ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


Gilbert MEYNIER, L’Algérie des origines. De la préhistoire à l’avénement de l’Islam (Tome 1), Editions de la Découverte (Histoire), 2007, 235 p.,19 euros.

Avant-propos de Gilbert Meynier - Décembre 2006

Dans l’Antiquité, il n’y avait pas d’Algérie, a fortiori avant l’Antiquité, parce que les nations et les États modernes n’existaient pas. Pour des raisons qui relèvent, non de l’Histoire, mais des préoccupations de pouvoir s’articulant sur l’idéologie, des terminus a quo ont arbitrairement fixé tels événements censés décisivement donner le branle à l’évolution historique de l’Algérie. Le Front de libération nationale (FLN) et le pouvoir autoritaire à ancrages militaires qui en est issu et qui régit l’Algérie depuis des décennies ont fait du 1er novembre 1954 le moment zéro de la libération de l’Algérie du colonialisme, moment sans antécédents et sans mémoire. Jusqu’à la fin du XXe siècle, les manuels d’histoire algériens, conçus à partir de l’époque de Houari Boumediene, ne mentionnaient ni Messali Hadj, ni les militants centralistes du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), ni même nombre de chefs historiques du FLN de 1954 : il s’agissait ce faisant de disqualifier toute la préhistoire du nationalisme algérien - l’Étoile nord-africaine, puis le Parti populaire algérien-Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (PPA-MTLD) -, parce que cette séquence était trop dominée par la figure historique de Messali. Et, plus largement, de mettre hors jeu les ennemis centralistes, ces authentiques politiques qui passèrent la main sans rupture du MTLD au FLN, et que l’État-major général de Boumediene élimina sans espoir de retour à l’été 1962 sous le parapluie du fragile fusible civil qu’était Ahmed Ben Bella - lui-même éliminé politiquement à son tour trois ans plus tard. Enfin, il importait de ne pas mentionner ceux des chefs historiques qui avaient politiquement mal tourné aux yeux d’une histoire officielle plombée par les bureaucrates dirigeants.

L’appareil qui s’empara alors du pouvoir eut aussi à cœur de figer les Algériens dans une identité identifiée sans discussion à ce qu’il disait être l’islam, et à la langue arabe : c’était là une vision dérivée des conceptions religieuses/culturalistes des ‘ulamâ’, reprise et instrumentalisée pour en faire un topos dominant de la langue de bois officielle. Étant entendu que l’arabe dont il était question était trop souvent un arabe obscurantisé, qui n’avait que peu à voir avec l’épanouissement des grands penseurs et des grands poètes de l’époque classique de la civilisation arabe, et pas davantage avec les intellectuels libres et hardis de la Nahda égyptienne, dont le regretté Naguib Mahfouz était un chaleureux descendant. Alors que, même dans l’Égypte de Nasser, de Sadate et de Moubarak, les manuels d’histoire ont toujours insisté sur la civilisation égyptienne de l’Antiquité - rappelons que c’est sous Nasser qu’une colossale statue de Ramsès II a été érigée sur la place de Bab El Hadid, devant la gare centrale, avant d’en être récemment retirée pour cause de dégradation liée à la pollution du Caire -, on se mit en Algérie à faire coïncider le début de l’histoire dans les manuels avec l’avènement de l’islam dans le nord de l’Afrique. Ce qui précédait fut expédié en quelques paragraphes renvoyant à une jâhiliyya (l’état d’ignorance et de sauvagerie antéislamique) connotant aussi l’isti‘mâr (le colonialisme) : l’Empire romain, établi sur l’Afrique du Nord deux millénaires plus tôt, était vu purement et simplement comme un pouvoir colonial étranger oppressif, cela en contresens anachronique symétrique aux fantasmes français en la matière, qui représentaient l’Empire romain d’Afrique en continuité civilisationnelle européenne, comme un prestigieux précurseur de l’Algérie française.

Mais déjà, dans le mémoire présenté à l’Organisation des nations unies (ONU) en septembre 1948 par Messali, était entendu que l’histoire de l’Algérie ne commençait qu’à partir de l’islamisation du pays. Messali demeurait même en retrait par rapport à cette manière de Lavisse algérien que fut l’historien officiel de la construction nationale, Ahmed Tawfiq al-Madani. Pourtant, la contribution originelle à ce mémoire du jeune militant et intellectuel Mabrouk Belhocine faisait amplement référence à l’histoire précédant l’islam. Mais Messali avait censuré le jeune téméraire et fait bureaucratiquement expurger la version finale. Pourtant, l’ancienneté du fait berbère en Algérie est une évidence. On sait que la conquête islamo-arabe n’a pas déplacé vers le Maghreb des foules démesurées, pas plus que, par exemple en Europe, les invasions germaniques en France et en Espagne. Aujourd’hui, on peut raisonnablement affirmer que, peu ou prou, les Algériens sont très majoritairement des Berbères arabisés, nonobstant tels radotages d’intellectuels idéologues qui ont voulu faire d’eux des Yéménites originels.

Aucun historien de l’Algérie ne peut cependant nier ou sous-estimer la place éminente, en Algérie, de son ancrage islamo-arabe plus que millénaire, y compris dans les zones restées berbérophones où l’arabe est devenu langue du sacré et langue de haute culture. Le pays chaouia, dans la partie sud-orientale de l’Algérie, berbérophone, fut l’une des régions où, dès les années 1930, le mouvement culturaliste islamo-arabe des ‘ulamâ’ s’implanta le mieux. Et, pendant la guerre de libération de 1954-1962, c’est en Kabylie - en wilâya 3 - que l’Armée de libération nationale (ALN) insista le plus sur l’œuvre d’éducation à réaliser in situ, pour les générations montantes, sous l’oriflamme de l’islam et de la langue arabe ; cela sous l’impulsion de son chef, le colonel Amirouche, qui était évidemment berbérophone - un berbérophone dont des témoignages disent qu’il lui prenait parfois de faire semblant de ne pas comprendre le berbère. Il n’est pas impossible que de telles situations hybrides aient pu exister à l’époque romaine, entre le berbère et le latin.

La « crise berbériste », déclenchée par des militants nationalistes algériens du MTLD se refusant à n’envisager d’acception de la nation que réduite à sa dimension islamo-arabe, secoua le MTLD en 1948-1949, et elle fut tranchée par l’exclusion des « berbéristes », laquelle permit en même temps à Messali d’éliminer politiquement son rival du parti, le docteur Mohammed Lamine Debaghine - lequel était pourtant arabophone et musulman croyant. Jusqu’à la fin de la guerre de libération, et au-delà, vouloir poser au FLN la question de la langue et de la culture berbères fut assimilé à une déviation dont l’obscénité frisait la traîtrise. Il fallut attendre le printemps berbère de 1980 pour voir à nouveau la question posée au grand jour, et 1995 pour voir la création du - bien formel - Haut Commisariat à l’amazighité auprès de la présidence de la République. C’est que, dans leur stratégie du « diviser pour régner », des idéologues coloniaux avaient construit un mythe kabyle qui alla jusqu’à assimiler narcissiquement les « Berbères », parés de toutes les vertus, aux Gaulois, pour les opposer aux « Arabes », auxquels étaient imputés tous les vices : se réclamer de la constante berbère, c’était donc emboucher les trompettes des colonialistes et faire leur jeu ; c’était trahir. Même si nombre de militants berbères ne sont pas toujours, eux aussi, à l’abri du reproche de simplisme et de manichéisme, le fait berbère (dans l’Antiquité, on disait « maure » ou « libyque ») est une composante incontournable évidente de l’histoire et de la préhistoire de l’Algérie.

Cet ouvrage met à la disposition des lecteurs un livre simple, de large vulgarisation, aussi bien informé que possible, et tient compte des avancées de la vraie recherche historique, celle dégagée des préoccupations de pouvoir et d’idéologie. Il a donc l’ambition de présenter clairement, d’abord aux Algériens et aux originaires d’Algérie, ce que furent leurs ancêtres, d’où ils venaient, quelles étaient leur vie et leurs préoccupations, leurs joies et leurs frayeurs ; mais aussi, à un plus large public, les origines d’un pays qui est un incontournable partenaire afro-méditerranéen de l’Europe. S’il peut donc contribuer, de part et d’autre de la Méditerranée, à battre en brèche les préjugés, à combattre les stéréotypes et à refuser les facilités, il aura atteint son objectif.

Les ancêtres des Algériens, alors non musulmans et non arabisés, ont vécu dans des sociétés et ont été régis par des États, qui ne méritent pas, loin de là, d’être ravalés à l’obscurité de quelque jâhiliyya que ce soit. Ils étaient en relations - commerciales, techniques, culturelles/artistiques - avec le Proche-Orient et, plus largement, avec les pays qui bordent la Méditerranée. C’est en ce sens que l’influence punique - originellement phénicienne ¬-, par Carthage, puis l’influence romaine, par Rome et par les romanisés de l’Empire romain, ont été déterminantes pour modeler l’organisation politique, l’économie, les cadres de la société, la culture et les orientations religieuses des ancêtres des Algériens, mais aussi pour donner la main à des continuités à première vue insolites : le punique avait ici et là subsisté jusqu’au moment de la conquête islamo-arabe et, en Africa (Tunisie) et en Numidie, les conquérants n’eurent pas toujours trop de mal à comprendre cette langue sémite, voisine de l’arabe et de l’hébreu.

Cela même si, à l’évidence, leur langue principale, leur culture, leurs conceptions du sacré restaient - restent encore par de multiples traits - largement tributaires du vieux substrat mauro-libyco-berbère. Mais sans que, dans l’Antiquité, ne fût jamais rompue l’ample symbiose méditerranéenne dans laquelle ils fonctionnaient. Certes, ce livre ne taira pas les ruptures : de même que l’Algérie indépendante n’est ni l’Algérie coloniale, ni l’Algérie ottomane, ni davantage celle des royaumes berbères, le christianisme n’est pas la révérence au vieux panthéon punique et/ou gréco-romain ; et l’islam n’est pas le christianisme. Pourtant, les ancêtres des Algériens ont adhéré successivement à ces différentes formulations du sacré, du polythéisme à l’islam, en passant par le christianisme. Cette succession se produisit-elle à coups de ruptures ou, à l’inverse, un enchaînement de continuités a-t-il prévalu ?

Car, d’une forme humaine à des formes humaines renouvelées du rapport au sacré et des rites, que de continuités : à titre d’exemple, à Thuburbo Majus (dont les ruines sont situées aujourd’hui en Tunisie, près de la localité du Fahs), le règlement d’accès au temple d’Esculape - l’Asclepios grec, l’Eshmaus punique - comportait, trois jours durant, l’abstention préalable des relations sexuelles, l’interdiction de consommer de la viande de porc ainsi que l’obligation de se déchausser. Cela six siècles avant l’implantation de l’islam dans le nord de l’Afrique... Et, dès le néolithique, l’image du croissant de lune appartenait déjà à la symbolique du sacré, mais généralement associée à celle du soleil. De même, au Proche-Orient, dans une autre aire devenue très majoritairement musulmane, c’était sous la personnification de la lune que les Cananéens, les Phéniciens et les Chaldéens adoraient Ashtar (ou Ishtar), divinité qui présidait à la fécondité et à l’amour, et déesse du printemps - c’était l’Astarté grecque, dont dériva probablement Aphrodite, que les Romains assimilèrent à Vénus.

Pour revenir sur terre, beaucoup plus près de nous, aux XIXe et XXe siècles, si les colonisateurs exploitèrent tant la vigne pour produire du vin en Algérie, la viticulture était aussi une activité importante dans l’Antiquité : la production et la consommation de vin y étaient fort développées. Et, depuis plus longtemps encore, les humains s’y nourrissaient principalement de blé - le couscous est resté l’élément de base de leur alimentation -, tout comme sur l’ensemble des rivages méditerranéens : dans le sud de la Palestine, on en connaît une variété moins finement roulée, dénommée justement le maftûl (le roulé) ; et au couscous, équivalent le burghul turc - lequel ressemble au farîk constantinois (blé [ou orge] vert concassé) -, voire la pasta italienne, qui a largement conquis l’espace culinaire maghrébin.

Enfin, sur le plan de l’organisation sociale, les ancêtres des Algériens, socialisés dans des communautés dont les traits, qui portaient là encore la trace de leur profond ancrage méditerranéen, perdurèrent durant des millénaires en Afrique du Nord : la patrilinéarité, l’endogamie, avec tous les tabous qui s’y rattachent, et le pouvoir souverain des humains de sexe masculin sur l’espace public. Ajoutons, toujours dans le sens du souci de la continuité dont ce livre s’efforce de faire preuve, que, dans tous ses chapitres, a été entrevue la question de l’établissement, à la suite des Phéniciens et de Carthage, de l’évolution et du rôle des Juifs en Afrique du Nord : car ils font bien partie, de manière inséparable, du peuplement et de la société, cela en constante depuis la plus haute Antiquité jusqu’au XXe siècle.

Pour rendre compte de toute la richesse et de toute la complexité du sujet, cet ouvrage propose donc, dans une première partie, d’étudier l’évolution du territoire correspondant à l’Algérie contemporaine, de ses habitants, de l’origine de la vie humaine à l’Antiquité, à travers l’analyse de la préhistoire et de la protohistoire, puis les royaumes maures et numides indépendants - avec notamment les hautes figures de Massinissa et de Jugurtha le rebelle -, avec leurs caractéristiques socio-politiques, linguistiques et culturelles/religieuses. L’influence de Carthage et l’inclusion ancienne du nord de l’Afrique au sein d’une très vivante symbiose méditerranéenne seront abordées.

Nous verrons que les luttes de pouvoir romaines apparaissent étroitement liées au sort de la Numidie indépendante que, après la destruction de Carthage en 146 ap. J.-C., Rome finit pas vassaliser, avant de l’annexer purement et simplement. Cela n’empêcha pas in fine le plus célèbre des princes maures vassaux de Rome, Juba II, d’incarner, depuis Caesarea (Cherchel), capitale de son royaume de Maurétanie, un apogée raffiné de l’art, de l’architecture et des sciences. Deux ans après le mort de son successeur Ptolémée (40), son royaume fut finalement annexé par l’empereur Claude (42).

Dans la deuxième partie, nous aborderons les « Romano-Africains », à l’époque classique de la domination romaine, du Ier au IVe siècle ap. J.-C. Cette « colonisation », dont le terme même est trompeur, n’eut pas grand chose à voir avec la colonisation entreprise dix-huit siècles plus tard sous l’égide conjointe du national français et de l’avancée du capitalisme. Nous examinerons l’administration romaine et l’encadrement militaire du dispositif défensif du territoire conquis par Rome, ainsi que les normes d’une société, que certains ont donnée pour romaine, mais que d’autres ont prétendue rétive à la romanisation, sans omettre les modalités de l’aménagement de l’espace, dont la rationalité organisatrice et comptable n’exclut pas une forte injustice dans la répartition de la richesse, porteuse d’explosions sociales.

La civilisation romano-africaine fut cependant, au premier chef, une civilisation centrée sur un épanouissement sans précédent des villes : les cités, avec leur connotation sacrée, avec les sépultures qu’elles abritaient pieusement, étaient aussi le lieu d’une vie sociale - marchés, théâtres, jeux du cirque, sens du décor de vie... Dans un tel contexte, seront abordées les manifestations de l’art, de la littérature et de la culture, tant dans les espaces privés que dans l’espace public, et enfin les révérences à un sacré dont les composantes vont d’une religiosité populaire, prenant en compte la marque « nationale » des dieux africains locaux et la popularité du culte dyonisiaque, à un polythéisme plus ou moins officiel qui rendait, aussi, honneur à l’empereur-dieu, sans omettre la prégnance du culte de ce Saturne africain, dont l’origine plongeait dans le culte punique de Ba‘al Hammon, et dont la suprématie incontestée prêta peut-être bien quelque part la main au monothéisme.

Dans une troisième partie, il s’agit de tirer le bilan de l’Antiquité tardive et, notamment, des modalités de passage du christianisme à l’islam (IVe-VIIIe siècles). Nous nous attacherons à éclairer les origines et les raisons de l’expansion du christianisme nord-africain, dont les prémices remontent au IIe siècle, mais dont l’épanouissement fut plus tardif. Non sans voir que les manifestations du christianisme furent marquées par des spécificités - l’ « hérésie donatiste » notamment, en laquelle certains ont voulu voir la manifestation d’un particularisme africain quand d’autres soulignent sa signification au regard des violentes luttes internes qui ébranlèrent la société africaine. Toujours est-il que l’Antiquité tardive connut des révoltes multiformes où le courant de la protestation sociale fut intriqué, in fine, avec les ambitions de pouvoir de princes berbères sur fond de recul du pouvoir romain.

Le « schisme donatiste », apparemment vaincu par l’orthodoxie catholique, fut refoulé, mais il resta disposé à rejaillir sous d’autres formes humaines. Apôtre de l’orthodoxie catholique, théologien, écrivain fécond et grand politique à sa place d’évêque d’Hippone (Annaba), Augustin de Thagaste (Souk Ahras) marqua de son rayonnement le crépuscule de l’ère romaine. Dès lors, le terroir destiné à devenir un jour l’Algérie passa - à vrai dire peu profondément - sous la domination des Vandales, non sans qu’il se fragmente aussi en diverses principautés berbères et que, finalement, il passe en partie sous la domination théorique du pouvoir byzantin - celui des Rûm(s). Byrance tenta bien, au VIe siècle, une reconquête à contretemps, qui fut toujours bien précaire et seulement dans la partie orientale du Maghreb. C’en était bien fini de l’Empire romain en Afrique, comme dans tout l’Occident européen.

Cela n’empêcha pas que, dans les limites de l’actuelle Algérie, l’Antiquité tardive maintint jusque très tard, et souvent avec éclat, son organisation urbaine. Les villes continuèrent à être le centre de réalisations architecturales notables - bien amoindries et dégradées à l’époque byzantine -, et de vieilles formes architecturales préromaines connurent un réel renouveau dans telles principautés berbères. Dans les centres de la romanité africaine, ce qui s’impose à l’historien de l’Antiquité tardive, c’est la marque chrétienne qui, dans un sens concret comme dans le sens abstrait, différencia la Cité de Dieu de la cité terrestre, marqua les édifices religieux et s’imposa dans les thèmes et les formes du décor.

En conclusion/épilogue, ce livre s’interrogera pour essayer de comprendre si, du christianisme à l’islam, il y eut rupture ou glissement. Les conquérants islamo-arabes n’ont pas conquis aisément le Maghreb : des résistances, plus coriaces et plus longues que celles que les nouveaux conquérants rencontrèrent dans ce qui deviendrait l’Empire musulman, se manifestèrent. Mais, paradoxalement, alors que des traces chrétiennes non négligeables ont subsisté en Syrie ou en Égypte, la victoire à 100 % de l’islam dans l’Afrique du Nord s’expliquerait-elle par une implantation du christianisme somme toute peu profonde, en tout cas rayonnant surtout à partir des villes ? Certes, les humains, pour s’adapter à de nouveaux pouvoirs, n’ignorent pas ce que les Italiens appellent l’« arte di arrangiarsi » (l’art de se débrouiller, l’art de faire avec). Ceux-là même qui révéraient les pouvoirs et les religions établis et en tiraient honneur et puissance ne furent souvent pas les derniers à s’en affranchir pour accueillir les Islamo-Arabes. Et le donatisme couvait comme le feu couve sous la cendre, prêt à se réveiller et à se réorienter. Sans compter, et c’est peut-être bien l’argument décisif, que les gens du cru purent bien percevoir avec empathie les nouveaux venus, en ce sens que ces derniers leur parlaient depuis un substrat oriental qui n’était pas ressenti comme fondamentalement étranger aux ancêtres des Algériens.

Pour mener à bien l’achèvement de cet ouvrage, moi qui ne suis pas un historien antiquisant, encore moins un préhistorien, j’ai eu recours au service de collègues et/ou amis qui ont accepté de relire patiemment mon manuscrit et d’y traquer les erreurs et les insuffisances. Mes remerciements vont donc, pour cela, à Olivier Aurenche, préhistorien, professeur émérite à l’université Lyon-II, qui a relu la partie consacrée à la préhistoire ; François Richard, historien de l’Antiquité romaine, qui fut jadis professeur d’histoire à Oran, puis enseignant à l’université Lyon-III, aujourd’hui professeur à l’université Nancy-II - il y fut mon collègue et ami -, qui a relu ce qui concerne les périodes numide, maure et romaine ; Pierre Guichard, historien médiéviste spécialiste de l’Occident musulman, qui fut mon condisciple en classes prépa au lycée du Parc de Lyon, professeur émérite à l’université Lyon-II, qui a relu les passages touchant à l’Antiquité tardive et à l’arrivée de l’islam ; à Jean Comby, professeur à l’université catholique de Lyon, enfin, qui m’a précieusement conseillé pour traiter du christianisme.