ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


ESCLANGNON-MORIN Valérie

Université Denis Diderot-Paris 7

Les Français d’Algérie ou la constitution d’une communauté française à partir d’une double migration

Session thématique « Migrations croisées »

Jeudi 22 juin 2006 - Matin - 9h-11h - Amphithéâtre

Dans le cadre d’une étude sur les « migrations croisées », l’histoire des Français d’Algérie est assez originale. La constitution de cette communauté nationale d’outre-mer s’est effectivement réalisée, au départ, par une première migration. Ceux qui allaient être appelés « Français d’Algérie » étaient des Français, certes, mais leurs mémoires familiales leur disaient aussi qu’ils avaient été, ou qu’ils auraient pu être des Espagnols, des Italiens, des Maltais, des Allemands et des Suisses. Leur regroupement sur le sol d’Algérie et leur naturalisation française à la fin du xixe siècle fait d’eux des Français en Algérie. Leur histoire et leur identité s’inscrivent alors dans cet univers colonial qu’il nous reviendra de définir. La guerre d’Algérie et l’indépendance de ce pays obligent ces Français à quitter la terre qui les a vus naître et cette migration, souvent déchirante, les conduit vers une patrie inconnue d’eux pour la plupart. Leur installation au sein d’une nouvelle société les oblige à se redéfinir face à l’ensemble de la société française dans laquelle ils finiront par se diluer.

La constitution d’une communauté nationale outre-mer

Faire de l’Algérie une colonie de peuplement

Après la conquête de l’Algérie en 1830, la décision de conserver ce territoire est longuement discutée en métropole. Mais une fois cette décision prise, l’idée de faire de l’Algérie une colonie de peuplement français vient rapidement. Dès 1841, le général Bugeaud est l’un des fervents partisans de la colonisation officielle. Il y voit un moyen de participer à la lutte contre les indigènes et de repeupler les terres désertées par eux ou confisquées lors de la conquête. Pour cela il envisage de faire des soldats, des agriculteurs. Mais l’idée fait long feu et il met en place par la suite des centres de colonisation sous le contrôle de l’armée. Les terres sont distribuées à des Français sous forme de lots de colonisation à des colons volontaires. Entre 1851 et 1861, 50 000 hectares sont concédés à 51 sociétés et 250 000 hectares à la petite colonisation. Mais la mortalité élevée, les difficultés de la mise en valeur des terres algériennes, le manque d’expérience de nombreux colons - beaucoup n’étaient pas agriculteurs dans leur pays - font que l’implantation rurale est un échec. Rapidement, les colons se retrouvent dans les villes où ils occupent des emplois d’employés, d’artisans et de commerçants.

En parallèle, la population européenne croît régulièrement. De quelques milliers en 1830, les Européens sont 280 000 en 1872. Cette progression est essentiellement due à une forte immigration car la mortalité reste élevée. L’apport étranger y est supérieur à l’émigration française. La France est handicapée par une natalité réduite et les candidats au voyage sont peu nombreux malgré la volonté politique de faire du peuplement de l’Algérie un moyen de régler les problèmes sociaux. Paris travaille à un éloignement des miséreux et des révolutionnaires de la capitale après 1848. « Changez vos prolétaires en propriétaires », clamait Victor Hugo en 1879. En Algérie, la population française peine à devenir majoritaire : elle le sera effectivement en 1851, date à laquelle on compte encore 49,7 % d’étrangers. Après 1870, la défaite de Sedan amène en Algérie un millier de familles d’Alsaciens-Lorrains fuyant l’occupation allemande ; les paysans ruinés par la crise du phylloxéra (environ 50 000 personnes) du Sud de la France sont installés sur les terres confisquées aux tribus révoltées de 1871. En 1872, le nombre d’étrangers chute à 41,3 %[1]. Parmi ces derniers, les populations d’Europe du Sud (Italiens, Espagnols, Mahonnais, Maltais) sont surreprésentées ; on trouve néanmoins quelques Allemands, Suisses ou Belges.

Croire en la création d’« un peuple nouveau »

La population européenne double entre 1872 et 1901, d’abord par l’immigration, puis à partir du début du xxe siècle, par la natalité. En 1911, sur 746 000 Européens vivant en Algérie, 480 000 y étaient nés. Se constitue donc une population de plus en plus « indigène » qui est aussi de moins en moins multinationale. En effet, grâce aux lois de naturalisation de 1889, qui instituent le droit du sol, le nombre d’étrangers diminue notablement. Deviennent aussi Français les juifs d’Algérie, le décret Crémieux de 1871 imposant leur naturalisation massive. Avec la brusque croissance d’une communauté nationale couplée à la baisse de la population indigène, vient l’idée qu’il est désormais possible de peupler l’Algérie d’un « peuple nouveau » provenant de la « fusion des races européennes » (Sollier 1899). Les mariages « mixtes » entre les populations de différentes nationalités représentent alors 25 % de l’ensemble des mariages entre Européens. Le Dr Ricoux évoque une nouvelle « race franco-algérienne » (1878) qui aurait une meilleure résistance au milieu géographique et climatique. Un rapport de 1900 affirme encore ce principe :

Il se forme par le mélange et la fusion de divers éléments [...] une race nouvelle extrêmement ardente et forte n’ayant absolument rien des races avachies d’Europe.[2]

La ségrégation progressive des deux communautés à la fois géographique, culturelle et économique renforce encore l’impression du renouveau démographique. Les colons sont de moins en moins nombreux, la population européenne se regroupe surtout dans les villes : en 1906, sur les onze villes algériennes de plus de 10 000 habitants, six sont majoritairement peuplées d’Européens[3].

Ce peuple issu du « melting-pot » des immigrés européens et français doit se trouver une place et une identité. Sa recherche prend d’abord une forme d’opposition. Il va se construire « contre », contre la France, mais surtout contre les populations non-européennes d’Algérie, dénommées « musulmans » ou simplement « indigènes ». Contre la métropole toute puissante, les Européens d’Algérie se reconnaissent pour la première fois unis par des caractéristiques communes qu’ils entendent défendre. À la fin du xixe siècle, ils se donnent le qualificatif d’« Algériens », nom qui prend une valeur identitaire face à la mère patrie, la France. Derrière les caciques locaux qui veulent défendre leur position dominante, ils imposent un chantage à la sécession. La métropole s’oppose, en effet, à l’extension des terres de colonisation afin de protéger les indigènes. Une commission d’enquête sénatoriale, menée par Jules Ferry, déclarait d’ailleurs qu’« il ne faudrait livrer à aucun degré à l’élément européen les intérêts du peuple indigène ».

La tension entre la métropole et les colons prend une allure de quasi-guerre civile à la fin du xixe siècle. La crainte de « ne plus être maître chez soi » conduit les responsables politiques à utiliser la rue et les masses populaires pour défendre leurs intérêts. Les « Algériens » descendent dans la rue, à l’occasion d’émeutes populaires qui secouent toutes les grandes villes d’Algérie durant l’année 1898. Ces émeutes prennent d’abord pour cible les juifs, accusés par les politiciens locaux de faire le jeu des forces traditionnelles contre les candidats républicains, mais elles ont aussi des relents d’indépendance. La métropole cède en accordant à l’Algérie la personnalité civile et un budget spécial ainsi que la mise en place d’une assemblée algérienne élue, les Délégations financières. C’est la grande victoire des autonomistes qui se gardent bien, cependant, de réclamer une véritable indépendance, conscients de la sécurité que leur assure l’armée française face aux révoltes indigènes, comme leur a encore prouvé l’insurrection de Margueritte en 1901.

La société coloniale

L’idée de la constitution d’un peuple nouveau est fondée sur une unification qui se fait grâce à la nationalité française. Par l’armée et par l’école, la France finit d’intégrer, sur le sol algérien, les immigrés de la Méditerranée. On assiste donc de plus en plus à une uniformisation de la société française d’Algérie qui devient effective aux lendemains de la Première Guerre mondiale. Marc Baroli décrit cette société en formation en 1914 :

La grande masse des Européens forme une communauté unie malgré les différences sociales et celles qui séparent les villes des campagnes. Il ne s’agit ni d’une race, ni d’une nation, mais d’une société qui a ses valeurs propres et ses goûts communs ; et cela suffit à l’individualiser.

La recherche de mythes fondateurs

L’idée d’un « peuple nouveau » est une utopie qui se prolonge jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les romanciers s’en emparent. Louis Bertrand, en 1899, exalte la « latinité » de ces Français dans son livre Le sang des races. Il évoque

cette magnifique plante humaine [...] plèbe confuse, faite de toutes les races méditerranéenne, laquelle cherche en ce moment à se définir, à s’affirmer comme peuple homogène.[4]

La filiation avec la civilisation romaine est mise en valeur :

On se souvient et on veut rappeler qu’avant le déferlement des Vandales, et l’occupation musulmane turco-arabe, l’Afrique du Nord était latine et chrétienne. Il s’ensuit que c’est dans et par la latinité que commence à se définir l’identité des Français d’Algérie.[5]

L’objectif est de donner à tous ces immigrés un ancêtre mythique commun.

Dans les années 1930, ce sont des jeunes écrivains qui reprennent à leur compte la conception d’un peuple nouveau issu de la Méditerranée. Celle-ci est vue comme un trait d’union entre l’Orient et l’Occident et non pas comme la domination de l’un par l’autre. « L’Afrique du Nord est un des seuls pays où l’Orient et l’Occident cohabitent », affirme Albert Camus[6]. Gabriel Audisio évoque, quant à lui,

une race méditerranéenne, mais c’est le type de la race impure, fait de tous les apports et de tous les mélanges. [...] C’est un rassemblement par affinités, une libre agrégation, une communauté humaine qui existe malgré les cloisons du sang et au-dessus des frontières nationales.[7]

Pour lui, comme pour Camus, la valeur de ce nouveau peuple, c’est sa « jeunesse »[8], son absence d’histoire qui lui évite toute sclérose :

Voici pourtant un peuple sans passé, sans tradition et cependant non sans poésie [...]. Le contraire d’un peuple civilisé, c’est un peuple créateur. [...] Ce peuple tout entier jeté dans son présent vit sans mythes, sans consolation. [...] Les dons de la beauté physique lui ont été prodigués.[9]

Plus tard, se retrouvent dans cette description de la « culture méditerranéenne »[10], des auteurs comme Emmanuel Roblès, Jean Pélégri, Jean Senac ou Jean Amrouche.

Exclure l’indigène

Mais cette nouvelle « méditerranéité » exclut toujours l’indigène. Les musulmans ne se grefferont jamais à la communauté européenne. Les barrières religieuses, sociales, culturelles, économiques, sont trop fortes. Le nombre de mariages mixtes reste extrêmement faible ainsi que celui des conversions. D’autre part, à mesure que la colonisation terrienne devient un échec, les Européens se replient dans les villes où les lieux de contacts sont plus rares qu’à la campagne :

Tout au long de l’histoire de la colonisation, l’Arabe s’éloigne ; [...] L’Européen connaît de moins en moins les populations autochtones, à mesure que s’institue cette sorte de ségrégation de fait, fondée sur les différences de niveau de vie et sur la ségrégation économique régionale,

explique Pierre Bourdieu[11]. La société coloniale se suffit alors à elle-même. L’indigène y est presque devenu un étranger. Le paysage lui-même semble conforter cette impression. On débaptise le nom des villes et des villages, le nom des rues pour leur donner des noms français. Les quartiers neufs des grandes villes sont construits sur le modèle occidental, face à la vieille ville arabe. Pour bien marquer la prééminence d’une religion sur l’autre, on construit des églises et des cathédrales ostentatoires, parfois même dans d’anciennes mosquées.

La colonisation agricole a, elle aussi, totalement transformé le paysage algérien. De la côte aux montagnes s’étendent de vastes étendues cultivées, géométriques, des centres de vinification. Partout, se construisent des villages de colonisation le long des routes tracées par le système colonial et l’armée. Ils sont édifiés sur le modèle européen de village-rue avec sa place du marché et son église. L’Algérie musulmane semble définitivement rasée du paysage, sauf dans les lieux qualifiés de « sauvages » que sont les montagnes du Tell, des Aurès ou de Kabylie. Comme le constate Pierre Bourdieu :

Peu à peu, le colonisateur créé un environnement qui lui renvoie son image et qui est la négation de l’univers ancien, un univers où il se sent chez soi, où, par un renversement naturel, le colonisé finit par apparaître comme un étranger.[12]

L’éloignement de l’autre se matérialise par le refus d’apprendre la langue arabe, pourtant majoritaire en Algérie : seuls 19,7 % des Européens pouvaient se faire comprendre dans cette langue. Les rapports entre les deux communautés se restreignent de plus en plus à de simples rapports économiques[13]. Cependant, la séparation est formelle et non institutionnelle, l’Algérie ne connaît pas de régime officiel d’apartheid.

Cela ne signifie pas que les échanges étaient nuls. Les sentiments ne sont pas absents, de réelles amitiés sont nées au Maghreb entre musulmans et Européens. « Il y avait quelque chose de très difficile à définir mais qui rendait possible la coexistence pacifique », explique Mouloud Feraoun dans son Journal[14]. La séparation n’empêche pas la proximité et chacune des communautés a « profité » de son contact avec l’autre.

Néanmoins, l’inégalité reste la base de la société coloniale. La carte électorale est un « nouveau titre de noblesse » comme l’explique Charles-Robert Ageron. À partir du sénatus-consulte de 1865, les indigènes sont devenus des « sujets français » mais nullement des citoyens : « L’indigène musulman est français mais régi par la loi musulmane », explique le sénatus-consulte. À partir de 1881, ils sont soumis à des lois d’exception regroupées au sein du Code de l’indigénat. Il n’y a donc pas d’égalité de droit à l’exception de quelques musulmans acceptant de perdre leur statut personnel pour gagner la citoyenneté française. Ils sont vus comme des renégats par leurs coreligionnaires qui les traitent de « m’tourni »[15]. Même la réforme de l’Algérie de 1947, un an après la loi Lamine-Gueye accordant la citoyenneté française à tous les habitants de l’empire, crée deux citoyens distincts : les Français « de souche européenne » qui votent dans le premier collège et les Français « musulmans » qui votent dans un deuxième collège. Les premiers sont environ neuf fois moins nombreux que les seconds, mais élisent autant de représentants à l’Assemblée algérienne et à l’Assemblée nationale. Ajouté à un trucage systématique des élections et à l’interdiction de certains partis politiques jugés trop indépendantistes, on peut en conclure que la notion d’égalité ne traversait décidément pas la Méditerranée !

Une société pourtant très hétérogène

Malgré l’apparition de caractéristiques et d’intérêts communs, il n’y a pas d’unicité dans cette population française. Les écarts économiques sont très importants entre un grand colonat - familles Borgeaud ou Blachette, par exemple - qui domine l’agriculture et cumule les responsabilités politiques et une grande masse de petits ouvriers, employés et artisans. Ce contraste se retrouve dans la géographie des villes. À Alger, par exemple, rien de comparable entre les villas du quartier de Bel-Air et les habitations des quartiers populaires de Bab-el-Oued ou de Belcourt. Ce petit peuple urbain milite dans les mouvements de gauche. En 1936, le Rassemblement populaire l’emporte à Alger et à Oran. Globalement, les Français d’Algérie sont plutôt des « petits blancs », dont le niveau de vie, en 1962, est de 20 % inférieur à celui de leurs compatriotes métropolitains.

Les gros colons existent bien mais ils représentent une minorité. L’Algérie n’est pas une colonie de paysans et pourtant elle s’est construite autour de ce mythe. En 1930, au moment des fêtes du centenaire de l’Algérie, un monument à la gloire de la colonisation est édifié au cœur de la Mitidja, à Boufarik. La République remercie les colons par la bouche du président de la République, Gaston Doumergue qui célèbre les « hommes héroïques » qui ont réussi à lutter contre les difficultés du climat, le « soleil féroce » et la « terre inculte »[16]. Et pourtant, en 1939, la petite colonisation a quasiment disparu de la terre algérienne. L’agriculture algérienne est surtout détenue par des gros concessionnaires de lots officiels dont la majorité des propriétaires (60 %) habitent en ville.

Culturellement, les différences sont aussi marquées. Ainsi, dans l’Oranais, où l’immigration espagnole a toujours été très forte, les rites religieux, très développés, sont hérités de la démonstrative religiosité espagnole.

Cependant, malgré des différences sociales très marquées, les Français d’Algérie vivent à l’intérieur d’un même univers colonial qui leur permet d’avoir accès à des privilèges incontestables : priorité dans les emplois administratifs, dans les postes d’encadrement, dans l’accès à l’enseignement supérieur - et même à l’enseignement tout court -, bénéfice du « tiers-colonial » pour les fonctionnaires. Ils sont devenus la « minorité majoritaire » (Bourdieu) sur le plan social, économique et politique. Car la vraie inégalité est bien par rapport aux indigènes. Les Français se regroupent autour de la défense de leur statut colonial ce qui efface en partie leurs luttes politiques. « L’institution coloniale a émoussé les heurts de classes », écrivait Pierre Nora[17]. Cette conduite a amené les Français à voter pour des représentants qui ne correspondaient pas toujours à leurs préoccupations, c’est-à-dire la bourgeoisie agricole, surreprésentée dans le monde politique algérien et qui ont entretenu le lobby colonial en métropole. Albert Memmi parle de « mystification » à propos de cette attitude :

Tous les Européens des colonies ne sont pas des potentats, constatait-il, beaucoup sont eux-mêmes victimes des maîtres de la colonisation. Ils en sont économiquement exploités, politiquement utilisés, en vue de défendre des intérêts qui ne coïncident pas souvent avec les leurs. Mais [...] le petit colonisateur est, de fait, généralement solidaire des colons et défenseur acharné des privilèges coloniaux.[18]

Ce qui fait que les différences politiques n’ont pas conduit à la remise en cause du système colonial. La Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) dénonce les excès de la colonisation mais ne condamnera jamais le fait colonial lui-même. Les leaders socialistes restent persuadés que l’apport de la civilisation est un facteur positif pour l’émancipation des peuples colonisés et leur « évolution ». Même les communistes à qui la huitième condition d’adhésion à la Troisième Internationale imposait le soutien aux mouvements de libération nationaux, se divisent au sein de l’univers colonial. Le parti communiste algérien y perd la majorité de ses adhérents européens et les militants français de Sidi Bel Abbès, petite ville rouge d’Algérie, rejettent explicitement cette condition[19]. En 1939, Maurice Thorez, leader du parti communiste, déclare même que l’Algérie est « une nation en devenir » qui n’existera que par la fusion des différentes populations d’Algérie. Mais il rejette explicitement toute identité algérienne fondée sur l’islam et l’arabisme, perpétuant ainsi la tradition de la gauche française. L’islam est vu comme un obstacle au progrès. D’où la difficulté pour les mouvements de gauche de se sentir solidaires des partis indépendantistes algériens. Après l’échec du projet Blum-Viollette (1936) qui avait pour ambition d’associer les élites indigènes au corps électoral, c’est la SFIO qui réprime les mouvements nationalistes et interdit le Parti du peuple algérien (PPA) de Messali Hadj.

Devenir des pieds-noirs

L’explosion de violence de la guerre d’indépendance surprend le « ronron colonial » des Français d’Algérie qui pensaient que leur univers était immuable. Le général Duval, en réprimant les manifestations du 8 mai 1945, ne leur avait pourtant promis que la « paix pour dix ans ». Éloignés des réalités des campagnes musulmanes et des bidonvilles, les Français d’Algérie n’ont pas su voir la misère ni la colère qui grondait, y compris parmi les élites musulmanes qui seront promptes, à l’exemple de Ferhat Abbas, à rejoindre le camp du FLN. Néanmoins, l’adhésion à l’indépendance n’est pas unanime chez les musulmans et il faut les événements dramatiques du 20 août 1955 pour que la séparation des deux communautés atteigne un point de non-retour. La haine qui se développe alors, encore amplifiée par les attentats en milieu urbain, oblige chacun à choisir son camp.

Pour les Français d’Algérie, ce repli sur la communauté gomme les différences au sein d’une population hétéroclite. Cependant, des exceptions se font jour puisque certains choisissent le camp de l’indépendance. Leur choix fait souvent l’objet d’un véritable déchirement car il conduit à la brouille définitive avec leur entourage. Choisir sa patrie plutôt que son drapeau, « la justice plutôt que sa mère », pour inverser la célèbre phrase de Camus, est souvent douloureux. Et cela n’est pas sans désillusion lorsque l’on n’est pas toujours bien accueilli de l’autre côté[20]. Le cas des « libéraux », tels qu’on les a nommés à l’époque, tentés par la solution intermédiaire est encore pire puisqu’ils se sont vus critiqués, voire moqués par les deux bords, au mieux vus comme des utopistes, au pire comme des naïfs[21].

Quelle que soit leur position durant la guerre, la plupart des Français d’Algérie choisirent la France après 1962, quelques exceptions mises à part[22]. Certains ayant souhaité vivre dans l’Algérie nouvelle ont fini par la quitter car « elle leur était devenue étrangère »[23]. La distance culturelle apparaît brusquement au grand jour lorsque l’administration française ne règne plus en maître. Et eux qui se sentaient pourtant « Algériens » se reconnaissent définitivement Français.

Des rapatriés

Arrivés en France, les Français d’Algérie se découvrent « rapatriés ». Ce terme est issu de la loi du 26 décembre 1961 « relative à l’accueil et à la réinstallation des Français d’outre-mer » qui leur donne un statut juridique particulier et leur permet ainsi de bénéficier d’aides de la part de l’État français.

Sont considérés comme « rapatriés », les « Français ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d’événements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France ». Ils doivent justifier que leur retour est lié à des événements politiques survenus dans des territoires antérieurement placés dans la mouvance française et faire la demande de ce statut ; celui-ci n’est pas donné automatiquement. En sont exclues les personnes relevant du secteur public ou parapublic outre-mer prises en charge ou reclassées par leur organisme de rattachement en métropole ainsi que les militaires de carrière. Les personnes étant rentrées par un pays étranger et y ayant séjourné plus de trois mois perdent leur statut de rapatrié. Tous les Français d’Algérie ne deviennent donc pas juridiquement des « rapatriés ». Les harkis sont, eux aussi, considérés comme « rapatriés ».

L’arrivée en France est un grand choc pour ces Français. Ils pensaient que la France leur ferait bon accueil, ils se retrouvent débiteurs de 130 ans de colonisation et de huit ans de guerre. Ils se pensaient victimes, ils se retrouvent bourreaux. La désillusion à l’arrivée en France a été d’autant plus forte que ce pays avait été largement surévalué outre-mer. La France était parée de toutes les qualités, de tous les mérites. Elle se devait d’être parfaite. Cette image relevait largement du mythe : « La patrie surévaluée des exilés français s’est fondue avec la patrie imaginaire des naturalisés », explique Pierre Nora[24].

Professionnellement, l’arrivée en France est marquée par un déclassement, plus ou moins important en fonction des professions. L’expérience professionnelle des rapatriés est souvent méprisée et leurs diplômes déconsidérés. Politiquement, ils n’ont plus de représentants, les députés d’Algérie ayant été obligés de démissionner de leur fauteuil en juillet 1962. Ils sont accueillis dans l’urgence, au milieu d’une population qui pense à ses vacances et, pour une large part, se désintéresse de leur sort. Resurgit alors l’impression, sans cesse latente outre-mer, d’être des Français de « deuxième catégorie », des « bâtards » de la colonisation. Ces migrants venus de l’Europe entière chercher fortune en Algérie, devenus « Français d’Algérie » grâce aux lois de naturalisation de 1889, « ont perdu pied en Europe, mais ne connaissent pas la France »[25]. Ils se retrouvent en France « doublement étrangers », précise Michèle Baussant « sur fonds de deux ruptures : celle des ancêtres venus en Algérie » et « celle du retour forcé »[26].

Sont-ils d’ailleurs vraiment Français ? Pierre Nora se demande comment ces Français pourront « récupérer cette précieuse substance occidentale qu’ils ont en grande partie perdue »[27] ? De ce fait, « leur sentiment d’être des citoyens de seconde zone n’est pas feint. Ils sont les premiers à être conscients de l’instabilité et du déséquilibre dans leur communauté », affirme-t-il encore[28]. Être né outre-mer devient alors objet de suspicion au regard de la métropole. Chantal Benayoun parle de l’exode comme d’une « véritable mise à l’épreuve de la citoyenneté »[29]. Cet événement oblige les Français du Maghreb à devoir prouver qu’ils sont bien Français, ce qui pour eux paraissait un fait acquis de par leur histoire, leur attachement à la France et le sang versé lors des guerres.

« Ils nous sont étrangers », en conclut même Pierre Nora. C’est effectivement ainsi que se sentent les Français d’Algérie à leur arrivée en France. Comme des étrangers, ils sont fichés, contrôlés, répertoriés. On leur interdit de s’installer dans certaines régions françaises, ayant peur qu’ils y constituent des ghettos[30]. Ils portent sur leur nouvelle carte de Sécurité sociale le n° 99 (nés à l’étranger) à la place de leur département de naissance. Politiquement leur présence inquiète. La presse de gauche les soupçonne de véhiculer avec eux le fascisme et la sédition. Les renseignements généraux sont sur le qui-vive.

Ils se sentent cantonnés dans des stéréotypes dévalorisants - le triptyque couscous-merguez-anisette - qui leur font prendre conscience du décalage entre leur vécu de « là-bas » et « d’ici ». La France leur est bien étrangère, ils ne la comprennent pas. Rajouté au choc de l’exode, le sentiment de déracinement est très fort :

L’appartenance à la nationalité française ne suffit pas à se protéger d’une frayeur que l’on ne peut pas toujours expliquer de façon rationnelle : on devient étranger dès lors que l’on pénètre dans un monde perçu, ressenti comme différent, sinon hostile.[31]

Sur la terre de France, les Français d’outre-mer découvrent leur différence et cherchent à reconstruire une identité qui n’existe plus. Ils refusent d’être des « rapatriés », se désignant plutôt comme « déracinés »[32], « expatriés » ou « exilés ». Paradoxalement, leur pays d’origine n’existe plus non plus. Leur départ est bien la preuve que cette terre n’avait jamais été à eux. Leur histoire entière est fondée sur un malentendu, une escroquerie. Ils vivent donc une double rupture - leur terre natale est devenue étrangère et ils se sentent étrangers dans leur pays - et ont le sentiment de n’avoir leur place nulle part.

Reconstruire une identité après l’exil

L’hostilité et la dispersion sont alors les facteurs d’une quête identitaire. Selon Tzvetan Todorov[33], le besoin de reconnaissance est l’un des plus puissants ressorts de nos conduites. Dévalorisés par le pays qui les accueille, eux qui pensaient en être les citoyens les plus méritoires[34], les Français d’outre-mer vont mettre en place des stratégies identitaires de façon à retrouver l’estime de soi, mise à mal depuis l’exode. « C’est bien parce que, à leur retour en France, les pieds-noirs n’ont été ni accueillis, ni reconnus pour ce qu’ils se sentaient réellement, parce qu’ils ont été considérés comme “différents”, voire coupables, qu’ils ont cristallisé et revendiqué, parfois violemment, une identité propre en réaction », explique Lucienne Martini[35]. Pour cela, ils vont se revendiquer « pieds-noirs », terme au départ plutôt péjoratif[36], dont on les a désignés à leur arrivée en France.

Le passage de l’identification du « rapatrié » au « pied-noir » ne se fait pourtant pas immédiatement. À leur arrivée en France, les Français du Maghreb, parce qu’ils ont eu le sentiment d’être étrangers, ont d’abord cherché à mettre en avant leur « francité ». L’importance était bien de retrouver sa place au sein de la cité, de s’intégrer. Pour cela, ils avaient surtout besoin de mettre en avant ce qui les rapprochait des métropolitains plutôt que de « défendre un particularisme culturel qui semblait, à cet égard, davantage constituer un handicap »[37]. L’intégration passe alors par une volonté acharnée de réussir, et de faire réussir ses enfants en investissant sur l’école et le savoir. C’est pourquoi les succès des pieds-noirs sont-ils toujours survalorisés comme le montrent les livres et articles sur la question[38].

Une fois, ce processus achevé, vient le temps de la réactivation d’un mécanisme identitaire. À cela deux raisons majeures : vaincre le traumatisme de l’exil et son cortège de honte et de difficultés, et éviter la disparition du groupe par dilution dans la société française. La première motivation de cette quête identitaire réside dans le besoin de retrouver l’estime de soi, mise à mal par l’exil et par l’accueil en France. Elle s’intègre dans un processus de défense et d’affirmation d’une communauté qui s’est sentie attaquée sur ses valeurs et sur son histoire. Pour les pieds-noirs, la rupture décisive, la blessure originelle est la guerre - ils ont vécu l’échec de l’Algérie française -, mais surtout l’exode. Pour l’historien Jean-Jacques Jordi,

le rapatriement massif, le déracinement et l’éparpillement sur le sol français, les incertitudes dues à l’exil contribuent au renforcement d’une conscience commune au-delà d’une unité religieuse, ethnique ou linguistique qui lui fait défaut.[39]

La déchirure du départ et l’hostilité de l’accueil permettent l’unité, jamais vraiment réalisée outre-mer, autour de l’« expérience commune de l’arrachement »[40].

L’exode a touché toutes les catégories, y compris les pieds-noirs favorables à l’indépendance. Peu sont restés ou alors peu de temps. L’échec des utopies coloniales quelles qu’elles soient - l’Algérie française comme l’Algérie multiculturelle - est la cause de l’exode. Le départ est synonyme d’impossibilité de vivre comme on l’avait choisi. C’est pourquoi les « pieds-rouges », tels qu’ont été appelés les Français partisans de l’indépendance, sont aussi des « pieds-noirs » car ils ont connu le drame de l’exode. Il en est de même pour la population juive d’Algérie. Chantal Benayoun parle d’une « pied-noirdisation » des juifs « qui estimaient vivre [...] l’exil d’une catégorie de Français “étrangers de l’intérieur” » et non un autre épisode de l’exil juif[41].

L’exode constitue donc le fondement d’une autre identité des Français d’Algérie. Il faut « se dire pour ne pas être condamné à être ce que d’autres disent »[42], c’est-à-dire se définir au sein de la société française comme un groupe différent. Ils choisissent alors de récupérer le terme « pied-noir », ayant pourtant, au départ, une connotation négative. Il devient le symbole d’un groupe qui cherche petit à petit à se différencier des autres Français - volontairement cette fois - par la mise en valeur d’une histoire, considérée comme oubliée par la nation et surévaluée par les Français l’ayant vécue. Réécrire le passé, de façon à en faire un passé commun à tous et transmissible aux générations futures est indispensable pour faire naître le groupe. On assiste à un retour nostalgique vers les racines et leur exaltation, à une représentation du monde colonial volontairement enjolivée qui gomme les zones d’ombre.

La mémoire collective des pieds-noirs se refonde en métropole mais en proposant une nouvelle lecture de l’histoire, plus valorisante. En effet, la mémoire n’est pas l’histoire, elle « agit comme une écluse qui ne laisse passer que ce qui peut, en elle, s’adapter aux circonstances », nous dit Roger Bastide[43]. Il faut reconstruire une identité de façon à redonner au groupe une vision positive face à l’hostilité - réelle ou imaginaire - de la société d’accueil. Ce travail d’autodéfinition du groupe est pris en main par des leaders associatifs, nombreux et souvent charismatiques. Les associations vont porter les velléités identitaires des pieds-noirs et se positionner, à partir des années 1990, dans les luttes de mémoires qui secouent la société française autour de la période coloniale et de la guerre d’Algérie. Mais là encore, c’est la pluralité qui transparaît. Les tentatives faites pour constituer une communauté unique afin de pouvoir « revendiquer en son nom »[44] sont un échec. Parler des pieds-noirs en général n’est donc pas chercher à unifier ce groupe dans une même représentation, mais chercher à comprendre ce qui en fait sa particularité dans la société française.

Bibliographie

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Viala Jean-Jacques, Pieds-noirs en Algérie après l’indépendance, une expérience socialiste. Paris : L’Harmattan, 2001.


[1] Kamel Kateb, Européens, « indigènes » et juifs en Algérie (1830-1962). Représentations et réalités des populations. Paris : PUF-INED, 2001.

[2] Cité par Kamel Kateb, op. cit., p. 203.

[3] Alger, Oran, Constantine, Bône, Mostaganem et Philippeville.

[4] Louis Bertrand in Lucienne Martini, Racines de papier. Essai sur l’expression littéraire de l’identité pied-noire. Paris : Publisud, 1997, p. 20.

[5] L. Bertrand, Le sang des races. Paris : P. Ollendorff éditeurs, 1899.

[6] Conférence donnée à la Maison de la Culture d’Alger, le 8 février 1937.

[7] Gabriel Audisio, Jeunesse de la Méditerranée. Paris : Gallimard, 1935.

[8] « Je crois à la Méditerranée, parce je crois à sa jeunesse, parce que je crois à son génie qui est une valeur éternelle, éternellement créatrice », Gabriel Audisio, extrait de sa conférence donnée en 1935 sur « La Jeunesse de la Méditerranée ».

[9] Albert Camus, Noces, l’été à Alger. Paris : Gallimard, 1950, p. 45-46.

[10] Sous-titre donné à la revue Rivages fondée par l’Algérois Edmond Charlot en 1938.

[11] Pierre Bourdieu, Sociologie de l’Algérie. Paris : PUF (Collection Que sais-je ? n° 802), 1958, p. 114.

[12Ibid, p. 114.

[13]« L’Arabe n’est plus perçu que sous l’angle du rapport économique avec l’Européen », Pierre Bourdieu, Sociologie de l’Algérie, op. cit., p. 115.

[14] Feraoun Mouloud, Journal, 1955-1962. Paris : Seuil, 1962, p. 45.

[15] Ce terme a le sens de « retournés », celui qui a retourné sa veste, une sorte de traître à sa religion.

[16] Discours de Gaston Doumergue, président de la République, cité par Gustave Mercier, Le centenaire de l’Algérie. Exposé d’ensemble, t. I. Alger : Éditions Soubiron, 1931.

[17] Pierre Nora, Les Français d’Algérie. Paris : Julliard, 1961, p. 49. Il précise même : « La communauté française s’est figée dans un comportement de minorité. Le rapport de race à race, toujours présent, jamais avoué, a écrasé de tout son poids les rapports de classe à classe. »

[18] Albert Memmi, Portrait du colonisateur. Paris : Gallimard, 1985 (1re édition 1957), p. 39-40.

[19] Cité par Claude Liauzu dans son article pour « Histoire du travail et du mouvement ouvrier au Maghreb », Oriente moderno, 1996, vol. 76, n° 4 ? p. 187-210.

[20] Voir la vie de Jean Sénac qui a choisi de soutenir le FLN et l’indépendance, qui deviendra Algérien en 1962. Il sera assassiné chez lui en 1973, mis au ban du pouvoir à l’époque de Boumédiene. Voir Jean-Pierre Péroncel-Hugoz, Assassinat d’un poète. Paris : Édition du quai, 1998 (1re édition : 1983). D’autres ont choisi de revenir en France, plus tard, déçu du pouvoir du FLN et de ce qu’était devenue l’Algérie qui n’était plus la leur : le cas de Lisette Vincent, par exemple décrit par Jean-Luc Einaudi, Vincent Lisette, un rêve algérien. Paris : Dagorno, 1991. Voir aussi Claude Liauzu, Passeurs de rives. Changements d’identité dans le Maghreb colonial. Paris : L’Harmattan, 2000 (ouvrage où l’on trouve d’autres exemples comme ceux-ci).

[21] Voir les portraits qu’en dressent Pierre Nora dans Les Français d’Algérie ou Albert Memmi dans Portrait du colonisateur, le premier les voyant comme « des néants historiques », le second raillant leur « inefficacité politique », leur seul choix résidant « entre le mal et le malaise ».

[22] Seuls 193 hommes et 57 femmes demandèrent la nationalité algérienne entre 1962 et 1965. Chiffres cités par Claude Liauzu, Passeurs de rives, op.cit., p. 106.

[23] C’est le cas de Charles Poncelet, ami de Camus, qui quitte l’Algérie en 1968. Voir aussi Jean-Jacques Viala, Pieds-noirs en Algérie après l’indépendance, une expérience socialiste. Paris : L’Harmattan, 2001.

[24] P. Nora, op. cit., p. 84.

[25Ibid., p. 83.

[26] Michèle Baussant, Pieds-noirs, mémoires d’exils. Paris : Stock, 2002, p. 381.

[27] « Les plus profondément menacés, donc les partisans les plus fervents de l’Algérie française, sont peut-être ceux qui, isolés dans le bled, ont subi l’influence du milieu arabe ; et partageant sous le même climat la même vie, ils ont fini par adopter les mêmes mœurs. » Pierre Nora, op. cit., p. 51.

[28Ibid, p. 133.

[29] Chantal Benayoun, « Juifs, pieds-noirs, séfarades ou les trois termes d’une citoyenneté ». In Jean-Jacques Jordi et Émile Temime (dir.), Marseille et le choc des décolonisations. Marseille : Édisud, 1996, p. 127.

[30] « Si on laisse les choses suivre leurs cours, le reclassement des rapatriés risque d’accroître encore certains déséquilibres régionaux, d’enrichir les secteurs riches et d’appauvrir les secteurs pauvres », déclare Alain Peyrefitte, ministre délégué auprès du Premier ministre chargé des Rapatriés, au journal Galop d’essai, le 1er novembre 1962. Il cherche alors à modifier, de façon autoritaire, ce déséquilibre géographique en interdisant certaines zones aux rapatriés sous peine qu’ils se voient refuser les prestations de retour et de subsistance. Télégramme officiel du secrétariat d’État aux Rapatriés aux préfets, daté du 10 septembre 1962, archives départementales de la Seine, classement Pérotin 1023/68/1.

[31] Pierre Milza, Émile Temime, préambule au Belleville des Juifs tunisiens de Patrick Simon et Claude Tapia, Paris : Autrement, 1998, les pages du préambule ?

[32] Titre de l’ouvrage de Danièle Michel-Chich sur les Français d’Algérie, Les Déracinés, les Pieds-Noirs aujourd’hui. Paris : Calmann-Lévy, 1990.

[33] Tzvetan Todorov, La vie commune. Essai d’anthropologie générale. Paris : Seuil, 1995.

[34] « Il [le colonialiste] se présente, il le rappelle fréquemment, comme l’un des membres les plus conscients de la communauté nationale ; finalement l’un des meilleurs. Car, lui, est reconnaissant et fidèle. Il sait, lui, contrairement au métropolitain, dont le bonheur n’est jamais menacé, ce qu’il doit à son origine. » Albert Memmi, Portrait du colonisateur, op. cit., p. 79.

[35] L. Martini, Racines de papier..., op. cit., p. 33.

[36] « L’attribution de l’appellation pied-noir aux membres de cette communauté consacrait donc leur relative marginalisation, en vertu de leur commune naissance en Algérie, et rappelait leur “compromission” coloniale ». M. Baussant, Pieds-noirs, mémoires d’exils, op. cit., p. 407.

[37] C. Benayoun, Marseille et le choc des décolonisations, op. cit., p. 127.

[38] Voir les ouvrages d’ Ysabel Saïah, Pieds-noirs et fiers de l’être. Paris : Éd 13, 1987 ; et de Richard Koubi, Pieds-noirs, belle pointure. Versailles : Éditions de l’Atlanthrope, 1979 ; ou les articles des grands hebdomadaires en 1987 lors du 25e anniversaire de l’exode ; les sites des associations pieds-noirs citent presque toutes les personnalités pieds-noirs qui « ont réussi ».

[39] J.-J. Jordi, De l’exode à l’exil. Rapatriés et pieds-noirs en France, l’exemple marseillais. Paris : L’Harmattan, 1993, p. 14.

[40] Robert Garcin, Genèse de l’exode des Européens d’Algérie. L’Arrachement. 2 tomes, Nice : Édition Gilletta, 1982.

[41] C. Benayoun, Marseille et le choc des décolonisations, op. cit., p. 127.

[42] L. Martini, Racines de papier..., op. cit., p. 34.

[43] Roger Bastide, « Mémoire collective et sociologie du bricolage », L’Année sociologique, 3e série, 1970, p. 94.

[44] Éric Savarèse, L’invention des Pieds-Noirs. Paris : Séguier, 2002.


Citer cet article :
Valérie Esclangon-Morin, «  Les Français d’Algérie ou la constitution d’une communauté française à partir d’une double migration  », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007,
http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=234