avec tant de constance à la bourgeoisie coloniale qui avait pour fond de commerce leurs angoisses de petits blancs. Si Israël est à la fois une nation, il est aussi une colonie. La nation n'y est née et ne s'y est construite que sous la forme coloniale. Si Israël, donc, est à la fois nation et colonie, les pieds noirs, eux, ne furent certes jamais une nation ; mais la république française fut bel et bien coloniale. Ce fut bien la politique des blocages coloniaux qui détermina finalement le sort de l'Algérie. On mentionnera simplement ici pour mémoire que les pouvoirs spéciaux accordés au socialiste Guy Mollet le 12 mars 1956 le furent par une chambre de gauche, députés communistes compris. Et ce fut muni de ce viatique que Mollet entraîna la société française dans la sanglante guerre de reconquête coloniale de l'Algérie. Et rappellera-t-on aussi que ce fut contre l'avis des deux députés socialistes français d'Algérie, Régis et Dubois, élus aux élections du printemps 1936, que le gouvernement Blum céda aux pressions coloniales : il renonça, même à présenter le projet Viollette, qu'il avait pourtant élaboré, aux suffrages de la Chambre[48].

 

Il me semble que le système colonial fut bien un système, à la fois économique, politiquement et idéologiquement nationaliste, et social. Les deux sociétés, en Algérie, n'entretenaient globalement entre elles que des rapports qui étaient marqués par le sceau de la discrimination et du racisme ; même si le racisme s'exprimait plus crûment à Alger, il était aussi le fait de nombre de Français de France, et il était plus largement le fait du système lui-même. Et jamais ce système ne se confondit en tout avec ses incarnations humaines occasionnelles en site colonial.

 

Les pieds noirs et les juifs d'Algérie n'étaient que la partie la plus visible de l'iceberg colonial. Peuple de transplantés, dominateurs minoritaires, les pieds noirs incarnaient, on l'a dit, assez exactement un peuple créole. Ils étaient aussi le cheval de Troie de l'impérialisme colonial français en Algérie, et comme tels, ils étaient conjoncturellement des intermédiaires pour des projets conçus en partie en dehors d'eux, qui tenaient à la formation de l'îlot capitaliste colonial d'Algérie. La bourgeoisie coloniale était partie prenante du processus de décision du système colonial, et elle était la classe dirigeante de ce peuple créole au devenir précaire. Comme tel, vivant en ghetto entouré d'une société globalement hostile, il était naturellement porteur de la discrimination et du racisme du système colonial.

 

 Mais il faut se garder de généraliser : dans l'entre-deux guerres, un Victor Spielmann fut un militant exemplaire du droit des « indigène ». Deux décennies plus tard, les figures d'Henri Alleg, de Maurice Audin, de Claudine et Pierre Chaulet, d'Éliane Gautron, de Fernand Iveton, de Maurice Laban, des frères Larribère, de Henri Maillot, du docteur Massebœuf, de Pierre Popie, d'Auguste Thuveny, de Lisette Vincent et de beaucoup d'autres, sont là pour témoigner que, dans l'histoire de l'Algérie, le peuple européen et juif d'Algérie ne se confondit pas absolument en tout avec le colonialisme.

 

 À l'inverse, si l'énorme majorité des Algériens se reconnut dans le combat du FLN, il y eut aussi des Algériens pour refuser de donner au FLN quitus sur tout : qu'on pense à un Yacine Kateb, si marqué par la douleur de mai 1945, mais qui fut toujours un électron libre critique à l'égard du FLN et du système de pouvoir dont il accoucha. Et il y eut d'autres Algériens qui ne tenaient pas forcément à voir disparaître la loi française, et cela pas nécessairement parce qu'ils étaient d'indignes patriotes, des éléments corrompus ou des traîtres : à la différence de l'époque ottomane, le droit de propriété sur la terre était fermement reconnu. Machine à déposséder pour la masse, le système colonial tendait naturellement à clientéliser les gens à qui il profitait. Les propriétaires avaient des titres de propriété intangibles dont ils redoutaient qu'ils soient menacés. Ce qui n'empêcha pas tel propriétaire terrien du Constantinois - le père de mon ami Harbi - de résister à sa manière en donnant chaque soir à son fils des cours de Koran alors que le jeune Mohammed passait ses journées à l'école française.

 

 Au-delà de ces considérations, il reste que Kaddache a raison lorsqu'il parle d'Ageron comme le successeur de Charles-André Julien, comme espèrent l'être tous ceux qui ont œuvré dans les sillons tracés par le maître, c'est-à-dire qui ont voulu redonner leur place et leur parole aux peuples dominées. Mais Ageron fut un continuateur à sa manière : moins illustre dans le paysage de conscience officielle de la gauche française - Ageron ne siégea à aucun Haut Comité méditerranéen -, moins disert et moins charmeur aussi sans doute. Mais peut-être bien, en terrain algérien en tout cas, meilleur connaisseur du terrain. On sait par exemple quels efforts il consentit pour s'initier à l'arabe algérien alors que, il y a un demi-siècle, tout le monde en France trouvait normal que l'on parle d'Algérie et qu'on en ignore la langue -chose que, depuis longtemps, nombre de chercheurs anglo-saxons ou italiens n'arrivent pas à comprendre. Même si Ageron ne fut pas, loin de là, arabisant, à l'égal par exemple d'un Gilbert Grandguillaume, il avait aussi une réelle ouverture en direction des langues et des cultures de son voisinage européen : en particulier, il possède remarquablement l'allemand. On a dit que l'une de ses études sur M'hammed Ben Rahal fut publiée en allemand, Ben Rahal dont on a déjà dit l'ouverture et le rayonnement. Et, pour la postérité, on ne résiste pas à faire savoir que, dans cette même vieille famille Ben Rahal de Nedroma, il y eut, au Maroc, pendant la guerre de 1954-1962, une des rares militantes féministes du FLN - Djemila Rahal ; et qu'une nièce de cette dernière, Malika Rahal, est aujourd'hui agrégée d'histoire, qu'elle enseigne dans la région parisienne et qu'elle a entrepris de faire œuvre de recherche sur sa patrie d'origine, et cela sans omettre de se lancer avec résolution dans l'étude de l'arabe.

 

Redonnons une dernière fois la parole à Kaddache, écrivant encore sur le chef-d'œuvre d'Ageron, Les Algériens Musulmans et la France. Il y voit « un tableau complet de la société musulmane algérienne face aux colons et à l'administration. Ageron souligne les aspects administratifs de la domination coloniale, décortique tous les instruments utilisés par le pouvoir, insiste sur l'élimination des cadres traditionnels autochtones, leur domestication, celle de la justice musulmane, le code de l'indigénat et les tribunaux répressifs, la dégradation de l'enseignement de la langue arabe, les tentatives de christianisation... Analyse qui révèle un tableau très noir de la situation des Musulmans malgré quelques tentatives d'amélioration de la gestion administrative et des projets de réformes. La question économique occupe une grande place dans l'ouvrage, le mécanisme d'appropriation - je dirai du vol - légal de la terre algérienne et ses conséquences sur la clochardisation des fellahs sont minutieusement étudiés. L'objectivité et l'impartialité dont a fait preuve Ageron sont exemplaires, il n'y a dans cette ouvrage ni critique dogmatique ni flagornerie. L'exposé des faits, la description des instruments utilisés par le pouvoir colonial, l'analyse froide des situations et de leurs évolutions rendent l'ouvrage véridique[49] ». Et cette appréciation, on pourrait la retenir pour caractériser toute l'œuvre de Charles-Robert Ageron.

 

 Certes tels esprits chagrins, et d'autres qu'eux, en toute bonne foi, ne manqueront pas de se démarquer de lui. Il reste qu'Ageron n'est pas remplaçable, que cela plaise ou non. Il s'impose comme ces monuments numides que l'on aperçoit de loin lorsque, venant de Constantine et Aïn M'lila, on chemine vers le Sud sur les hautes plaines constantinoises. Ageron : le Medracen de l'histoire de l'Algérie contemporaine et des sociétés colonisées. Il a voulu - et il y a réussi dans une vaste mesure - à être ce qu'il appelle lui-même « un historien au sens le plus large possible ». De cette aspiration, on laissera André Miquel dire qu'elle fut en effet satisfaite et aboutie : rendant compte, en 1970, lui aussi, de la thèse d'Ageron dans la Revue d'Histoire moderne et contemporaine, ce grand savant - et poète en arabe - écrivait : « Ageron fait œuvre non seulement d'historien, mais de philosophe de l'histoire. À lire son livre, on est saisi de l'évidence d'un certain déterminisme des sociétés humaines : ce qui les rend prisonnières des systèmes qu'elles secrètent ou subissent. »

 

Certes, cette histoire continuera un jour à s'écrire sans Ageron. Mais elle continuera à s'écrire, aussi, grâce à lui.


[1] Angelo Del Boca, le grand journaliste piémontais de la Gazzetta del Popolo, qui était dans l'Aurès en 1954-1955, et qui est la référence maîtresse pour qui veut aborder l'histoire du colonialisme italien ; Hartmut Elsenhans, l'historien allemand auteur d'une magistrale Frankreichs Algerienkrieg 1954-1962. Entkolonisierungsversuch einer kapitalistischen Metropole. Zum Zusammenbruch der Kolonialreiche (Munich, Carl Hansen Verlag, 1974, 908 p.), enfin traduite et publiée en français par Publisud en 1999 sous le titre La Guerre d'Algérie 1954-1962. La transition d'une France à une autre. Le passage de la IVe à la Ve République (1072 p.) ; Mohammed Harbi, le militant, l'historien et l'ami à qui je dois tant, et qui est aussi profondément un Algérien du terroir qu'il est authentiquement un citoyen du monde et un internationaliste. Harbi, on ne le présente plus au public, ni algérien, ni français, pas plus qu'on ne présente, aussi, mon ancien professeur de Lyon Pierre Vidal-Naquet, qui réussit en 1964-1965 le tour de force de me faire aimer l'histoire grecque, et à qui je dédiai aussi mon livre ; et... Charles-Robert Ageron.

[2] Paris, PUF, 1961, 767 p.

[3] Émile-Félix Gautier fut l'historien colonial de renom qui forgea, non sans outrances, le concept historique colonial de « siècles obscurs » du Maghreb : le passé de l'Afrique du Nord, vu par de tels idéologues, était considéré sommairement comme un purgatoire transitoire entre les siècles éclatants de Rome et leurs lointains successeurs éclairés français.

[4] Le CCE (Comité de Coordination et d'Éxécution), dirigé de fait par le plus grand dirigeant proprement politique du FLN, Ramdane Abbane, fut issu de l'historique congrès de la Soummam (août 1956). C'est ce congrès qui établit les institutions fondamentales du FLN : le CNRA (Conseil National de la Résistance Algérienne), le parlement de la résistance, et le CCE, son organe exécutif. Le CCE issu de la Soummam comprenait, outre Abbane, Ben Youssef Ben Khedda, Mohammed Larbi Ben M'hidi, Saad Dahlab et Belkacem Krim.

[5] Au moins, en ce temps, pouvait-on publier in extenso une forte thèse de doctorat, chose qui, onze ans plus tard, était devenue impossible, je l'ai éprouvé à mes dépens en devant réduire de près des deux tiers ma propre thèse originelle pour que les éditions genevoises Droz acceptent en 1981 d'en publier un compendium (L'Algérie révélée. La guerre de 1914-1918 et le premier quart du XXe siècle, préface P. Vidal-Naquet Genève, Droz, 1981, 793 p.). Même cela n'avait pu alors être accepté par aucun éditeur français.

[6] Mahfoud KADDACHE, « En guise de conclusion », La Guerre d'Algérie au miroir des décolonisations françaises, Actes du colloque en l'honneur de Charles-Robert Ageron, Sorbonne, novembre 2000, Paris, Société Française d'Histoire d'Outre-Mer, 2000, p. 680.

[7]Hocine AÏT AHMED, Mémoires d'un combattant. L'esprit d'indépendance 1942-1952, Paris, Sylvie Messinger, 1984.

[8] Dix-huit mois à Alger ou récit des événements qui s'y sont passés depuis le 14 juin 1830... jusqu'à la fin de décembre 1831, Montpellier, Imprimerie Ricard, 1834, 305  p.

[9] Paris, Jean-Claude Lattès, 1982.

[10] 4e, 5e et 6e parties (19839-1990), Paris, Armand Colin, 1990, p. 309-570.

[11] Seuil, Paris (Histoire), 1993.

[12] « L'Opinion française devant la guerre d'Algérie », Revue française d'histoire d'outre-mer, n° 231, 2e trimestre 1976, p. 256-285. Un article sur le même sujet a été publié par les Cahiers de l'Institut d'Histoire de la Presse et de l'Opinion de l'université de Tours.

[13] Voir le livre qui a été tiré de sa thèse de doctorat : Boucif MEKHALED, Chronique d'un massacre : 8 mai 1945, Sétif-Guelma-Kherrata, Paris, Syros/Au nom de la mémoire, 1995, 250 p.

[14] «  Si M'hammed Ben Rahal (1856-1928) oder das Schicksal eines in zwei Kulturkreisen heimischen Algeriers », Zeitschrift für Kulturaustausch, n° 4, 1975, Internationales Kolloquium in Stuttgart ; et « Si M'hammed Ben Rahal », in C.-A. JULIEN (dir.), Les Africains, Paris, Jeune Afrique, 1977, t.  VIII, p. 313-339.

[15] Nedroma. L'évolution d'une medina, Leyde, Brill, 1976, 196 p.

[16] Histoire de l'Algérie contemporaine, Paris, PUF (Que sais-je ?), 1966, 125 p.

[17] Histoire de l'Algérie contemporaine, 2, 1871-1954, 643 p.

[18] Paris, Sinbad, 1980, 264 p.

[19] Paris, PUF (Hier), 1973, 292 p.

[20] Paris, Armand Colin, 1991, 180 p. ; 2e édition, 1994.

[21] Paris, PUF (Dossiers Clio), 1973, 96 p.

[22] [Pierre VIDAL-NAQUET->110], L'Affaire Audin, Paris, Minuit, 1958 ; nouvelle édition augmentée : L'Affaire Audin (1957-1978), Paris, Minuit, 1989.

[23] « L'avant-guerre, la guerre, l'après-guerre », préface P. Vidal-Naquet à Gilbert MEYNIER, op. cit. supra note 5.

[24] J'ai été, dans les années 1980, le directeur de la thèse d'État d'Amar Hellal, inscrite à Nancy II, et soutenue en février 1990 (Amar HELLAL, Les intellectuels arabophones algériens entre l'identité, le modernisme et l'indépendance [1918-1962], thèse dactylographiée, université de Nancy II, 1990, 1051 p.). Je crois donc savoir de quoi je parle.

[25] Charles-Robert AGERON, Matériaux pour l'histoire de notre temps, Bibliothèque de Documentation et d'Information Contemporaine, 1992, 11 p. ; repris dans Enseigner la guerre d'Algérie, ADHE, SFHOM, avec le concours de l'université Paris VII-Saint Denis, 1993.

[26] André PRENANT, « Premières données sur le recensement de la population de l'Algérie (1966) », Bulletin de l'Association des géographes français, n° 357-358, nov.-déc. 1967. Guy Pervillé et feu Xavier Yacono ont de leur côté également travaillé sur le sujet. Les évaluations vont de 200 000 à 500 000 morts.

[27] Voir Gilbert MEYNIER, Histoire intérieure du FLN, Paris, Fayard, 2002, réimpression 2004, p. 288. ; cf. aussi Michel MARTINI, Souvenirs algériens, I, L'Algérie française, s.l., chez l'auteur, 1997, p. 582.

[28] «  Guerre d'Algérie, une question de voile ? », La Quinzaine Littéraire, n° 877, 16-31 mai 2004, p. 19.

[29] « Complots et purges dans l'Armée de libération algérienne (1958-1961) », Vingtième Siècle Revue d'Histoire n° 59, juillet-septembre 1998, p. 15-27.

[30] Paru en français chez Fayard, Paris, 1988.

[31] Munich, Oldenburg Verlag, 1991.

[32] Charles-Robert AGERON, « Une dimension de la guerre d'Algérie : les « regroupements de populations, in J.-C. JAUFFRET et M. VAÏSSE, Militaires et guérilla dans la guerre d'Algérie, Bruxelles, Complexe, p. 327-362, Actes du colloque de Montpellier des 5 et 6 mai 2000 organisé par le Centre d'Études d'histoire de la Défense et l'UMR n° 5609, Société, Idéologies, Défense, du CNRS.

[33] Paris, Robert Laffont, 2003.

[34] Henri LE MIRE, Histoire militaire de la guerre d'Algérie, Paris, Albin Michel, 1982, 408 p.

[35] Dominique Schnapper, préface à Mohand HAMOUMOU, Et ils sont devenus harkis, Paris, Fayard, 1993.

[36]Voir « Le drame des harkis en 1962 », Vingtième siècle Revue d'Histoire, avril 1994 ; et « Les supplétifs algériens dans l'armée française pendant la guerre d'Algérie », art. cité, oct.-déc.  1995, p. 3-20.

[37] Boucif MEKHALED, op. cit. supra, note 13.

[38] Emmanuel SIVAN, Communisme et nationalisme en Algérie, 1920-1962, Paris, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, 1976, 262 p.

[39] Emmanuel SIVAN, Mythes politiques arabes, Paris, Fayard, 1995, 296 p.

[40] René GALLISSOT (dir.), Mouvement ouvrier, communisme et capitalisme dans le monde arabe, in Cahiers du Mouvement social n° 3, Éditions ouvrières, 1978, 292 p.

[41] Ahmed KOULAKSSIS, Gilbert MEYNIER, « Sur le mouvement ouvrier et les communistes d'Algérie au lendemain de la première guerre mondiale », Mouvement social, n° 130, 1985, p. 3-33.

[42] Charles-Robert AGERON, « L'émir Khaled, petit-fils d'Abd El Kader, fut-il le premier nationaliste algérien ? », Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n° 2, 1966. Sur les débats concernant le cas Khaled, cf. Ahmed KOULAKSSIS et Gilbert MEYNIER, L'Émir Khaled, premier za‘îm ? Identité algérienne et colonialisme français, Paris, L'Harmattan, 1987, 379 p.

[43] Dossiers secrets de la France contemporaine, 1, 1919 : les illusions de la gloire, Paris, Robert Laffont, 1979.

[44] «  La Pétition de l'émir Khaled au président Wilson (mai 1919) », suivi de « Réponses à quelques objections », Revue d'Histoire maghrébine, n° 19-20, 1980.

[45] Charles-André JULIEN (dir.), Les Africains, Éditions Jeune Afrique, Paris, 1977, t. 4. De son côté, Belkacem Saadallah avait dénommé sans nuances Khaled « za‘îm ul haraka l wataniyya » (le leader du mouvement nationaliste), Al Haraka l wataniyya l jazâ-riyya, Dâr ul adab, Beyrouth, 1969, p. 342.

[46]« La pétition... », art. cit. supra.

[47] Charles-Robert AGERON, « Le Mouvement “jeune-algérien” », in Études maghrébines. Mélanges offerts à Charles-André Julien, Paris, PUF, 1964, p. 272-243.

[48] Ahmed KOULAKSSIS, Le Parti socialiste et l'Afrique du Nord de Jaurès à Blum, Paris, Armand Colin, 1991.

[49] Mahfoud KADDACHE, « En guise de conclusion », in La Guerre d'Algérie au miroir des décolonisations françaises, op. cit., p. 680-681.