ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


Dalila AÏT-EL-DJOUDI, La Guerre d’Algérie vue par l’ALN 1954-1962. L’armée française sous le regard des combattants algériens, Autrement, coll. Mémoires/Histoire n° 128, Paris, 2007, 243 p., 20 euros.

Par Gibert Meynier - Février 2007

Voici un livre dont le titre et le sous-titre expriment bien son objet : il y est bien question, en effet, de l’appréhension par les combattants de l’Armée de Libération nationale algérienne, pendant la guerre franco-algérienne de 1954 à 1962, de l’appareil militaire français ennemi, mais aussi des humains qu’il recelait. En vérité, le livre pourrait sans inconvénients porter un titre plus ample : en effet, Dalila Aït-El-Djoudi, pour traiter son sujet, a aussi dû consulter des documents faisant état des perceptions françaises de l’adversaire algérien, lesquelles lui permettent, en consécution, de voir comment, en réaction (en miroir ?), les maquisards de l’ALN réagirent à leurs manières de voir et de les percevoir. On a donc un aller-retour incessant entre les hommes de l’armée de reconquête coloniale et les hommes de l’armée de libération nationale, qu’elle a étudiés principalement en wilâya 3 (Kabylie).

Pour en revenir au vif du sujet, Dalila Aït-El-Djoudi a, sous la houlette de son directeur de recherche Jean-Charles Jauffret, fondé sa minutieuse enquête sur des documents écrits, français principalement (conservés surtout à l’ex-SHAT [1] ), quelques uns, plus rares, issus de fonds d’archives algériens, et aussi sur des entretiens avec des maquisards et autres acteurs du conflit -dont certains sont des proches de l’auteure. Pour autant, elle ne se départit jamais de sa nécessaire posture distanciée. C’est en historienne vraie qu’elle met en intrigue ces soldats algériens de la liberté prêts à se sacrifier pour un avenir meilleur. Cela même si l’approche synthétique retenue ne permet pas toujours avec une impeccable limpidité de percevoir les évolutions et les différences d’une période à l’autre de la guerre.

Dans un temps, les Algériens de l’ALN jugèrent à l’emporte-pièce manichéen l’armée du colonialisme oppresseur qui renvoyait à tant de traumatismes ; dans un autre temps, ils parvinrent à faire la part du feu en voyant, aussi, dans les troufions ennemis, leurs semblables, voire leurs frères : des épisodes de fraternisation, comme il y en avait déjà eu pendant la guerre inter-nationale de 1914-1918, se produisirent bien. Et la tactique, élargie en cette stratégie de manipulation que commande souvent le diviser pour régner, put tenter de séduire les adversaires, de les rappeler à leurs devoirs d’humains, de les dissocier de l’entreprise répressive de laquelle ils ne pouvaient être - leur fut il représenté - , que des agents inquiets ; l’inquiétude pouvant se transformer en rébellion larvée ou déclarée, principes de 89 ou rhétorique internationaliste brandis si besoin. Objectif : les faire déserter, leur faire vendre leurs armes aux maquisards démunis, voire les rallier à la cause libertaire du FLN/ALN. Mais le commandement de l’ALN hésita ; les lignes suivies furent souvent sinueuses, quand elles ne furent pas contradictoires. Il n’y eut pas une attitude algérienne ; il y eut des moments, des aléas, des réactions à la conjoncture.

L’auteure a un itinéraire et des antécédents issus eux-mêmes de ces sources opposées, en tout cas algériennes/françaises, qui coulèrent si souvent dans la mixité antagonique en terreau colonial algéro-français. C’est avec toute la distance et la probité requises qu’elle évalue de telles radicales contradictions et de telles complexes intrications. Non sans quelques désirs, inaboutis, de vouloir tout dire, et de pouvoir le dire avec une égale sérénité ; non sans ces quelques hésitations que commande le scrupule, non sans quelques retours et correctifs, voire même non sans quelques répétitions, qui révèlent à vrai dire plus l’angoisse du sujet que l’incertitude méthodologique ; non, aussi, sans quelques paragraphes didactiques un peu sèchement abstraits - au début surtout - et non sans, à l’inverse, des développements où la citation illustrative abonde. Mais ce n’est pas là, vraiment, péché. Et quand bien même : rappelons pour terminer l’enseignement de l’apôtre Paul : « Où le péché abonde, la grâce surabonde » . [2]

Notes

[1] Service historique de l’Armée de Terre, Service historique de l’Armée, sis à Vincennes.

[2] Épître aux Romains, 5/21.