ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


COMOR André-Paul

Université Paul Valery - Montpellier III, UMR 5609 du CNRS, États, sociétés, idéologies, défense (XVIe-XXe siècles)

Le haut commandement, la direction et la conduite de la guerre d’Algérie : Paris ou Alger ?

Session thématique « Une guerre de reconquête coloniale »

Mercredi 21 juin 2006 - Après-midi - 14h00-16h00 - Salle F 08

Pendant la guerre d’Algérie les critiques de l’action de l’armée et les questions sur le rôle du haut commandement dans la direction comme la conduite des « opérations de maintien de l’ordre » ont suscité bon nombre d’interrogations et de controverses et donné lieu à des études, ouvrages plus ou moins polémiques sur la crise et le malaise de l’armée qui mettaient en exergue les problèmes soulevés par la « gestion » des « événements » depuis la « Toussaint rouge »[1]. Depuis l’ouverture des fonds de la guerre d’Algérie des archives du Service historique de la Défense (SHD) de Vincennes et du Centre des archives d’Outre-mer (CAOM) d’Aix-en-Provence les aspects strictement militaires du conflit ont enrichi l’historiographie et renouvelé les problématiques[2]. Ainsi le champ des recherches sur les structures du commandement et la prise de décision sous les IVe et Ve Républiques longtemps chasse gardée des juristes comme des politologues est désormais ouvert aux historiens[3]. En effet, les fonds privés et les séries du SHD consacrées aux délibérations des différents organismes consultatifs comme le Conseil supérieur de la guerre (CSG) et le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) ou le Comité des chefs d’état-major (CCEM) ouvrent de nouvelles pistes sur le rôle des chefs militaires dans le déroulement du conflit[4]. De plus, les archives de la 10e région militaire et du Gouvernement général de l’Algérie renferment de nombreux documents sur la « prise de décision » du second centre de « pouvoir militaire » durant le conflit.

Mais il convient au préalable de définir ce terme générique. Le haut commandement comprend stricto sensu le général en chef et les états-majors. Il désigne donc le niveau suprême du commandement militaire à la charnière des deux « pouvoirs » dans et pendant la guerre[5]. Cette expression impersonnelle ne vaut, en dernière analyse, que par le commandant en chef, en l’occurrence le chef d’état-major général. Sous la IVe République, le CCEM constitue le haut commandement national et fournit au chef du gouvernement des avis « éclairés » sur la politique de défense. Le comité assure en outre la direction et l’emploi des forces armées ; à ce titre il doit être tenu pour le centre de décision militaire sous l’autorité et la responsabilité de son chef d’état-major[6]. Dès lors, la compétence des hauts responsables de l’armée doit - et devrait dans le cas présent - se borner à la seule conduite des opérations. Dans un conflit « conventionnel » le pouvoir politique fixe les buts de guerre et les chefs militaires définissent et proposent au gouvernement la stratégie et les moyens d’obtenir la victoire. L’embarras du gouvernement dès le déclenchement de la guerre en Algérie sur la riposte et la réponse au défi lancé par le Front de libération nationale (FLN) permet aux militaires de peser sur la décision politique. Aussi, le chef d’état-major général, détenteur du commandement, dont la responsabilité politique en tant que conseiller militaire du gouvernement est avérée, occupe le devant de la scène jusqu’au retour au pouvoir du général de Gaulle.

En effet, alors que l’instabilité prévaut en politique, avec les changements de titulaires dans les départements militaires - ministère de la Défense nationale ou de la Défense nationale et des Forces armées, mais aussi les secrétariats d’État à la Guerre, à l’Aviation et à la Marine -, en revanche, entre 1953 et 1961, les ministres n’ont qu’un même interlocuteur militaire[7]. Il n’en est pas de même à Alger où les chefs militaires se succèdent : la manière de conduire les opérations suscite les critiques de Paris qui s’impatiente jusqu’à exiger des « résultats » rapides[8]. Pour l’armée qui sort meurtrie du conflit indochinois l’ouverture d’un nouveau « front » en Méditerranée relance le débat stratégique et offre l’occasion aux partisans de la « défense de l’Occident » de s’exprimer. Avant même de réaliser la gravité des « événements » et d’arrêter une stratégie adaptée, les hauts responsables militaires - plus exactement les chefs de l’armée de terre qui détiennent les postes clés - adoptent une ligne de conduite, étonnamment invariable, lourde de conséquences jusqu’au dénouement du conflit. La rapide dégradation de la situation dans les départements algériens après les massacres du 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois peut-elle expliquer à elle seule les décisions qui ont pesé sur la direction de cette guerre déjà qualifiée de « non orthodoxe » par les théoriciens - et praticiens - de la guerre révolutionnaire influents dans les états-majors parisiens et algérois[9] ? Quelle est la part de responsabilité des généraux dans la politique de fermeté aussitôt adoptée en Algérie : peuvent-ils être tenus comme les inspirateurs, de simples exécutants ou pour les ultimes décideurs ? Enfin, qui, de Paris ou d’Alger, décide et dirige en dernier ressort ? Dans quelle mesure les responsabilités sont-elles partagées ? Après le putsch d’avril 1961 Paris reprend politiquement l’initiative : Alger retrouve son rang subordonné. On peut considérer, à cette date, le problème de la direction de la guerre résolu.

1954-1956 : l’initiative revient à la 10e région militaire

La Toussaint rouge surprend les politiques à Paris alors même que les avertissements et les mises en garde du colonel Schœn qui dirige le Service des liaisons nord-africaines depuis 1947 et du préfet Vaujour, directeur de la Sécurité générale, auraient dû les alerter sur l’imminence d’une insurrection[10]. Dans un premier temps, le gouvernement Mendès France répond à la vague d’attentats par l’envoi de renforts destinés à rétablir l’ordre. Cependant, si le doute persiste au gouvernement sur la nature des « événements », les chefs militaires ont une première occasion d’exprimer une opinion tranchée au cours d’une réunion du CSFA consacrée à l’orientation de la stratégie militaire qui se tient le 9 décembre 1954 sous la présidence du général Koenig, ministre de la Défense nationale et des Forces armées[11]. La séance donne lieu à un échange entre les généraux des trois armées à la suite du long exposé de leur pair, le général Callies, inspecteur des forces terrestres, maritimes et aériennes d’Afrique du Nord depuis le 1er septembre[12]. L’ancien commandant de la 10e région militaire présente son point de vue sur la stratégie (française) de défense de l’AFN dans l’espace « eurafricain » en postulant que « la notion de France réduite à son territoire métropolitain [est] désormais totalement révolue ». Dès lors, selon lui, l’« AFN est donc devenue le centre de gravité du système français, et dans un cadre plus large, de l’Europe occidentale ». Callies met aussitôt l’accent sur la nécessité de poursuivre l’« action politique [qui], doit impérativement viser à l’assimilation dans la nation française des populations nord-africaines car on ne maintient pas indéfiniment par la force des peuples aussi nombreux dans une obéissance non consentie ». Il ne fait qu’exprimer une opinion largement répandue dans l’armée d’Afrique et parmi les « coloniaux » encore influents dans les grands états-majors.

Au cours de la discussion qui suit une seule voix discordante s’élève pour relever les contradictions de la stratégie centrée sur l’Eurafrique et de la défense de l’« Occident »[13]. L’inspecteur des troupes d’outre-mer, le général de Larminat, qui s’est distingué par ses prises de position en faveur de la Communauté européenne de défense, met clairement en doute la capacité de la France à maintenir sa souveraineté dans les territoires de l’Union française. Le dernier mot revient au général Guillaume, chef d’état-major général des forces armées, qui, fort de l’approbation tacite du ministre - silencieux pendant la séance - et des autres membres militaires du conseil, appuie de son autorité et de son expérience d’officier de l’« armée d’Afrique » l’analyse et l’argumentation de Callies[14]. Le haut commandement inscrit désormais la guerre d’Algérie dans le cadre exclusif de la défense du flanc sud de l’Europe sans prendre en compte l’émergence du nationalisme algérien, le plus souvent qualifié de « séparatisme »[15].

Pour autant, jusqu’au 20 août 1955 le haut commandement limite ses interventions auprès du gouvernement à des demandes de renforts destinés à répondre à la lente mais inexorable extension de la rébellion dans l’Est algérien. La direction des opérations échappe au général Guillaume du CEMGFA, alors qu’Alger se résout à appliquer les méthodes héritées de l’armée d’Afrique. En effet, le général Cherrière[16], en poste depuis le 13 août 1954, applique dans un premier temps la tactique des « Africains » qui consiste à montrer la force au cours de tournées de police, mais il se laisse rapidement déborder par ses subordonnés dont les initiatives sur le terrain heurtent le nouveau gouverneur général de l’Algérie, Jacques Soustelle[17]. Le 3 juillet 1955, un autre « Africain », le général Lorillot en poste au commandement supérieur allié en Europe, le remplace pour appliquer les directives de Jacques Soustelle soucieux de ménager la population musulmane et de limiter les prérogatives des militaires enclins à réclamer une plus grande liberté d’action. Toutefois, la décision prise le 19 juin 1955 par le général Allard, commandant la division de Constantine, de fixer l’« attitude à adopter vis-à-vis des rebelles » reçoit l’entière approbation de Maurice Bourgès-Maunoury, ministre de l’Intérieur, et de Pierre Koenig, ministre de la Défense nationale. L’application de cette « instruction » étendue dès le 1er juillet à l’ensemble de l’Algérie renforce de facto le « pouvoir militaire » tant sur le terrain qu’au commandement supérieur interarmées, directement responsable de la conduite des opérations[18]. Une nouvelle étape est franchie lorsque le drame du 20 août 1955 convainc - ou contraint ? -le gouverneur général de laisser les mains libres à l’armée.

Paris reste en retrait en raison des difficultés rencontrées par le règlement de l’affaire indochinoise et les questions soulevées par la succession du CEMGFA qui doit en outre faire face au mécontentement des états-majors à la suite de la décision de l’envoi de grandes unités (GU) - en l’occurrence des divisions du format OTAN - en Algérie (re)devenue province militaire[19]. Le transfert de « compétence » et de responsabilité est réalisé à la faveur de l’aggravation de la situation qui traduit avant tout l’impuissance du pouvoir politique. Après les manifestations et la « capitulation » du 6 février 1956, l’arrivée de Robert Lacoste en tant que ministre résidant de même que le vote des pouvoirs spéciaux le 12 mars ne changent en rien la donne en dépit de la volonté affichée du gouvernement de trouver une solution politique au conflit. L’unité d’action - entre politiques et militaires - affichée peut faire illusion avec des directives émanant du ministre résidant qui multiplie les interventions et autres déclarations musclées.

À la veille de la bataille d’Alger, le gouvernement et a fortiori le haut commandement ont cédé la direction de la guerre à la 10e région militaire. Les fréquents déplacements en Algérie de Bourgès-Maunoury et de son secrétaire d’État aux Forces armées (terre) chargé des affaires algériennes, Max Lejeune, pour appuyer les efforts d’une armée de métier renforcée depuis par les rappelés et appelés du contingent ne parviennent pas à masquer leur impuissance[20]. De surcroît, le 13 novembre 1956, le changement de titulaire à la tête de la 10e région militaire, un vieux colonial vient renforcer le camp des « ultras » jusque dans les états-majors subordonnés. Le détournement de l’avion transportant les chefs du FLN le 22 octobre avec l’accord de Max Lejeune précédé quelques semaines plus tôt par l’arraisonnement le 16 septembre de l’Athos semble donner raison au général Callies et aux « Africains ». À l’état-major général des forces armées, le général Ely qui a retrouvé son poste à la tête de l’armée est résolu à combattre les dérives parmi les « centurions ». Il découvre ce microcosme pendant sa mission en Indochine, au cours d’une inspection au Tonkin en novembre 1954. Il prend la mesure du problème posé par la politisation des officiers de l’armée de métier ébranlés par la défaite de Điện Biên Phủ[21]. S’il est décidé à reprendre en main une armée qui traverse une grave crise, le CEMGFA doit avant tout régler la question de la direction (militaire) du nouveau conflit[22]. Mais Ely - officier métropolitain au caractère secret, longtemps éloigné des états-majors parisiens - affronte une fronde des généraux remontés contre lui en raison de sa participation à la « liquidation » de l’Indochine. Faute de pouvoir vaincre les préventions de ses pairs, le chef d’état-major se tourne vers le chef du gouvernement afin de renforcer son autorité sur l’armée[23].

1957-1958 : une direction bicéphale ?

Aussitôt nommé, soucieux de rétablir l’unité de commandement, Ely demande un élargissement de ses attributions. Il a dû subir au cours des mois qui ont précédé sa prise de fonction le lourd climat régnant au sein des hautes instances de l’armée déchirées par les luttes intestines entre les chefs de file des « écuries ». Le 27 juillet 1956, en pleine crise de Suez, il met en balance sa démission et obtient de haute lutte de Bourgès-Maunoury le titre d’inspecteur général des forces armées qui accroît de facto et de jure ses prérogatives en temps de paix comme en temps de guerre[24]. Accaparé jusqu’à l’automne par la préparation de la guerre contre l’Égypte, il délaisse le « dossier » algérien dont il avait pris connaissance par une première et longue inspection dans l’Est et en Kabylie entre le 4 et le 9 mai[25]. Préoccupé par la tournure des événements à la frontière tunisienne, il s’informe en décembre 1956 auprès des responsables militaires et des officiers des unités engagées dans la zone avant d’engager sa responsabilité dans la direction effective de la guerre dont il ne cache pas que sa conduite doit être revue par Alger.

Le CEMGFA obtient du gouvernement Mollet l’augmentation des effectifs réclamée avec insistance par le général Salan, confronté à l’offensive terroriste lancée par le FLN dans les grands centres urbains et au renforcement du potentiel des forces intérieures de l’Armée de libération nationale (ALN), mieux armées, agressives et plus aguerries. Mais la bataille d’Alger le prend de court et il ne peut intervenir directement en sa qualité de chef de l’armée. En effet, à Alger, Robert Lacoste confie au commandant de la 10e division parachutiste, le général Massu, la totalité des pouvoirs de police pour rétablir la sécurité dans l’agglomération. Mais l’affaire Bollardière qui éclate le 27 mars 1957 contraint Ely à monter au créneau. Pour lui l’exemple donné par cet ancien de la France libre, de surcroît brillant officier parachutiste, peut avoir un effet néfaste sur le moral de la troupe qui commence à se poser des questions sur la licéité et la légitimité de l’emploi de la torture des suspects pour obtenir les renseignements destinés à détruire l’organisation politico-administrative (OPA) tant redoutée[26].

Ely relève dans son journal à la date du 5 avril 1957 que cette affaire est plus grave à ses yeux que celle qui avait mis en cause en décembre 1956 le général Faure impliqué dans un complot visant à écarter Robert Lacoste[27]. La note qu’il rédige à l’intention des hauts responsables de l’armée pour expliquer la décision - à sa demande - de sanctionner le comportement des « officiers exerçant des responsabilités en Afrique du Nord » esquive la question soulevée par ce « refus [déguisé] d’obéissance ». Le CEMGFA ne cache pas que la crise est « un symptôme - et non le moindre - du désarroi des esprits et des consciences [car] l’autorité et la discipline », les deux vertus dont l’armée est dépositaire sont en cause. Sans chercher à éluder la question posée par l’exercice de l’autorité dans ce type de conflit, Ely estime que le chef « s’il doit essayer de faire réfléchir ses subordonnés “doit se réserver à lui seul les cas de conscience” et les résoudre dans le silence. Car le silence est la condition de l’action ». Avant d’appuyer sa conclusion sur l’impérieuse nécessité de maintenir l’autorité et l’obéissance, il revient sur l’emploi de l’armée dans la « guerre [à caractère] totalitaire qui peut laisser croire parfois à une confusion involontaire des pouvoirs civils et militaires ». Il s’étonne que trop de rapports, trop de conversations laissent croire que l’armée répugne à des missions qu’elle ne considère pas comme les siennes. Cette guerre subversive dans laquelle la France est engagée impose à l’armée des responsabilités qui dépassent largement celles auxquelles elle était traditionnellement entraînée. Aussi doit-elle « sortir d’une optique périmée »et envisager le péril qu’elle doit surmonter, l’ennemi qu’elle doit vaincre « non comme une hypothèse d’école mais comme une implacable réalité »[28]. Ainsi, le chef de l’armée couvre ses subordonnés pour préserver avant tout la cohésion et le moral de la troupe : il a pleine connaissance des dérives mais il s’interdit de les condamner publiquement malgré les échos qui lui parviennent d’Alger et le doute qui l’assaille[29].

Au printemps 1957, Ely, insatisfait de la conduite des opérations comme de l’exercice du commandement du général Salan qui a été son subordonné en Indochine, n’hésite plus : en accord avec Bourgès-Maunoury, il décide d’assurer la direction « militaire » de la guerre. Outre les notes dont il inonde les états-majors et celles qu’il envoie à son ministre, le CEMGFA active les travaux de la commission chargée depuis le 2 octobre 1956 de préparer l’instruction sur l’emploi de l’arme psychologique[30]. Dans l’exposé des motifs de l’instruction adressée le 28 décembre 1956 au ministre de la Défense nationale, il reprend à son compte les thèses - qu’il partage depuis son passage au Standing Group de Washington et sa découverte in situ de la guerre révolutionnaire - des officiers « contre-révolutionnaires »[31]. Enfin, le 26 juin 1957, il envoie à Salan une directive générale destinée à clarifier les missions et à « définir les lignes d’action en Algérie pour les trois mois à venir et fixer les buts à atteindre dans ce délai »[32]. Il revient à plusieurs reprises sur les problèmes de commandement qui le préoccupent depuis son retour à la tête de l’armée. L’unité d’action réclamée - et obtenue dans la plupart des zones de combat - doit se faire au profit des militaires car « plus on avance dans la pacification plus cette prise de responsabilités par l’autorité militaire est indispensable ». De même dans le domaine de l’action psychologique il estime qu’il faut « contrebattre ce véritable terrorisme qui consiste à “jeter des grenades” dans les esprits en montant systématiquement en épingle tous les incidents fortuits et disparates qui peuvent servir une thèse. Dans ce domaine aussi il faut reprendre l’initiative en protégeant - comme les Anglais en Malaisie ou au Kenya - notre action par un voile de silence et en devenant maître de la publicité à faire ».

À la suite d’une nouvelle inspection en Algérie effectuée entre le 13 et le 15 juillet, il rend compte de la situation à André Morice qui, troublé et ébranlé par le pessimisme du CEMGFA, décide de soumettre au président du Conseil son projet de création d’un « comité de guerre » rassemblant les trois responsables politiques de la direction de la guerre, Bourgès-Maunoury, Morice et Lacoste. Le chef du gouvernement approuve cette proposition afin de mieux « contrôler » Robert Lacoste dont l’autorité est contestée tant par le haut commandement que par les deux ministres[33]. Préoccupé par la médiocrité des résultats obtenus sur le terrain à la suite de ses « directives », Ely se rend à trois reprises en Algérie entre le mois d’août et le mois d’octobre pour constater à nouveau que les rapports entre Lacoste et Salan ne se sont pas améliorés[34]. Entre-temps, il avait approuvé la directive du ministre résidant sur le droit de poursuite dont l’exercice sur le territoire des anciens protectorats venait d’être décidé par le gouvernement[35]. Les instructions de Robert Lacoste sont claires et elles s’adressent aux plus bas échelons car « le droit de poursuite doit être “suffisamment décentralisé dans le domaine de la décision” pour que soit immédiatement sanctionnée toute injure portée à nos populations ou à nos forces par des éléments stationnés ou cherchant un refuge au-delà de nos frontières. Le “droit de poursuite est ouvert, il faut l’utiliser” »[36]. Contrairement à ce qui a été écrit par ailleurs le principe du recours « au droit de suite » n’a pas été admis - et/ou approuvé - par le Conseil des ministres du 29 janvier 1958 mais bien décidé par Lacoste six mois plus tôt après consultation et approbation du gouvernement Maunoury[37].

Jusqu’au 13 mai 1958, Ely plus que jamais résolu à diriger et à terminer la guerre, tente vainement de reprendre l’initiative sans parvenir à surmonter deux obstacles de taille. L’atmosphère qui règne à Alger où Lacoste, véritable proconsul, ne s’entend pas avec Salan critiqué par ses subordonnés et par le haut commandement à Paris ne permet plus de contrôler la situation. En outre, depuis le 6 novembre 1957, le chef d’état-major ne parvient pas à s’entendre avec le nouveau ministre de la Défense nationale et des forces armées du gouvernement Félix Gaillard, Jacques Chaban-Delmas. Il lui reproche d’intriguer et de lui refuser les moyens d’assurer - et d’assumer - la plénitude de ses prérogatives en matière de guerre. Ses interventions et ses entretiens souvent orageux avec l’ancien adjoint du délégué militaire du gouvernement provisoire de la République française (GPRF) sous les ordres duquel il avait accepté de servir sont révélateurs du fossé entre le pouvoir politique et les représentants de l’armée[38].

Avant même le dénouement de la crise de Sakiet le général Ely, impuissant, ne peut que déplorer l’absence de résolution à Alger : à plusieurs reprises il s’en inquiète auprès de Chaban-Delmas, mais, à la recherche d’un officier général qualifié pour commander la 10e région militaire il se résout à maintenir Salan confronté à l’offensive lancée par l’ALN depuis la fin de l’année[39]. Alors que la bataille des frontières fait rage, le haut commandement ne peut que soutenir Alger dans la conduite des opérations menées par les réserves générales. Le CCEM est accaparé depuis le printemps 1956 par la préparation du plan militaire à long terme (PMLT) qui sensibilise et préoccupe plus particulièrement les chefs d’état-major des armées de l’air et de mer : aussi, Ely assume, le plus souvent dans la solitude, la responsabilité des grandes décisions prises collégialement. Même le général d’aviation Maurice Challe, qui est pressenti pour lui succéder comme CEMGFA, est rarement associé à la prise de décision. Sans doute sa manière de commander qui déconcerte parfois ses subordonnés explique-t-elle les nouvelles difficultés qu’il rencontre au retour au pouvoir du général de Gaulle[40].

1959-1962 : le retour à la primauté du politique

Le second proconsulat confié à Salan, délégué général du gouvernement, maintenu en dépit des réticences contenues du général Ely et du dernier chef du gouvernement de la IVe République, sert d’intermède et d’expédient provisoire pendant la phase délicate de la préparation du référendum sur la nouvelle constitution. Il confirme enfin la justesse des opinions et des jugements émis depuis dix-huit mois sur l’action du général Salan, usé par deux longues années de commandement dans des conditions il est vrai exceptionnelles. Le choix d’Ely se porte sur Maurice Challe qui reçoit - en application des nouveaux textes sur la politique de défense - ses directives directement du ministre de la Défense nationale après délibération du gouvernement qui fixe, sous l’autorité du Premier ministre, les buts de guerre, les objectifs définis préalablement par le chef de l’État. L’ordre politique restauré, c’est aussi et surtout toute la chaîne hiérarchique qui retrouve sa pertinence et sa cohérence après la confusion des années troublées (1956-1958). Le CEMGFA, rétabli par De Gaulle à la tête de l’armée après sa démission pendant la crise de mai 1958, doit progressivement s’effacer malgré des tentatives infructueuses pour retrouver son rang et la plénitude de son commandement[41]. Le président du Conseil et ministre de la Défense nationale désireux de reprendre en main l’armée effectue une inspection entre le 1er et le 5 juillet : il agit en tant que chef politique de l’armée. Le CEMGFA l’accompagne en sa qualité de chef militaire. Le temps de l’ingérence politique de l’armée semble révolu. L’offre de la « paix des braves » le 23 octobre traduit la volonté affirmée du général de Gaulle de se conduire en chef politique « de la guerre ». Ely en prend acte au cours de la dernière réunion du comité des chefs d’état-major qui se tient le 20 décembre 1958, à la veille de l’élection présidentielle[42].

Le haut commandement perd donc le contrôle direct du dossier militaire de la guerre. Les directives désormais émanent de Matignon et de l’Élysée. La mission de Challe est assignée par l’exécutif qui fixe les objectifs. Il s’agit en l’occurrence de gagner la guerre. Il revient au successeur de Salan comme « commandant en chef des forces en Algérie » de conduire les opérations et d’écraser la « rébellion ». Quant à Ely, promu chef d’état-major de la Défense nationale depuis la promulgation de l’ordonnance du 7 janvier 1959, il se borne pour l’Algérie à effectuer des inspections espacées - il a perdu ses prérogatives d’inspecteur général qui lui conféraient une plus grande autorité et un certain ascendant sur le corps des officiers - au cours desquelles il suit l’évolution sur le terrain du « plan Challe » et prend la température de la troupe. Ainsi, pendant la seconde « visite des popotes » de De Gaulle en août 1959, le général Ely s’efface sans pour autant renoncer à son droit « de réponse ». Les nombreux entretiens en tête-à-tête avec le chef de l’État lui donnent l’occasion d’émettre des réserves et de formuler ses critiques sur la conduite de la politique algérienne. Il continue de défendre la « solution française » à l’état-major général de la Défense nationale en août 1959 mais se montre prudent et plus circonspect après le discours du général de Gaulle sur l’autodétermination[43]

En revanche, pendant la semaine des Barricades, avant de s’envoler pour Alger au cours d’un entretien avec le chef de l’État, il n’hésite pas à exprimer son désaccord sur la gestion de la crise. Ely s’exprime en sa qualité de chef d’état-major pour « répéter et je répéterai toujours parce que telle est ma conviction profonde que la France ne peut abandonner l’Algérie. Pour l’Algérie d’abord, pour la France aussi en ce que les destins de l’un et de l’autre sont liés. Pour la France en ce qu’elle est dans la Communauté, “une puissance mondiale”. Enfin pour la défense de l’Occident dans un nécessaire équilibre du monde »[44]. Il ose même demander au général de Gaulle de modifier le texte de l’allocution qu’il doit prononcer à la télévision le 29 janvier. Ce dernier accepte de changer quelques points de détail. Pour le reste, il essuie un refus cinglant qui le convainc de la détermination farouche du président de la République de poursuivre sa politique.

La nomination de Pierre Messmer au ministère des Armées, le 5 février, signifie qu’Alger perd définitivement l’autonomie relative héritée des proconsulats de Lacoste et de Salan. La sortie de guerre décidée à l’Élysée, le contrôle de la mise en œuvre du désengagement assuré par le ministre des Armées, la direction comme la conduite des opérations ressortissent désormais à la « technique militaire ». Ainsi, le général Ely, malgré ses états d’âme, doit se plier aux ordres donnés par le général de Gaulle qui l’envoie en Algérie en simple émissaire chargé d’expliquer aux généraux que « la page de l’Algérie est tournée »[45].

L’épilogue : vers la fin de l’« ordre militaire » en France

Jusqu’au dénouement de l’affaire algérienne le positionnement de la plupart des chefs militaires - en l’occurrence les généraux de l’armée de terre, directement impliquée et engagée dans les opérations - qui ont entretenu l’illusion sur la nature de la guerre explique en grande partie le rôle important joué auprès des politiques par le haut commandement jusqu’au retour au pouvoir du général de Gaulle. Si la confusion était possible - voire même la règle - sous la IVe République, le doute n’est plus permis après le 13 mai. Ely ne peut plus prétexter de son rang dans la hiérarchie militaire pour exercer un certain pouvoir d’« influence » sur le chef de l’État. Le rétablissement de la « direction politique de la guerre » n’écarte cependant pas le danger d’ingérence de l’armée jusqu’à la fin du conflit. Si la révolte des généraux, en avril 1961, traduit le désarroi de nombreux officiers qui n’ont pas désarmé ni renoncé à agir avec l’espoir de changer le cours de l’histoire, la détermination du chef de l’État n’est en rien entamée. L’ordonnance du 7 janvier 1959 annonce déjà la réforme profonde du haut commandement confié à son chef d’état-major particulier (CEMP), le général Jean Olié dont la loyauté lui est acquise[46]. À la faveur de la dernière guerre française de décolonisation se noue une relation privilégiée entre le chef militaire - le chef d’état-major - et le chef politique des armées. Le chef de l’État et Ely qui ont une vision commune et partagée de la politique de défense - globale - se séparent sur la politique algérienne mais aussi et surtout sur le rôle du chef d’état-major. De Gaulle veut mettre le militaire sous le contrôle du politique alors que le CEMGDN défend les prérogatives attachées à la fonction de « conseiller militaire » du gouvernement. L’« unité d’action » dans la direction de la guerre réclamée avec insistance par Ely lors de sa prise de commandement en 1956 est réalisée à la faveur du changement des institutions. En ce sens, la guerre d’Algérie consacre une évolution amorcée par la loi du 11 juillet 1938 en précipitant la réforme de la politique de défense de la France reportée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Désormais la mission du haut commandement militaire se limite à la préparation et la gestion des forces[47].


[1] L’opinion publique est très tôt saisie par la presse. Le Monde et Témoignage chrétien mais aussi L’Express ou L’Observateur sont à l’origine du débat sur la torture ou sur la politique des regroupements. Les grandes figures du centre catholique des intellectuels français ne sont pas en reste : ils ravissent parfois la vedette aux ténors de la « nouvelle gauche ».

[2] Jacques Frémeaux, La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962. Paris : Economica, 2002. Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d’Algérie. Paris : Picard, 2002 ; id., « L’historiographie de la guerre d’Algérie en France, entre histoire et mémoire ». Historiens et géographes, octobre 2004, n° 388, p. 225-235. Raphaëlle Branche, La guerre d’Algérie : une histoire apaisée ?. Paris : Seuil, 2005, p. 147-217.

[3] Jean Barale, La constitution de la IVe République à l’épreuve de la guerre. Paris : LGDJ, 1964, 526 p. Bernard Chantebout, L’organisation générale de la défense nationale en France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Paris : R. Pichon, 1967, 500 p.

[4] Service historique de la Défense (SHD), département de l’armée de terre (ancien Service historique de l’armée de terre [SHAT]), fonds Ely, SHAT 1K233, séries 7R 1 à 7 (Conseil supérieur des forces armées) et 10T12 (Conseil supérieur de la guerre).

[5] Xavier Lavie, Le chef des armées en France 1791-1981. Thèse de troisième cycle sous la direction d’André Martel, Université Paul Valéry - Montpellier III, 1987, p. 127-129.

[6] B. Chantebout, op. cit., p. 68-71.

[7] En effet, à l’exception de l’« intérim » du général Guillaume - le plus ancien dans le grade le plus élevé - entre juin 1954 et mars 1956, le général Paul Ely, reste à la tête de l’armée française comme chef d’état-major général de la Défense nationale et des Forces armées entre août 1953 et février 1961.

[8] Le général Paul Cherrière en fin de carrière est remplacé le 3 juillet 1955 par Henri Lorillot qui cède la place à Raoul Salan le 1er décembre 1956, qui « dure » jusqu’en décembre 1958 avant d’être remplacé par un poulain du CEMGFA, le général d’aviation Maurice Challe écarté en février 1960 après la semaine des Barricades.

[9] Paul et Marie-Catherine Villatoux, La République et son armée face au « péril subversif ». Guerre et action psychologiques 1945-1960. Paris : La Découverte, 2005, p. 341-371.

[10] Jean-Charles Jauffret, La guerre d’Algérie par les documents. T. II : Les portes de la guerre 1946-1954. Vincennes : Service historique de l’armée de terre, 1998, p. 974-975. Jean Vaujour, De la révolte à la révolution. Aux premiers jours de la guerre d’Algérie. Paris : Albin Michel, 1985, p. 133-156.

[11] SHD, département de l’armée de terre (anciennement SHAT), 7 R4, Exposés et discussions portant sur « La sécurité permanente de l’Afrique du Nord, la défense de la zone stratégique en temps de guerre et la participation des trois territoires d’AFN à l’effort commun de défense » ainsi que les problèmes posés par la défense en surface de la France « métropolitaine » et celle des territoires d’Outre-Mer.

[12] SHD, 7 R4, CSFA du 9 décembre 1954, 212 p.

[13] André-Paul Comor, « La défense des frontières de l’Union Française : les enjeux « eurafricains », la guerre froide et la décolonisation ». In La sécurité européenne : frontières, glacis et zones d’influence de l’Europe des alliances à l’Europe des blocs, fin du xixe au milieu du xxe siècle », Actes de la journée d’études du 14 décembre 2005 aux Écoles de Coëtquidan, Presses de l’Université de Rennes (à paraître).

[14] SHD, département de l’armée de terre, 7 R4, compte rendu de la première séance du CSFA du 9 décembre 1954.

[15] Ce point de vue est défendu jusqu’à la fin du conflit par l’état-major. Voir l’article de Jacques Frémeaux, « La guerre d’Algérie et les relations internationales ». Relations internationales, 2001, n° 105, p. 59-76.

[16] Le général Cherrière a occupé des postes en état-major au Levant et à Alger pendant la Seconde Guerre mondiale sans appartenir à l’« armée d’Afrique » dont il partage cependant les partis pris sur l’AFN.

[17] J.-C. Jauffret, « Les débuts de la guerre d’Algérie : de l’absence d’une doctrine aux premières solutions spécifiques, mai 1945-août 1956 ». Actes du colloque de Leyde sur « Les décolonisations en Europe » publiés dans la revue Itinario, Leyde, 1996.

[18] SHD, département de l’armée de terre, 1 H1929.

[19] Le retrait des divisions OTAN met en difficulté la France au sein de l’Organisation - en ruinant les efforts du commandement français, notamment du général Ely, qui en 1950, comme représentant de la France au Standing Group de Washington, avait obtenu d’importances concessions du Département d’État et du Pentagone dans le domaine de la stratégie notamment avec la création d’un secteur Europe méridionale - Méditerranée occidentale destiné à couvrir l’AFN. Le crédit des chefs militaires qui s’étaient engagés à participer de manière significative à l’effort de réarmement est largement entamé.

[20] J.-C. Jauffret, Soldats en Algérie 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du contingent. Paris : Autrement, 2000, 365 p.

[21] SHD, département armée de terre, 1 K 233 carton 49.

[22] Raoul Girardet, La crise militaire française. Paris : Armand Colin, 1964.

[23] Entre 1947 et 1950, les généraux De Lattre et Revers avaient été confrontés aux mêmes difficultés et fait jouer leurs relations politiques pour s’imposer. Sous la IVe République, ces rivalités alimentent les plus extravagantes rumeurs qui expliquent le climat délétère comme la dilution des responsabilités au sein du haut commandement.

[24] A.-P. Comor, « Le général Ely et la guerre d’Algérie ». Revue historique des armées, 2002, n° 4, p. 84.

[25] SHD, département armée de terre, 1 K 233, carton 22, Journal de marche et d’activités du général Paul Ely.

[26] J.-C. Jauffret, Ces officiers qui ont dit non à la torture. Algérie 1954-1962. Paris : Autrement, 2005, p. 44-46. R. Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie 1954-1962. Paris : Gallimard, 2001, p. 131-137 et 163-170.

[27] SHD, département de l’armée de terre, 1 K 233 carton 22, JMA du 28 novembre 1956, du 8 janvier 1957 et du 5 avril 1957, Réflexions sur le complot du 20 décembre 1956.

[28] SHD, département de l’armée de terre, 1 K 233, carton 75, Note n° 1196/CEMGFA/CAB, Note sur les problèmes du commandement, Paris le 19 avril 1957. La note est adressée aux grands commandements et aux échelons subordonnés jusqu’aux généraux de division.

[29Ibid. Il est vrai que les révélations de Germaine Tillion au cours d’un entretien qu’il a accordé à l’ethnologue à son retour d’Algérie le 11 octobre 1957 l’ont fortement ébranlé. Il note dans son journal qu’« on peut admettre à chaud des violences, voire des exécutions un peu sommaires, mais des tortures à froid, scientifiquement organisées, c’est vraiment inadmissible ».

[30Ibid. Carton 75, TTA 117, Instruction provisoire sur l’emploi de l’arme psychologique approuvée par le général Ely le 29 juillet 1957.

[31] P. et M.-C. Villatoux, op. cit., p. 399-400.

[32] SHD, département de l’armée de terre, 1 K 233, carton 50, Directive générale pour le général commandant supérieur interarmées et la 10e région militaire, n° 3955/EMFA/12.

[33Ibid. Carton 22, JMA du 16 juillet 1957, réunions avec André Morice et Maurice Bourgès-Maunoury.

[34] Les 9 et 10 août en Oranie, deux semaines plus tard du 21 au 24 août dans l’Algérois, et du 2 au 5 octobre sur le barrage Est.

[35] SHD, département de l’armée de terre, 1 H 1929, Directive de Robert Lacoste du 6 juillet 1957 n° 387/2/Cabinet militaire.

[36Ibid. Cette décision dont la portée ne semble pas avoir été prise en compte sur le moment par les responsables politiques contient en germe les dérives en l’absence d’instructions plus précises. Carte blanche est donc laissée aux « subordonnés » pour l’application du droit de poursuite. Le bombardement de Sakiet Sidi Youssef ne s’explique pas autrement.

[37] Bernard Droz et Évelyne Lever, Histoire de la guerre d’Algérie 1954-1962. Paris : Seuil, 1982, p. 166. La « reconnaissance officielle » tardive n’exonère pas pour autant le gouvernement de sa responsabilité dans l’affaire.

[38] A.-P. Comor, art. cité, p. 90. En mars 1944, colonel de l’Organisation de la résistance de l’armée (ORA), Ely refuse le poste de délégué militaire national et propose Chaban, nommé général de brigade par Alger à vingt-neuf ans deux mois plus tard.

[39] SHD, département de l’armée de terre, 1 K 233, carton 22, JMA. Ely ne ménage pas Salan au cours d’un entretien difficile qui se termine par des propos peu amènes.

[40] Témoignage de Jean Planchais à l’auteur recueilli en mai 1997. Ely, toujours distant avec ses interlocuteurs, est un homme de cabinet qui affectionne peu les contacts avec la troupe. N’ayant exercé aucun grand commandement, le chef d’état-major souffre d’un déficit de prestige et de notoriété qui explique les critiques voilées dont il fait l’objet.

[41] SHD, département de l’armée de terre, 1 K 233, carton 22, JMA de septembre à décembre 1958.

[42Ibid. Réunion du CCEM du 20 décembre 1958, commentaires du général.

[43Ibid. JMA du 4 août et du 25 septembre 1959. Ely « envisage un éclat [avec de Gaulle] [...]. En tout cas, il ne se laissera pas faire ».

[44Ibid. JMA du 28 janvier 1960.

[45Ibid. JMA du 3 mars, du 6 au 8 juillet et du 11 au 15 novembre 1960.

[46] Jean Olié succède le 1er mars 1961 au général Ely, reconduit à deux reprises par le général de Gaulle. La réforme aboutit en 1968 avec la mise en place de l’état-major des armées (EMA).

[47] L’un des rédacteurs de la loi du 11 juillet 1938 n’est autre que le lieutenant-colonel de Gaulle qui a servi de 1932 à 1937 au Secrétariat général du conseil supérieur de la Défense nationale. En outre, la « réunification » des armées françaises attendue - et combattue par les « coloniaux » - depuis 1945 est réalisée à la fin de l’année 1958 avec la suppression des troupes coloniales.


Citer cet article :
André-Paul Comor, «  Le haut commandement, la direction et la conduite de la guerre d’Algérie : Paris ou Alger ?  », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007, http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=248