ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


Frank RENKEN , Frankreich im Schatten des Algerienkrieges. Die fünfte Republik und die Erinnerung an den letzten grossen Kolonialkonflitk, V & R Uni Press, Göttingen, 2006, 569 p. (La France dans l’ombre de la guerre d’Algérie. La Ve République et la mémoire du dernier grand conflit colonial).

Par Gilbert Meynier - Novembre 2006

Dans son magistral livre sur la vie politique française et la guerre d’Algérie, le jeune historien allemand Frank Renken rappelle que le silence régna longtemps en France sur la guerre de 1954-1962, cela du fait de tendances idéologiques de fond, de mythes français dominés par la stature « omnipotente » de De Gaulle. Si cette guerre accoucha de la République gaullienne, ce fut un « drame de fondation », en aucun cas un « mythe de fondation ». Est analysée cette « imprononçable » (unausgesprochene) présence du passé qui plombe les relations franco-algériennes, jusque dans les sanglantes années algériennes de la décennie 90, cela dans l’intrication avec les âpres débats franco-français sur le passé colonial. L’auteur évoque le rôle de Mitterrand comme ministre de l’Intérieur en 1954, puis comme ministre de la justice en 1956 ; il rappelle le passé colonial de la SFIO de Guy Mollet, et il montre que les affrontements internes, au parti socialiste, eurent ensuite pour coulisse le dit ou le non-dit de la guerre. Quant au PCF, il lutta, certes, contre la guerre, mais il fut coupé du FLN. Il est vrai que les morts de Charonne l’aidèrent à forger une « autoclassification » (Selbsteinordnung) légitimatrice anticolonialiste ; cela sans compter l’épisode « hautement scabreux » (heikelste) du vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet le 12 mars 1956. Au total, vu la stature de De Gaulle, la « gauche parlementaire » fut impuissante et la droite colonialiste dut manger son chapeau.

Une partie entière du livre est consacrée à la réinsertion des Anciens Combattants dans la vie civile et au combat du contingent pour son affirmation en tant que « troisième génération du feu », jusqu’aux avancées décisives des années 90, notamment sous le ministère Jospin. Renken analyse aussi, sous De Gaulle, la scission de la droite entre modernistes/Jeunes Turcs du nucléaire et tenants irréductibles de l’Algérie française. Ce fut finalement le Front National qui endossa l’héritage de l’OAS. Toujours dans les années 90, médias et travaux d’histoire finirent par briser la loi du silence. Se fait dès lors jour un « moralo-mémorialisme : on passe du vieux tabou à un « nouveau dogme », initié notamment par Benjamin Stora, partisan d’une « mémoire authentique », synthèse mesurée susceptible de réconcilier tout le monde.

Voilà un livre d’histoire pertinent, une réflexion approfondie résultant d’une énorme documentation, aussi tonique pour la guerre coloniale de 1954-1962 que le fut la France de Vichy de Paxton pour Vichy. Laissons à l’auteur le mot de la fin de sa conclusion : « Il n’existe plus de tabou. Pour autant, dans le sens où l’on veut aboutir à une interprétation national-hégémonique, la guerre d’Algérie est demeurée « immémorable » (immemorabel). Cela est-il regrettable ? Seulement dans la mesure où l’on veut limiter le travail de l’historien à la légitimation historique de situations étatiques établies. Rien, cependant, qui puisse plus avant entraver le libre épanouissement du chercheur ».