ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


AYOUN Richard

Institut national des langues et civilisations orientales

Les Juifs d’Algérie. Au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire

Session thématique « Religions et statuts personnels »

Mardi 20 juin 2006 - Après-midi - 14h30-16h30 - Salle F 106

Le président de la République algérienne, Abdelaziz Bouteflika, lors de la commémoration du 2 500e anniversaire de la ville de Constantine - l’antique Cirta - a déclaré :

Il y a lieu de signaler que les habitants juifs de la ville, et ils étaient nombreux, ont joué un rôle dans la préservation du patrimoine commun : coutumes, vêtements, art culinaire et vie artistique.

Ce renouement avec le passé juif de l’Algérie a satisfait beaucoup de Juifs originaires de ce pays, à l’image de Jean-Luc Allouche qui déclarait dans les colonnes de Libération :

Ces simples mots sont, et font, beaucoup. Jusqu’à ce jour, l’Algérie nouvelle a ignoré avec superbe, non seulement les « pieds-noirs », mais aussi « ses » juifs, pour la plupart enfants du pays avant même la grande conquête arabe du viie siècle. Des raisons objectives expliquent ce fossé ; les historiens peuvent, et doivent, les mettre au jour... Cette Algérie que nous n’avons jamais cessé d’aimer, lors même qu’elle voulait nous nier, voilà que nous trouvons de nouvelles raisons de ne pas la rayer de nos vies.[1]

Cette étude évoque l’histoire de la longue durée, elle permet de comprendre l’histoire des Juifs de l’Algérie, qu’il est nécessaire de faire remonter à l’Antiquité.

De l’Antiquité à la conquête française

Sur les origines des Juifs d’Algérie, il est à signaler que selon une tradition judéo-chrétienne, des Cananéens, chassés de leur pays par les Hébreux, s’étaient réfugiés en Afrique[2]. Parmi eux, d’après le Talmud se trouvaient les Girgaschites ou Girgaséens, des Hébréophones[3]. Dans les ouvrages de l’historien byzantin Procope, il est dit que dans une cité de Numidie, où se trouve maintenant Tigisis - il s’agit de Aïn Bordj à cinquante kilomètres au sud-est de Constantine -, les Juifs construisirent une citadelle ; près d’une source, on peut encore voir deux piliers de marbre sur lesquels est gravée une inscription en phénicien et en écriture phénicienne : « Nous sommes ceux qui ont fui devant Josué, fils de Nun »[4]. Selon Flavius Josèphe, lors de l’invasion de la Palestine par Ptolémée Ier Soter, en 301 avant J.-C., cent mille Juifs auraient été déportés en Égypte, d’où ils seraient passés en Cyrénaïque et dans les autres pays d’Afrique du Nord[5].

Avec l’occupation romaine, la renaissance du pays permet la croissance de la population sédentaire. Une immigration juive de masse se produit dans la première moitié du iie siècle avec les fugitifs de la répression qui frappe les Juifs de Cyrénaïque et d’Égypte soulevés contre Rome. À l’époque romaine, contrairement aux périodes précédentes, l’existence de plusieurs communautés juives est attestée dans le Maghreb central par des textes et des documents archéologiques. Saint Jérôme dans une de ses lettres déclarait que les colonies juives formaient une chaîne ininterrompue « depuis la Mauritanie, à travers l’Afrique et l’Égypte » jusqu’à l’Inde[6].

De cette époque datent plusieurs inscriptions juives : à Cirta (Constantine) deux inscriptions latines d’un Julius Anianus Judeus et d’un Pompeius Restitus Judeus à Kalfoun - près de Sétif -, à Auzia (Aumale, Sour El Ghozlane) une épitaphe d’un Juif[7]. À Sétif, une synagogue existait au iiie siècle, comme en fait foi une inscription dédiée à M. Avilus Januarius qui portait le titre de pater synagogae. À Tipasa, une synagogue est construite vers le milieu du ive siècle ; elle s’élevait au centre de la ville, sur la colline dite « des temples » qui s’avance dans la mer en forme de presqu’île. Elle y avait remplacé le vieux sanctuaire du dragon[8].

Saint Augustin évoque les Juifs dans presque toutes ses œuvres, notamment dans sa ville épiscopale, à Hippone. À Thusurus (Tozeur), il dénombre beaucoup de judaïsants[9]. Dans un traité spécifique le Tractatus adversus Judaeos[10], il décrit l’égarement des Juifs. Leurs professions sont les mêmes que celles des Berbères, des Puniques ou des Romains. Saint Augustin les traite de paresseux parce qu’ils observent le Chabbat. Les hommes travaillent aux champs, quant aux femmes, elles filent la laine et confectionnent des vêtements.

Sous les Vandales, les rares témoignages que nous avons, montrent que les Juifs sont nombreux au Maghreb central, ils bénéficient d’une grande liberté religieuse. Sous les Byzantins, les Juifs sont assimilés aux ariens, aux donatistes et aux païens et on les traite de « dissidents ». En vertu des édits de 535, de Justinien Ier, ils sont exclus de toutes les charges publiques, ils ne peuvent posséder d’esclaves chrétiens, d’où la faillite de propriétaires fonciers juifs. Les synagogues sont transformées en églises, par exemple celle de Tipasa.

La conquête arabe s’est faite de 688 à 708. On parle alors de Judéo-berbères. C’est Ibn Khaldoun dans son Histoire des Berbères[11] qui, évoquant la situation religieuse du Maghreb au moment de la conquête islamique, a fait une place importante à cet élément de la population nord-africaine que sont les Judéo-berbères, avant le viie siècle. Ibn Khaldoun écrit :

Une partie des Berbères professait le judaïsme, religion qu’ils avaient reçue de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie. Parmi les Berbères juifs on distinguait les Djeraoua, tribu qui habitait l’Aurès et à laquelle appartenait la Kahéna, femme qui fut tuée par les Arabes à l’époque des premières invasions. Les autres tribus juives étaient les Nefouça, Berbères de l’Ifrîkïa [Ifrkiyya], les Fendelaoua, les Medîouna, les Behloula, les Ghîatha et les Fazas, Berbères du Maghreb-el-Acsa.[12]

Du commencement du viiie siècle à la fin du xive siècle, le Maghreb central connaît une instabilité politique incessante liée aux conflits entre différentes sectes et dynasties : les Kharijites, Berbères islamisés fondateurs du royaume de Tahert, les Rustumides (viiie-ixe siècles), les Fatimides (909-1171), puis les Zirides (973-1060). Le Maghreb central a été aussi dirigé par les Hammadides (1017-1152), les Hilaliens célèbres pour leurs destructions entre 1050 et 1052, les Almoravides (1063-1147) et les Almohades (1147-1269). Aucun de ces occupants n’a réussi à créer d’autorité durable, les Beni Abd al Wad sont les seuls à avoir maintenu une stabilité politique sur une partie du territoire du Maghreb central, en dirigeant le royaume de Tlemcen du xiiie au xvie siècle.

Pendant ces périodes, la vie des communautés juives est assez obscure. Nous savons seulement qu’après l’épisode de la Kahéna au viie siècle, le pays ne semble plus posséder de communautés juives actives. On constate une immigration juive d’Iraq et de la Syrie qui accompagne le grand courant migratoire de l’époque des masses musulmanes d’Orient, vers le Maghreb et l’Espagne à cause de la désertification des régions dont elles sont originaires. Avec les Almohades, Berbères adeptes d’une pratique rigoriste et intransigeante de l’Islam et voulant qu’il soit la seule religion, des communautés juives disparaissent. En 1142, c’est le cas des agglomérations du Sud, en 1145, de celle d’Oran, en 1146, celle de Tlemcen - une élégie d’Abraham ibn Ezra relate cet épisode, en montrant le terrible choix que doivent faire les Juifs entre l’apostasie et la mort[13] - et en 1147, de celle de Bougie[14].

Après ces persécutions, nous savons bien peu de chose sur la renaissance du judaïsme et sur la vie de communautés actives jusqu’à l’arrivée des Espagnols en 1391. Cependant, nous savons que des Juifs vivent à Alger, Achir, Biskra, Bougie, Hammad, Honein, Kal’at, Majjama, Mejzar île en face d’Alger), M’sila, Mostaganem, au Mzab, Oran, Ouargla, Tablat, Tiaret, Tlemcen, au Touat, où les maçons juifs sont réputés. À Touggourt, dans les montagnes au milieu des Berbères sur les plateaux et dans les oasis du désert, les Juifs pratiquent l’agriculture et l’élevage. Les deux foyers rabbiniques importants sont Tiaret et Tlemcen. À Tiaret, on se consacre davantage à la science pour elle-même. Le plus grand représentant de ce milieu rabbinique est Rabbi Juda ibn Qouraïsh qui crée la linguistique comparative en l’appliquant à l’hébreu. À Tlemcen, on s’occupe plutôt de questions pratiques.

Pour la gestion des affaires publiques, les Juifs ont leur autonomie. L’opinion de Rachbatz (Simon ben Sémah Duran) montre l’autorité des tribunaux rabbiniques en Algérie :

Nous constatons que l’autorité royale ne se préoccupe pas de savoir si nous jugeons nos affaires selon la loi juive. Bien mieux, elle nous ordonne que « si quelqu’un refuse notre jugement, qu’on l’y oblige de force », et la loi du sultan prescrit qu’on ne doit juger les Juifs pour leurs propres litiges que selon la loi juive.[15]

Les contestations entre Juifs et Musulmans sont du ressort du cadi, et tout un cérémonial est censé marquer l’infériorité de son statut : les Juifs doivent baiser la main du juge et leur parole est considérée comme nulle, lorsqu’un Musulman nie sa véracité.

L’immigration espagnole qui s’est effectuée de 1391 à 1492, date du décret d’expulsion d’Espagne, transforme profondément le judaïsme d’Afrique du Nord au xve siècle. Ces Juifs espagnols s’établissent principalement à Alger, Oran, Constantine, Mostaganem, Miliana, Bougie, Ténès et Tlemcen. Les Juifs espagnols constituent, à leur arrivée, des groupements à part. À Alger par exemple, les Juifs indigènes étaient appelés les « porteurs de turbans », les Judéo-espagnols les « porteurs de capuches ou de bérets ».

À l’époque ottomane, il est de tradition d’insister sur le rôle important des « Juifs livournais » dans le grand commerce. Il convient de rappeler que la qualité de « livournais » tient moins à une origine géographique qu’à un statut personnel et une manière de se comporter. En effet, être Livournais, c’est être sujet toscan et échapper à la justice du dey . C’est aussi avoir un comportement, qui se veut résolument différent de celui des Juifs indigènes, fondé sur la qualité de « Juifs francs » et qui est destiné à préserver sa dignité - ce qui se traduit sur le plan vestimentaire par un habit à l’européenne. En un mot, ce qui distingue un Livournais d’un indigène, c’est moins l’origine géographique - puisque beaucoup de Livournais étaient en réalité d’origine nord-africaine -, que le fait de se réclamer de deux cultures différentes : la culture hébraïque et la culture européenne.

Commerçants, les Juifs livournais exportent surtout du royaume d’Alger du blé dur, de l’orge, du riz, de la cire, du miel, des olives, des oranges, des citrons, des dattes, des figues, du raisin, des noix, de l’escayolle, de l’essence de rose, des étoffes de soie, des maroquins brodés, des taffetas, du vermillon, des cuirs et des plumes d’autruche. Quant aux importations des Juifs livournais à Alger, elles sont, en valeur, beaucoup plus importantes que les exportations. Le port de Livourne est, au xviiie siècle, leur principal fournisseur. Ils importent des mousselines des Indes, des toiles, des soieries, de la quincaillerie, du sucre, du café, de l’ambre, des planches, des marbres blancs travaillés, du fer et de l’acier.

On peut ajouter que, à part quelques familles qui ont acquis de la fortune par leur activité commerciale, la grande masse des Juifs croupit dans une noire misère et s’adonne à tous les métiers possibles. D’après le témoignage du R. P. Pierre Dan qui séjourne à Alger entre 1634 et 1635 :

il en est qui vendent des objets par les rues, portant au bras des corbeilles ou des boîtes, criant : « qui veut acheter ? d’autres sont tailleurs, bijoutiers au corail ou épiciers.

Rehbinder au xviiie siècle remarque que :

dans une rue sale près du palais du Dey, il y a des deux côtés des boutiques où des Juifs uniquement travaillent l’or et l’argent ; la plupart travaillent pour la Monnaie d’ici, leur travail est artistique et joliment orné.[16]

Sous la domination ottomane, il y a, en Algérie, un renouveau des études talmudiques comme le montrent plusieurs recueils de consultation. Les rabbins transcrivent des poésies synagogales en hébreu ou en judéo-arabe. Citons les rabbins les plus importants : Isaac Aboulker, rabbin d’Alger qui s’occupe aussi de commerce, correspondant d’Aron Amar, banquier à Oran. Juda Ayache (1690-1760), dayan (juge) à Alger de 1728 à 1756. Il publie à Livourne, en 1745, un commentaire sur Maïmonide intitulé Lehem Yehuda (Le Pain de Juda). En 1746, il fait paraître un recueil de consultations intitulé Bet Yehuda (La Maison de Juda), dans lequel il insère les coutumes d’Alger. Nehoraï Azoubib, fut lui-même rabbin d’Alger. Il composa notamment des prières pour l’anniversaire du second pourim d’Alger, que la communauté institua les 10 et 11 tammouz pour célébrer l’échec de l’expédition du comte O’Reilly contre Alger, le ler juillet 1775. Saadia Chouraqui de Tlemcen au xviie siècle, est l’un des premiers rabbins au Maghreb à écrire un traité de mathématique, Mone Mispar (le calculateur du nombre), achevé en 1691, destiné à enseigner cette science en hébreu, aux étudiants de la communauté juive de Tlemcen. Ce mathématicien a écrit aussi des œuvres de théologie, d’exégèse et de poésie[17].

À l’époque française

Dans les plans de la conquête d’Alger, les Juifs sont considérés comme des auxiliaires précieux. Pour certains officiers, « les Lumières et les connaissances » devaient fraterniser et fondre les intérêts des deux « nations ». Des Juifs de Marseille, réfugiés à la suite du massacre du 28 juin 1805, à Alger, sont engagés comme interprètes. L’approche des Français jette la consternation au sein de la communauté juive qui craint de subir un assaut des chrétiens, comparable à celui des Espagnols du Moyen-Âge. Ainsi, le 29 juin 1830, l’avant-garde de l’armée française voit s’enfuir devant elle les premiers Juifs rencontrés sur les pentes de la Bouzaréah. Un témoin raconte « qu’une fois rattrapés et se croyant perdus, ceux-ci tremblaient comme la feuille, ils demandaient grâce ». Cette attitude d’appréhension envers l’occupation française explique que des Juifs aient lutté avec les Musulmans contre les Français qui assiégeaient Laghouat, dans le sud algérien.

Mais très souvent les Juifs se réjouissent de l’arrivée des Français. À Alger, certains s’agenouillent dans les rues, embrassent les soldats, tandis que les notables Bacri et Duran se mettent au service du maréchal de Bourmont, ministre de la guerre. De même, ils accompagnent l’armée française, au cours de ses retraites stratégiques comme par exemple, le 26 novembre 1830, avec les troupes de Clauzel. À Oran, au cours de l’année 1833, ils participent également à la résistance des troupes françaises contre les différents assauts des Musulmans. Un peu plus tard, le chef de la nation juive déclare à des officiers français : « N’est-ce pas nous que nous défendions en défendant la France ? »

Le 5 juillet 1830, en présence du maréchal de Bourmont, le dey Hussein signe la capitulation. Ce document devient la Charte de tous les indigènes d’Algérie. À l’article 5, il est écrit : « La liberté des habitants de toutes les classes, leur religion, leurs propriétés, leur commerce et leur industrie ne recevront aucune atteinte ». Toutefois, pour porter le judaïsme d’Algérie « à un état meilleur », le gouvernement français crée en 1839 une commission qui élabore un projet d’organisation du culte et de l’instruction. Elle liquide ainsi, définitivement les derniers vestiges de l’autonomie juive en Algérie.

L’ordonnance du 9 novembre 1845[18], marque la transformation de l’organisme politique, qu’était le Conseil hébraïque, en une institution religieuse. Elle crée un consistoire algérien siégeant à Alger et des consistoires provinciaux à Oran et à Constantine. Leur organisation ne se distingue point de celle des consistoires de la France métropolitaine. L’émancipation législative, judiciaire et administrative des Juifs d’Algérie va de pair avec leur assimilation culturelle et sociale. La jeunesse juive fréquente de plus en plus les établissements d’enseignement français et parle couramment la langue française.

En 1860, le costume juif n’a pas beaucoup changé mais les Juifs ont à présent le droit de porter des couleurs vives et la djellaba blanche, qui leur étaient auparavant interdites. Cette licence nouvelle n’est pourtant guère utilisée : dès les années 1860-1870, surtout dans les grandes villes, les enfants sont de plus en plus habillés comme les enfants européens. Les jeunes gens et les jeunes filles, qui portent le costume oriental, sont de plus en plus rares.

Quant au niveau social de la grande masse des Juifs d’Algérie, il ne s’élève que lentement. La majorité continue à tirer du petit commerce et de l’artisanat ses principales ressources. Ils pratiquent les métiers traditionnels, tels que tailleur, brodeur, horloger, chaudronnier, tisserand et orfèvre. Cependant, plusieurs riches familles juives d’Algérie concentrent entre leurs mains le commerce des laines, des tissus, des étoffes indigènes, du blé, du sucre et des produits coloniaux.

Leurs descendants forment une couche de l’intelligentsia juive parfaitement assimilée à la civilisation française. La volonté constante d’assimilation change complètement l’aspect de la vie juive. Avec une porosité nouvelle des limites du quartier juif, disparaissent peu à peu les images pittoresques mais archaïques de l’artisan juif dans les villes d’Algérie. Le commerce juif abandonne ainsi son caractère purement oriental, pour accepter les manières et les usages français.

Sur le plan juridique, les Juifs d’Algérie demandent leur intégration à la France, notamment lors des voyages de Napoléon III en Algérie en 1860 et en 1865. Au cours de ce dernier déplacement, en réponse à l’allocution de bienvenue du Grand rabbin d’Oran Mahir Charleville, l’Empereur déclare : « J’espère que bientôt les Israélites algériens seront citoyens français »[19]. Cette promesse aboutit au sénatus-consulte du 14 juillet 1865, qui permet aux Juifs et aux Musulmans de solliciter individuellement la citoyenneté française. La naturalisation collective est attribuée grâce à Adolphe Crémieux, ministre de la justice, le 24 octobre 1870, par le décret qui porte son nom.

Le décret Crémieux se heurte toutefois à des difficultés d’application. Certains craignent que l’introduction de ces nouveaux électeurs modifie la majorité électorale dans certaines localités. Ils refusent, d’autre part, que les Juifs soient admis sur les listes des jurys qui servent au recrutement des emplois publics. On leur reproche de constituer un corps à part, agissant toujours de façon univoque sous l’influence de ses chefs religieux.

Ce décret n’a jamais été admis des milieux traditionnellement antisémites. Leur opposition se manifeste avec violence à l’époque de l’affaire Dreyfus. L’extrême droite, avec à sa tête Édouard Drumont, décide d’exiger par les moyens légaux et même par la violence s’il le faut, la révision du décret Crémieux. Les radicaux antijuifs s’emparent des municipalités, comme à Constantine en 1896, l’avocat Morinaud ou à Oran en 1897, le pharmacien Gobert. En cette année 1897, on rend les Juifs responsables du chômage, on dit qu’ils s’enrichissent aux dépens des chrétiens et des musulmans.

Entre les deux guerres mondiales, sur le plan démographique, comme les Juifs d’Europe et d’Amérique, les Juifs d’Algérie participent d’un mouvement général d’urbanisation[20]. En Algérie, les clivages entre Français et Arabo-berbères sont évidents. Mais la population française est elle-même stratifiée, dans une hiérarchie subtile des positions distinguant les Français métropolitains des immigrés espagnols, italiens, maltais, naturalisés français, et des Juifs.

Au cours de la période de colonisation française, la communauté juive d’Algérie s’accroît sensiblement : de 15 000 à 17 000 individus au début des années 1830[21], elle serait passée à environ 150 000 avant l’indépendance de l’Algérie. De 1851 à 1921, l’administration française s’efforce de recenser la population israélite des villes, mais ces chiffres ne comprennent pas les populations des territoires du Sud, ni les juifs dispersés en milieu rural[22].

Le principal agent de la francisation est l’école. Sur les bancs de l’école, petits juifs, petits chrétiens et petits musulmans se côtoient. Parfois des amitiés se nouent. Pour éviter des tragédies comme les émeutes de Constantine en août 1934 contre les Juifs, se crée en 1935, l’Union des Croyants monothéistes qui regroupe des chrétiens, des musulmans et des juifs[23]. Quant à la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA), la priorité dans son programme en Algérie est l’entente des juifs et des musulmans.

Des chefs religieux musulmans nationalistes, le cheikh Abdelhamid Ben Badis (1889-1940) et le Mufti Miloud Ben Mouhoub à Constantine, le cheikh El Oqbi à Alger et le cheikh Saïd Zahiri (1899-1940) à Oran, luttent contre l’antijudaïsme. À partir de 1936, à la suite d’encouragements et de soutien de Juifs comme Élie Gozlan, aux revendications politiques des musulmans, ils prennent publiquement position contre l’antisémitisme. Globalement, les doctrines racistes antisémites proposées par les Européens antijuifs aux musulmans n’ont pas été acceptées par ceux-ci. Comme l’a écrit l’avocat Ahmed Boumendjel, représentatif des milieux musulmans qui revendiquent de profondes transformations politiques en Algérie, au député Jean-Pierre Bloch, les musulmans

ne peuvent raisonnablement se ranger aux côtés de ceux qui tentent de pratiquer une politique raciale, alors qu’eux-mêmes sont quotidiennement frappés au nom du racisme.[24]

Le conflit, lors de la guerre d’Algérie qui oppose les Français et les Algériens musulmans est ressenti avec un grand regret. D’une part, les Juifs ont des attaches avec les Français : ils s’estiment bénéficiaires de la civilisation française, et ils se sentent fiers d’être Français, car la France les a émancipés politiquement, socialement et culturellement. D’autre part, les juifs ont des liens avec les « Arabes », un passé commun, une communauté de langue, de psychologie, d’attitudes de pensée et de vie. Partenaires commerciaux, participant aux mêmes fêtes et ayant le même goût pour la musique andalouse, les Algériens musulmans vivent avec les Juifs dans une « proximité » réciproquement consentie[25]. Les uns comme les autres, lorsqu’ils partaient travailler en France, témoignaient d’une égale passion pour ce beau pays.

Au début, les deux camps les laissent à l’écart des objectifs que visent leurs opérations militaires. Généralement, les victimes juives tombent parce qu’elles appartiennent à l’un ou l’autre camp. Le 1er octobre 1956, le Front de libération nationale (FLN) dans une lettre, au Grand rabbin d’Algérie, demande à la communauté israélite d’affirmer d’une façon solennelle son appartenance à la nation algérienne. Cette lettre porte le nom d’« Appel de la Soummam ». Le FLN est convaincu que les responsables Juifs d’Algérie qui se sont, lors du récent congrès juif mondial, prononcés pour la citoyenneté française comprendront :

qu’il est de leur devoir et de l’intérêt bien compris de toute la communauté israélite de ne plus demeurer « au-dessus de la mêlée », de condamner sans rémission le régime colonial français agonisant et de proclamer leur option pour la nationalité algérienne.[26]

Le Comité juif algérien d’études sociales (CJAES) répond, à la fin du mois de novembre 1956, que la collectivité israélite d’Algérie ne constitue pas une entité politique et que « toute prise de position ne peut être que strictement personnelle ». Cependant le CJAES appelle à un règlement pacifique de ce conflit douloureux.

De nombreux Juifs meurent à la suite d’attentats du FLN ce qui explique l’engagement de certains Juifs parmi les partisans de l’Algérie française et dans l’Organisation Armée Secrète (OAS créée en 1961 afin que l’Algérie reste française)[27]. Ceux-ci participent à la « Semaine des Barricades » du 24 au 31 janvier 1960, aux côtés des partisans de l’Algérie Française[28]. Toutefois la majorité de la population juive des villes reste dans l’expectative, espérant encore que la voie libérale, ou la voie fédérale ou autre permettra de sortir du cauchemar. Mais ce qui bouleverse les Juifs et provoque un mouvement irréversible c’est, le 12 décembre 1960, le saccage de la grande synagogue d’Alger, située au cœur de la Casbah. Des inscriptions « Mort aux Juifs » surmontées de croix gammées s’étalent sur les murs[29]. À Oran, le cimetière juif est profané en 1961, le jour de la nouvelle année juive. Le 11 septembre 1961, H. Choukroun, coiffeur ambulant, est tué d’un coup de poignard planté dans le dos alors qu’il va à la synagogue[30]. Il s’ensuit un affrontement entre la communauté musulmane et la communauté juive, sans que l’identité de l’assassin soit connue.

Lors des pourparlers de paix entre la France et le FLN, en 1961[31], dans les discussions préalables, certains agitent l’idée que les Israélites, en raison de leur indigénat et de leur profonde assimilation à la France auront un rôle spécial à jouer dans l’Algérie future et être le médiateur idéal entre la France et l’Algérie. Le FLN refuse d’étudier cette idée et proclame qu’« en Algérie il ne doit y avoir qu’un seul peuple sur un seul territoire ». Le 18 mars 1962, les accords d’Évian[32] sont signés. La France admet l’indépendance de l’Algérie. Les Français ne voulant pas rester en Algérie seront « rapatriés », même s’ils sont les descendants d’immigrants européens venus d’autres pays que la France, comme l’Espagne, l’Italie, ou Malte[33]. Les Juifs sont assimilés à cette catégorie. De Gaulle s’étant prononcé à leur sujet, grâce à l’intervention de l’amiral Louis Kahn, alors président-délégué de l’Alliance israélite universelle. Louis Kahn entreprend une démarche auprès du Général, afin que le Gouvernement français admette l’idée que les Israélites ne constituent pas, en Algérie, une communauté à part et que leur destin est étroitement lié à celui des Européens.

La mémoire des Juifs d’Algérie, que ce soit en Algérie même, en France, en Israël ou ailleurs, est aujourd’hui largement perdue. Les choix n’ont jamais été univoques, et de fait, la communauté juive d’Algérie, à aucun moment de son histoire n’a agi comme une entité politique.

Annexe

Cet article extrait du Radical algérien de 1884 illustre les refus des autorités coloniales du décret Crémieux et toutes leurs réticences à son application, dans une phase de transition tout au moins. La question fiscale révèle les implications concrètes de cette acquisition collective de la nationalité française en terre musulmane.

Les Juifs d’Algérie et les impôts arabes[34]

Nous extrayons aujourd’hui, d’une « Revue de jurisprudence administrative algérienne » en voie de publication, le passage suivant, qui démontre que nous ne sommes pas les seuls à penser et à dire que le décret Crémieux a été un acte d’ignorance administrative et de politique coupable, de politique anti-française.

Voici ce que dit, en effet, dans sa revue M. Léon Hérail, conseiller de préfecture, à l’article « impôts arabes », M. Hérail est dans l’administration algérienne depuis 35 ans. Inspecteur de colonisation, commissaire civil, chef de bureau au Gouvernement général, conseil général, il connaît le pays et les hommes autant que quiconque, or, voici ce qu’il dit :

L’historique souvenir que nous venons de faire des impôts arabes était nécessaire, à cette place, pour que nos lecteurs puissent bien savoir toute la portée des arrêts qui ont été rendus sur la matière par les tribunaux administratifs du premier et du dernier degré : les Conseils de préfecture et le Conseil d’État.

Jusqu’en 1878, les Conseils de préfecture de l’Algérie ont jugé que tous les indigènes de l’Algérie indistinctement devaient être assujettis au paiement des contributions arabes, lesquelles frappaient, antérieurement à la conquête, tous les habitants du pays conquis : musulmans et israélites.

Le Conseil d’État n’a pas été toujours de cet avis, et depuis 1878 notamment il a rendu un grand nombre d’arrêts aux termes desquels les israélites indigènes naturalisés français par le décret inconscient du Gouvernement de la défense nationale du 24 octobre 1870 (décret Crémieux), ainsi que les musulmans munis d’ordonnances de naturalisation, devaient être exemptés du paiement des impôts arabes.

Les Conseillers de préfecture de l’Algérie ont dû s’incliner devant ces arrêts d’une juridiction supérieure, et en conséquence ils ont modifié leur jurisprudence primitive à cet égard.

Cependant, malgré tout le respect que nous professons pour la décision du Conseil d’État, nous ne pouvons nous empêcher de dire que cette immunité d’impôts dont bénéficient des individus qui sont restés les mêmes qu’autrefois, et que notre civilisation n’a pas encore touchés, est excessive et impolitique. La masse des indigènes musulmans nous sait fort mauvais gré de ces exemptions, et, à ses yeux, notre condescendance dans l’application d’un principe de droit étroit passe pour de la faiblesse. Le prolétaire arabe ne peut admettre, en effet, qu’un juif indigène, jadis courbé sous le bâton des Turcs, puisse être traité à l’égal d’un citoyen français, non plus d’ailleurs qu’un musulman cupide et souvent ignorant, muni de lettres de naturalisation dont il ne se souvient que devant le Receveur des Contributions diverses, et pour s’affranchir du paiement des impôts arabes. De là, une jalousie et un antagonisme fort préjudiciables à notre domination.

L’exemption ayant aujourd’hui acquis force jugée, nous devons nous abstenir de discuter plus longuement cette question. Nous dirons seulement que l’immunité dont il s’agit peut, dans l’avenir, être dangereuse pour notre sécurité, et que, dès à présent, elle rompt d’une manière fâcheuse pour nos finances l’équilibre de notre budget colonial. Il n’est donc que temps que l’on se préoccupe d’une manière effective de rechercher ailleurs des ressources destinées à ne pas entraver l’essor des départements et des communes de l’Algérie. Depuis 1871, cette question si grave n’a pas fait un pas.

Nous publions un peu plus loin un arrêté rendu sur la matière par le Conseil de préfecture d’Alger, le 28 mars 1878 ; nous le faisons suivre de plusieurs arrêts du Conseil d’État. Ces arrêts ont fixé définitivement la jurisprudence.

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Voici l’arrêté du Conseil de préfecture du 28 mars 1878 cité plus haut ; nous le publions in-extenso :

CONSEIL DE PRÉFECTURE D’ALGER

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Demande en décharge d’impôts arabes par

divers Israélites indigènes de Médéah.

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Audience du 28 mars 1878

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MM. Hérail, rapporteur ; Sauzey, commissaire du Gouvernement ; Robe, avocat.

L’an 1878 et le 28 mars, à une heure de relevée, le Conseil de Préfecture, réuni dans la salle affectée à ses séances, en audience publique, où étaient présents :

MM. N’oetinnger, vice-Président ;

Gary et Hérail, conseillers ;

Sauzey, substitut du Commissaire du Gouvernement ;

Bleaud, secrétaire-greffier.

Après avoir entendu dans son audience publique du 21 mars présent mois :

1E M. Hérail, conseiller, en son rapport ;

2E Me Robe, avocat à la Cour d’appel, au nom des réclamants, en sa plaidoirie ;

3E M. Sauzey, conseiller, substitut du Commissaire du Gouvernement, en sa conclusion.

La cause ayant été mise en délibéré en l’absence des parties, conformément à la loi, dans la salle des délibérations.

Le Conseil, vidant son délibéré dans la présente audience publique, statuant contradictoirement.

À rendu l’arrêté dont la teneur suit :

Vu les six requêtes en date du 29 novembre 1877, enregistrées au greffe du Conseil, le 3 décembre suivant, par lesquelles les sieurs : Youssef el Kaïm, Chelomo Chiche el Fortasse, Eliaou Agache dit Kaouito, Chelomo Darmon, Bournou el Karoubi, et Aïzer Cherqui. Tous les six dénommés dans l’état n&#-3920; 175 de M. le Directeur des Contributions directes en date du 31 janvier 1878.

Réclament contre leur imposition au rôle des impôts arabes (Achour et Zekkat), de la commune de Médah, exercice 1877, sous les articles n&#-3920; 783, 784, 785, 786, 788, 789, 794, 796, et 985, dont le montant s’élève ensemble à la somme de 640 fr. 22.

Les réclamants se fondent sur ce motif que ces impôts, achour et zekkat, étant essentiellement arabes, ils ne sont pas dus par les Israélites de l’Algérie, fussent-ils Israélites indigènes ; qu’à cet égard ils sont dans la position des Européens, et qu’on doit surtout le décider ainsi depuis le décret de naturalisation collective du 24 octobre 1870 ;

Vu les avis et rapports consignés dans l’état du 31 janvier 1878, sus-visé, notamment les rapports de M. le Directeur des Contributions directes en date des 31 janvier et 6 mars 1878, concluant au rejet des demandes produites par les six réclamants sus-nommés ;

 

Vu les conclusions en date du 15 février 1878, déposées par Me Robe, au nom des parties, les dites conclusions enregistrées au greffe du Conseil le 18 même mois, par lesquelles les demandeurs protestent contre l’avis de rejet formulé par M. le Directeur des Contributions directes, et persistent dans les conclusions de leurs requêtes primitives en décharge ;

Vu l’art. 5, parag. 6, de l’ordonnance royale du 21 août 1839, sur l’organisation du régime financier en Algérie ;

Vu l’arrêté du Gouverneur général du 3 septembre 1842 ;

Vu la décision ministérielle du 5 novembre 1845, qui a exempté les Européens des impôts Achour et Zekkat ;

Vu la décision du Gouverneur général du 3 août 1877, aux termes de laquelle les indigènes naturalisés Français continueront à être assujettis au paiement des impôts arabes ;

Vu la loi du 28 pluviose an VIII ;

Vu la loi du 21 juin 1865 et le décret du 12 juillet suivant sur les Conseils de Préfecture ;

Vu le décret du 10 décembre 1860 sur le Gouvernement et la haute Administration de l’Algérie.

Sur le motif tiré par les réclamants de cette raison que les impôts Achour et Zekkat étant essentiellement arabes, ne sont pas dus par les Israélites de l’Algérie, fussent-ils Israélites indigènes ; qu’à cet égard ils sont dans la position des Européens ;

Considérant que l’ordonnance du 21 août 1839, ainsi que l’arrêté du Gouverneur du 3 septembre 1842, ont consacré le principe en vertu duquel les redevances ou contributions arabes existant en Algérie antérieurement à la conquête continueront à être perçues comme par le passé ;

Considérant que ces contributions étaient générales, qu’elles atteignaient tous les indigènes sans distinction, c’est-à-dire tous les habitants du pays conquis et soumis à la domination française ; que si antérieurement à 1830 les Israélites indigènes n’y étaient pas soumis, c’est que sous le régime turc ils ne pouvaient posséder des terres, et qu’ils étaient assujettis envers leurs oppresseurs au paiement de redevances continuellement considérables sous toutes les formes ; que, dès lors, il est naturel de penser que l’expression de contributions arabes employée en 1842 et 1845, et dont l’usage s’est continué jusqu’à ce jour, laquelle expression est relevée par les requérants pour justifier leurs demandes à décharge, s’applique aux Israélites indigènes, distingués seulement par leur religion, aussi bien qu’aux Turcs, aux Koulouglis, aux Kabyles, aux Maures et aux Arabes proprement dits, possédant des terres de labour et des troupeaux ;

Considérant que l’ordonnance royale du 17 janvier 1845 a maintenu les contributions arabes précédemment établies, notamment celles dites Achour et Zekkat, qui se perçoivent sur les cultures et les bestiaux ; que ces impôts, qui sont généraux, ont dû être supportés par les Israélites indigènes, au fur et à mesure qu’ils sont devenus propriétaires de terrains et de troupeaux ; que si le Ministre de la Guerre, en vertu du pouvoir qui lui a été, conféré par l’article 1er de l’ordonnance précitée du 17 janvier 1845, a, par une décision du 25 novembre suivant, exempté les Européens de ces impôts, en vue de favoriser l’immigration et de faciliter le développement de la colonisation par l’élément européen, cette décision, essentiellement politique et économique, ne s’applique point aux Israélites indigènes, nés et fixés en Algérie ;

Considérant qu’aucun argument ne saurait être tiré de l’arrêté du 3 septembre 1842 ni de l’ordonnance du 17 janvier 1845, qui n’ont pas le caractère de dispositions organiques, mais règlent seulement des détails de perception : que, dès lors, on ne saurait induire de l’expression employée et que l’usage a consacré de Contributions arabes, que les Arabes seuls y sont assujettis ;

Considérant qu’aucune loi n’ayant organisé les impôts indigènes de l’Achour et du Zekkat, ces impôts doivent être perçus sur tous les indigènes, sans distinction de religion ;

Considérant, par suite, que les six réclamants sus-nommés, qui ne contestent pas être des Israélites indigènes, ne sont pas fondés à réclamer en cette qualité, pour les impôts indigènes qualifiés Achour et Zekkat auxquels ils ont été assujettis sur les rôles des impôts arabes de la commune de Médéah, exercice 1877 ;

Sur le motif tiré de cette raison que l’exemption des impôts Achour et Zekkat doit surtout être décidée ainsi en faveur des Israélites indigènes depuis le décret de naturalisation collective du 24 octobre 1870 ;

Considérant que, aux termes d’une décision du Gouverneur général en date du 3 août 1877, les indigènes naturalisés français continuent à être passibles des impôts arabes ; que cette imposition s’applique à tous les indigènes, israélites ou musulmans, qui ont obtenu la naturalisation, soit collective, soit personnelle ; qu’il n’est fait à cet égard aucune distinction ; qu’il suffit qu’ils soient indigènes, c’est-à-dire non immigrants et habitants du pays antérieurement à la conquête, ou nés de parents remplissant cette condition, pour être assujettis au paiement des dits impôts ;

Considérant, par suite, que les six requérants sus-nommés ne sont pas fondés non plus à invoquer le décret de naturalisation du 24 octobre 1870 qui, en leur attribuant la qualité de citoyens français, n’a pu leur enlever cette qualité essentielle d’indigènes arabes dite Achour et Zekkat

ARRÊTE :

Article unique. - Les demandes des sieurs... réclamants sont rejetées comme n’étant pas fondées.


[1] Jean-Luc Allouche, « L’espoir de Rabat à Constantine ». Libération, Paris, 29 juillet 1999, p. 4.

[2] Saint-Jérôme, Onomastica Sacra, Paulus de Lagarde edidit... [Hieronymi liber interpretationis hebraicorum nominum. Ejusdem de Situ et nominibus locorurn hebraicorum liber. Onomasticum graecum, cui Fragmentum libri nominum hebraicorum titulum Hohlenberg imposuit. Gottingae in aedibus L. Horstmann, 1887, VIII + 368 p. ; Onomastica sacra : Untersuchungen zum « Liber interpretationis nominum hebraicorurn » des HI. Hieronymus. Franz von Wutz (éd.). Leipzig :  J.-C. Hinrichs, 1914-1915, 2 vol., XXXII, 1 200 p.

[3Talmud de Jérusalem, Chabat, t. VI, 36c.

[4] Procope de Césarée, De la Guerre contre les Vandales. Trad. Léonor de Mauger. De Bello persico et vandelico. Paris : G. de Luyne, 1670, II, 20.

[5] Flavius Josephe, Guerre des juifs, 1738. Contre Apion. T. Reinach (éd.) et trad. L. Blum. Paris : Les Belles Lettres, 1930, XXXIX, 132 p. ; réédition 1972, II, 20.

[6] Saint-Jérôme, Epistolae selectae. Paris : apud S. Huré, 1649, 759 p. ; Lyon : Périsse frères, 1845, III + 350 p. ; Select letters of St. Jerome. [Epistolae selectae], trad. F.A. Wright, Cambridge (MA.) : Harvard University, Londres : W. Heinemann, 1954, XVI + 511 p., 129, 4, ad. Dardanum.

[7] Paul Monceaux, « Les colonies juives dans l’Afrique romaine ». Revue des Études Juives, Paris, 1902, t. 44, p. 1-28 et particulièrement p. 8.

[8Catalogus codd. hagg. Antiquiorium saeculo XVI, qui asservantur in Bibl. nat. Pariensi, « Passio sanctae salsae, martyris Tipasitanae », Paris : 1889, t. I, paragraphe 3.

[9Acta Marcianae, 4.

[10] Saint-Jérôme, Divi Aurelii Augustini Epistolae. Argentinae : J. Mentelin, circa 1468, Pellechet, 1481 ; Paris : apud viduam R. Mazieres et J.-B. Garnier, 1734 ; et St. Augustine Select Letters [D. Aurelii Augustini Epistolae selectae], trad. J. H. Baxter, Cambridge (MA) : Harvard University press ; Londres : W. Heinemann, 1953, LII, 71, 3, 5.

[11] Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères et des dynasties musulmanes de l’Afrique septentrionale. P. Casanova (éd.), trad. Baron de Slane. Paris : Geuthner, 1925, LXVI, 452 p.

[12] Richard Ayoun et Bernard Cohen, Les Juifs d’Algérie, deux mille ans d’histoire. Paris : Lattès, 1982, 264 p., p. 47.

[13] H. Z. Hirscherg, History of the jews in Africa (en hébreu). Jérusalem : 1965, t. I, From Antiquity to the xvith., 397 p., p. 90-91 (fragment de la Géniza du Caire).

[14Ibid, p. 94.

[15] Tachbetz, Sefer ha-tachbets. 1re partie, par. 13, f. 12, p. 2. Voir Menachem Weinstein, Les Communautés juives d’Algérie entre 1300 et 1830 (en hébreu). Thèse de doctorat en histoire juive. Ramath-Gan : Université Bar-Ilan, octobre 1974, 349 p., p. 91-92.

[16] J. Ad. von Rehbinder, Nachrichten und Bemerkungen ueber des algierschen Staat. Altona : J. F. Hammerich, 1798-1800, 3 vol., vol. 1, p. 110 et 361.

[17] André Chouraqui, Histoire des Juifs en Afrique du Nord. Paris : Hachette, 1985, 620 p., p. 236-245.

[18] Voir Achille-Edmond Halphen, Recueil des lois concernant les Israélites. Paris : 1851, 511 p., p. 137-142.

[19] Richard Ayoun, Typologie d’une carrière rabbinique. L’exemple de Mahir Charleville. Préface P. Chaunu. Nancy : Presses Universitaires de Nancy, 1993, 2 t., 1004 p., « Le deuxième voyage de Napoléon III en Algérie », p. 243-249.

[20] Salo Wittmayer Baron, Quelques pages des carnets d’un historien : le judaïsme européen avant et après Hitler. Bruxelles : Institut universitaire d’études du judaïsme Martin Buber, 1975-1976, 53 p., p. 4-7.

[21] Joëlle Allouche-Benayoun et Doris Bensimon, Juifs d’Algérie hier et aujourd’hui. Mémoires et identités. Toulouse : Privat, 1989, 290 p., p. 43. Xavier Yacono, « Peut-on évaluer la population de l’Algérie en 1830 ? ». Actes du soixante-dix-neuvième congrès national des Sociétés savantes. Alger, 1954, Questions d’histoire algérienne ; Paris : Imprimerie nationale, 1955, p. 23-57.

[22] Maurice Eisenbeth, Les Juifs de l’Afrique du Nord : démographie et onosmatique. Alger : Imprimerie du Lycée, 1936, 190 p., p. 14.

[23] Raymond Bénichou, Écrits juifs. Alger : Commission culturelle juive d’Algérie, 1957, 342 p., p. 221-227.

[24] A. Boumendjel, « Lettre au député Pierre Bloch », citée par Jean-Pierre Bloch, dans Le vent souffle sur l’Histoire. Paris : SIPEP, 1956, 332 p., p. 53.

[25] Richard Ayoun et Bernard Cohen, Les Juifs d’Algérie... Op. cit., 1982, p. 151.

[26] Mohamed Lebjaoui (Labgawi), Vérités sur la Révolution algérienne. Paris : Gallimard, 1970, 253 p., p. 120.

[27] Voir Rémi Kauffer, OAS. Histoire d’une organisation secrète. Paris : Fayard, 1986, 424 p. Abraham Nada. L’idéologie de l’Organisation Armée Secrète (OAS) : contribution à l’histoire d’un mouvement de révolte. Jérusalem : Diplôme de l’université de Jérusalem, 1978, 112 p.

[28] Merry et Serge Bromberger, Georgette Elgey, Jean François Chauvel, Barricades et Colonels, 24 janvier 1960. Paris : Fayard, 1960, 445 p. ; André Euloge et Antoine Molinier, L’envers des barricades, vingt mois d’insurrection à Alger. Paris : Plon, 1960, II-179 p.

[29Information juive, Alger, décembre 1960.

[30] Mylène Sultan, Les Juifs d’Algérie et la Guerre 1954-1962. Mémoire de Maîtrise, Université Paris X Nanterre, 1984-1985, 191 p., p. 112.

[31] Voir Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962. Paris : Seuil, 1982, 379 p., « De difficiles négociations de paix », p. 313-330.

[32] Benyoucef Ben Khedda, Les accords d’Évian. Paris : Publisud-Opu, 1986, 120 p.

[33] Voir Gérard Israël, Le dernier jour de l’Algérie française 1er juillet 1962. Paris : Laffont, 1972, 328 p.

[34Le Radical algérien, 3e année, n&#-3920; 625, jeudi 24 juillet 1884, p. 2.


Citer cet article :
Richard Ayoun, « Les Juifs d’Algérie. Au-delà des pressions officielles et des lobbies de mémoire », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007, http://w3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=215