ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


JACKSON Julian

Université de Londres (Grande-Bretagne)

De Gaulle et l’Algérie : grand dessein ou adaptation empirique ?

Session thématique « France, guerre d’Algérie et enjeux internationaux »

Mercredi 21 juin 2006 - Matin - 9h-11h - Salle F 05

Résumé de la communication

Après une courte introduction historiographique (discussion des témoins, comme Terrenoire, Tricot, Buron, Peyrefitte ; des biographes, comme Roussel, Lacouture, de la Gorce ; des historiens de la guerre d’Algérie qui s’interrogent sur la liberté d’action de De Gaulle, comme Elsenhans, Wall, Ageron) et un bref rappel des étapes successives de la politique suivie par de Gaulle, entre son retour au pouvoir en mai 1958 et les accords d’Évian en avril 1962, ma communication sera divisée en trois parties chronologiques : avant 1958, entre 1958 et le deuxième semestre de 1960, et enfin la période couvrant la fin de l’année 1960 à avril 1962.

1. Avant 1958

a) Discussion des principes de l’action politique de De Gaulle, à partir de ses écrits et de ses actions avant 1958 - en particulier, l’importance primordiale qu’il attache toujours aux circonstances (« la force des choses », « la réalité telle qu’elle est », « les hommes étant ce qu’ils sont », etc.).

b) L’Empire dans la vision gaullienne : De Gaulle n’a jamais été officier colonial, sauf lors de son expérience au Liban. Sa vision de l’histoire française est continentale, et se situe dans le très long terme - par exemple sa boutade : « Je le dis depuis 1 000 ans » ! En revanche, il faut noter également l’importance que l’Empire - et en particulier l’Algérie - a jouée dans l’épopée de la France libre.

c) De Gaulle est un homme du Nord, peu sensible à l’envoûtement algérien. Voir également sa vision de la nation française : en un sens, on pourrait dire que de Gaulle est plus « raciste » que Soustelle, qui ne voit aucune différence entre un paysan algérien et un paysan cévenol, car de Gaulle, lui, se méfie de l’intégration : « Mon village s’appelerait Colombey-les-deux-mosquées... Vous voyez un Président arabe à l’Élysée ? ». Il n’a pas non plus de sympathie pour le nationalisme compliqué des pieds-noirs.

d) Analyse de ce que de Gaulle dit à plusieurs interlocuteurs avant mai 1958 - André Philip en 1945, Jean Amrouche et Jean-Marie Domenach en 1955, Maurice Clavel, Alain Savary, Roger Stéphane en 1958, etc.

2. 1958-mi-1960

Quoiqu’il ait pensé avant 1958, il semble qu’après son retour au pouvoir, de Gaulle nourrit l’idée de garder l’Algérie, au moyen d’une association avec la France - dans le cadre de la Communauté -, et il croit qu’il a le charisme pour parler à la population algérienne directement - au-dessus les têtes des dirigeants du Front de libération nationale (la recherche d’une « troisième voie »). Sa politique ne rompt pas avec celle de la IVe République : cessez-le-feu, élections, négociation. Il insiste à plusieurs reprises en 1958-1959 : « L’Algérie n’a jamais été et n’est pas un État [...]. L’Algérie est une poussière d’hommes. »

Il faut noter également les contraintes nationales - c’est l’armée qui l’a ramené au pouvoir - et internationales - ONU, les relations avec ses partenaires européens et américains -, qui pèsent sur son action. Il est difficile de déterminer exactement quand sa conviction intime bascule vers la nécessité d’accepter l’indépendance. Le tournant semble se situer en juin 1960 (voir l’affaire Si Salah, qui reste mystérieuse, et le discours du 14 juin 1960). De Gaulle brûle de mener une grande politique internationale que la situation en Algérie rend impossible (voir sa lettre du 19 juillet à son fils : « La guerre est une épine dans le pied de la France [...]. Ce conflit ridicule empêche la France de tenir sa place dans le monde »).

3. Fin 1960-avril 1962

Sa dernière visite en Algérie, en décembre 1960, achève l’évolution de sa pensée, et accélère son impatience de se débarrasser de l’Algérie (noter l’évolution du vocabulaire : « personnalité algérienne » en 1958, « Algérie algérienne » en 1959, « la République algérienne qui existera un jour » en 1960).

Mais cette impatience coupe l’herbe sous les pieds de ses négociateurs. Il soulève successivement l’idée d’un partage, et l’idée de garder le Sahara - mais sans grande conviction. Comme dit Louis Joxe : « Le Général joue au poker à ciel ouvert. »

Conclusion

Ceux - Bidault, Soustelle - qui voyaient une contradiction entre le de Gaulle de 1940, qui dit non à la défaite, et le de Gaulle qui accepte la « défaite » en 1962, n’ont pas compris que, dans les deux cas, de Gaulle partage un grand optimisme sur les moyens et la puissance de la France. En 1940, il invoque l’Empire pour compenser la défaite continentale ; en 1962, il invoque la puissance continentale - la vocation européenne - de la France pour compenser la perte des colonies : « Jadis, nous avons fait un Empire pour nous consoler des traités de 1815 et de Francfort [...]. L’ère industrielle a tout changé, notre force est à l’intérieur. » Il faut noter également la continuité de l’idée de la modernisation dans sa vision de la puissance nationale : en 1930, c’est la modernisation de l’armée préconisée dans L’Armée de métier ; en 1960, c’est la puissance nucléaire. Le nationalisme gaullien a toujours été un nationalisme « existentialiste » - une lutte de nations, où tout est mouvement et adaptation -, et pas un nationalisme « essentialiste », qui tenterait de préserver une essence figée de la nation.

Publications

-  « De Gaulle and May 1968 », in De Gaulle and Twentieth Century France, H. Gough et J. Horne, Londres, E. Arnold, 1994, pp. 125-146.

-  « General de Gaulle and his Enemies : Anti-Gaullism in France since 1940 », Transactions of The Royal Historical Society, 6e séries, XI, 1999, pp. 43-65.

-  The Fall of France : The Nazi Invasion of 1940, Oxford, Oxford University Press, 2004.

-  La France sous l’Occupation. 1940-1944, Paris, Flammarion, 2004.

-  De Gaulle. Au-delà de la légende, Paris, Alvik éditions, 2004.



Télécharger le document (format pdf)