ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


KADRI Aïssa

Université François Rabelais-Tours

Histoire du système d’enseignement colonial en Algérie

Session thématique « Enseignement et enseignants dans l’Algérie coloniale »

Mardi 20 juin 2006 - Après-midi - 14h30-16h30 - Salle F 05

Résumé de la communication

Dans l’histoire de l’imposition de l’école française en Algérie, 1883 [1] marque pour de nombreux analystes, historiens et sociologues, une césure entre deux grandes phases qui sont généralement identifiées pour celle antérieure à cette date comme celle du refus scolaire de la part de la population locale et pour la période qui la suit comme celle de la progressive montée d’une demande scolaire qui ne devient véritablement franche qu’à partir de l’entre-deux-guerres.

Cependant, s’il est indéniable que l’intervention des lois Ferry a modifié sensiblement le paysage scolaire qui prévalait jusqu’alors en Algérie, en définissant une politique cohérente qui tranche avec celle de la période précédente faite d’hésitations et de tâtonnements, la périodisation qui en découle et qui distingue un avant et un après les lois laïques demeure à notre sens réductrice à maints égards des ambiguïtés qui ont accompagné l’implantation du système scolaire français.

L’impact de l’école française repéré surtout à partir du constat unilatéral des seules autorités coloniales est ainsi principalement validé par la mesure statistique : la stagnation ou la progression des effectifs scolaires algériens dans le primaire deviennent à cet égard les principaux indices de la résistance ou de l’adhésion au système scolaire exogène ; or, à considérer le nombre d’étudiants qui sont passés par le système de l’enseignement secondaire et supérieur [2] ou le taux d’analphabétisme relevé pour les années 1960 [3] ou même la part des élèves scolarisés dans le primaire - et ceci au moins jusqu’en 1958 [4] - sur celle des enfants en âge d’être scolarisés [5] , le bilan scolaire colonial apparaît dérisoire n’eut été l’infléchissement tardif provoqué par la pression de la lutte de libération nationale.

L’histoire de la politique scolaire coloniale n’a jamais été ce lent mouvement de civilisation des populations locales présentes seulement par leur refus [6] : elle apparaît plutôt comme un processus profondément contradictoire dont les déterminants sont à rechercher aussi bien chez les émetteurs de cette politique qu’au niveau de ses récepteurs. Elle se laisse donc apprécier moins en terme d’effectifs algériens qui ont transité par le système de l’enseignement colonial qu’en terme de rapport de communication où ce qu’il importe de saisir, au-delà du contenu de l’émission et dans la perspective de ce qu’est l’école aujourd’hui en Algérie et de ce qu’elle représente, c’est la manière dont le message, ici l’école, est capté, interprété et assimilé à partir des caractéristiques propres de la société réceptrice.

Notes

[1] Nous désignons par cette date l’élargissement à l’Algérie des lois scolaires dites lois Ferry, notamment la loi de 1881 sur la gratuité de l’école, de mars 1882 sur l’instruction obligatoire et d’octobre 1886 sur l’organisation et la laïcité de l’enseignement primaire en France. Ce sont ces lois que les décrets du 13 février 1883 et du 18 octobre 1892 rendent applicables à l’Algérie.

[2] Pour le secondaire, le nombre d’élèves Algériens musulmans scolarisés en 1938 par exemple, était de l’ordre de 991 contre 13 229 Européens, à la même date, les étudiants musulmans du supérieur étaient de l’ordre de 94 contre 2 138 Européens.

[3] 85 % de la population est analphabète à la veille de l’indépendance selon M. Lacheraf. Voir M. LACHERAF, L’Algérie : nation et société, Paris, Maspéro, 1976, p. 313.

[4] La scolarisation des Algériens est sérieusement relancée bien que tardivement, par l’ordonnance du 20 août 1958.

[5] En 1889, le nombre d’élève scolarisés était de l’ordre de 10 631 - filles comprises -, la population musulmane âgée de 6 à 13 ans se chiffrait à 585 389 - garçons et filles -, le taux réel de scolarisation étant de 2 %. Voir à ce propos A. MERAD, « Regards sur l’enseignement des musulmans en Algérie (1880-1960) », Confluent, 32 et 33, juin-juillet 1963, p. 604.

[6] C’est notamment la thèse de Y. Turin. Voir Y. TURIN, Affrontements culturels dans l’Algérie coloniale, écoles, médecines, religion, 1830-1880, Paris, Maspéro, 1971.



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