ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


ROUINA Miloud Karim

Université d’Oran

Radioscopie du Front de libération nationale à Oran durant la Guerre de Libération nationale

Session thématique « La guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) »

Mercredi 21 juin 2006 - Après-midi - 14h00-16h00 - Salle F 106

Radioscopie : permet d’étudier les organes dans toutes les positions et sous toutes les incidences. Elle fournit des renseignements sur le mouvement des organes. Larousse

Il s’agit de saisir la dynamique du Front de libération nationale (FLN) non pas une photographie figée mais les méthodes, l’organisation et la composition du front dans son évolution au cours de la guerre. Le FLN voulait changer de société. C’est l’acte de décès de la société coloniale qu’il brandissait comme symbole de sa victoire. Au-delà de l’idéologie, c’est l’évolution de ses pratiques qu’il convient d’examiner autant que ses méthodes d’action, son organisation et enfin sa composition. On se fondera essentiellement, dans cette communication, sur un dépouillement de deux journaux : L’Écho d’Oran et Oran républicain. L’un et l’autre donnent des renseignements précis sur les attentats, leur localisation, leurs cibles, et sur les arrestations et jugements de fidayîn. Cette documentation est complétée par des entretiens avec d’anciens combattant(e)s réalisés à la Fédération des moudjahidin en 1977 et 1978. Pour beaucoup d’entre eux, les souvenirs qu’ils rapportaient étaient présents à leur esprit, au point de donner l’impression qu’ils les revivaient de façon charnelle. Et en même temps, ils évoquaient souvent les faits avec un certain détachement, présentant leurs gestes comme un devoir patriotique nécessaire à la libération du pays.

Méthodes d’actions

Les méthodes du FLN se sont adaptées aux circonstances sans changer quant à leur nature : d’un bout à l’autre de la guerre, ses méthodes sont radicales. Elles terrorisent la population. Au début, le FLN compte, par le sang et la peur, secouer la léthargie des masses.

À la lecture des journaux locaux, deux périodes distinctes de formes d’action se dégagent. L’été 1956 en constitue la charnière. Les divisions et sous-divisions qui suivent ne décrivent pas des situations claires et limitées dans le temps. Elles empiètent les unes sur les autres. La phase d’exécution des élus algériens restés en place commence théoriquement le 1er janvier 1956[1], en fait, elle n’est appliquée qu’après l’été 1956.

Trois formes d’actions sont menées de novembre 1954 à l’été 1956 : sabotages, manifestations puis édiction d’interdits divers. Les actions de sabotage visent les dépôts d’armes, la destruction des produits exportés et les démonstrations de force. Les dépôts d’armes attaqués servent, comme l’ont rapporté des témoins, à alimenter le maquis. L’attaque spectaculaire des dépôts d’essence du faubourg Victor Hugo et du port échoue avant tout début d’exécution[2] : les services de police éventent rapidement les complots. La mise en place de services de sécurité interdira les actions de force à Oran-ville. L’attaque, par trois fois, de la conduite d’eau douce alimentant Oran, déclenche une psychose dans la ville ; les habitants craignant un empoisonnement de l’eau[3]. L’effet psychologique est atteint. La publicité du FLN est assurée. L’installation de postes militaires de surveillance le long de la conduite d’eau douce mettra fin aux actes de sabotage mais l’insécurité et la vulnérabilité des installations sont prouvées. Alors qu’Oran est privée d’eau douce, en mai 1956 l’arrondissement d’Oran s’embrase sous les actions de l’Armée de libération nationale (ALN) qui pénètre jusqu’à Mers el-Kébir. Mais ce n’est qu’un feu de paille : la situation est vite reprise en main par l’armée française qui établit une chaîne de postes de gardes interdisant toute action de l’ALN pour la durée de la guerre. Par mesure de sécurité « une zone de protection autour de l’aérodrome de la Senia est instituée. La circulation [est] interdite la nuit et contrôlée le jour »[4]. L’effet psychologique de l’ALN n’est-il pas annihilé par le renfort de troupes et l’impossibilité à jamais de créer un maquis aux portes de la ville ? La direction politique du FLN n’a-t-elle pas surévalué ses forces et mésestimé les capacités de riposte de l’adversaire ?

Le FLN s’attaquera aussi à l’exportation des matières premières : alfa et crin. La destruction des produits inflammables est plus facile. En outre, l’incendie à une portée psychologique plus grande. Les incendies atteignent leur cote maximale en 1956 à Oran. Après cette date, la protection de ces matières et le nombre de militaires stationnés dans la ville rendent aléatoire les actions de sabotage. Les manifestations de l’hiver 1956, organisées par le FLN contrecarrent l’effervescence européenne, vive depuis la nomination du général Catroux au poste de ministre-résident[5]. Le FLN teste d’autre part son influence.

Un calme relatif règne néanmoins à Oran. Le passage d’armes du Maroc aux maquis de l’Est exige en effet de ne pas éveiller des soupçons sur les opérations effectuées. Les armes transitaient par Oran d’où elles étaient distribuées sur l’Algérie[6]. Qui se serait douté que les armes transitaient par la ville la plus européenne d’Algérie et par conséquent la mieux gardée[7] ?

Dans sa volonté de se poser en interlocuteur unique du peuple algérien, le FLN avait besoin de prouver son audience. L’établissement d’une liste d’interdits répond à ce vœu. La consommation d’alcool, de cigarettes, les jeux de hasard, la célébration des fêtes religieuses, etc., seront prohibés. Ces interdits ont-ils été respectés ? Oran jouira exceptionnellement d’une faveur : Les tournées de la troupe qui deviendra à l’indépendance le Théâtre national algérien (TNA) y sont autorisées. Les membres de la troupe aident d’ailleurs au transport d’armes. Contre ceux qui enfreignent sa loi, le FLN recourra aux mutilations - nez, lèvres, oreilles coupées - poussant la population effrayée à obéir dans sa grande majorité. Le FLN relâche son étreinte dès 1957, le but fixé de se faire (re)connaître par les Algériens étant atteint.

La deuxième phase est essentiellement dirigée contre les personnes, soit qu’il s’agisse de les intimider, de les rançonner, ou de sanctionner, par une exécution, la collaboration avec les Français ou l’enrôlement dans leurs services. Le FLN abattra tour à tour les traîtres, les élus, les Européens liés au colonialisme, les membres des unités territoriales, les membres des corps militaires et paramilitaires. Il visera également les lieux publics. Les exécutions de traîtres ne cesseront jamais durant la guerre. Le critère de classification des traîtres reste subjectif. Sont qualifiés de traîtres les personnes collaborant avec l’ennemi - les autorités françaises - par la fourniture de renseignements, l’appartenance au service policier, militaire ou paramilitaire français. Cependant est-il possible de couvrir un règlement de comptes en le faisant passer pour une action fida ? Des cas se produiront. Ils furent confirmés par les témoins. Quelle en fut l’importance ?

Le chiffrage des victimes est difficile sinon impossible. Toutefois, il est à noter que l’anarchie que sèmera l’Organisation armée secrète (OAS) amènera à une multiplication de règlement de comptes, ayant pour mobile le plus souvent les finances. Les élus échappant aux exécutions paieront des rançons ou aideront les prisonniers par leurs déclarations visant à les innocenter ou en leur fournissant des avocats. Les Européens liés au colonialisme par leurs fonctions ou positions économiques sont abattus.

Le FLN établit une gradation dans les exécutions des membres des corps militaires, paramilitaires et policiers. Sont visées en premier lieu les personnes jugées zélées dans la répression.

Les unités territoriales constituées d’Européens d’Algérie sont plus particulièrement visées par les attentats. La raison est que les unités territoriales exercent sur les populations algériennes des sévices et des actes de représailles nombreux et souvent entachés de racisme. Les attentats les plus meurtriers sont commis sur les lieux publics : stades, bars, stations d’autobus, places, bals, etc. Ces attentats n’opèrent pas de sélection. Comment le FLN les justifie-t-il ?

Les consignes données dans les villes aux militants du FLN sont précises : supprimer les traîtres à la Patrie et abattre les policiers fonctionnaires. Toutes les actions, autres que celles énoncées, répondent à la répression qui, périodiquement, s’abat sur les civils algériens ou à l’exécution, au mépris des conventions internationales, des militants ou soldats de l’ALN.[8]

Les soldats de l’ALN condamnés à mort devant les tribunaux français seront fusillés après l’arrivée du général De Gaulle au pouvoir, et non plus guillotinés, ce qui constituait une reconnaissance politique du FLN. Or, les attentats sur les lieux publics continuent. En fait, cet argument est un prétexte. Le but est d’installer un climat de peur et d’insécurité.

Quelles sont les armes qui servent aux exécutions ? Les journaux donnent beaucoup de détails sur ce point. Les pistolets, les bombes, les grenades et les armes blanches. L’utilisation de ces armes dépend de l’approvisionnement. Les bombes sont en général de fabrication artisanale. Les armes blanches ne seront utilisées qu’après le printemps 1958.

Quelles sont les armes les plus efficaces ? L’emploi de la grenade, outre son aspect spectaculaire cause de nombreux dégâts matériels et corporels. Les attentats les plus mortels sont par balles. Ceux à l’arme blanche ou à la grenade blessent plus qu’ils ne tuent. Les « cocktails Molotov » ne sont presque jamais mortels. L’arme blanche la plus « efficace » pour tuer et terroriser à la fois reste sans doute la hache.

Le quadrillage des villes permet d’appréhender très vite le terroriste. Le bruit causé par une grenade est immédiatement localisé. L’armée cerne rapidement le pâté de maisons. Son déplacement est facilité par la topographie d’Oran et par le nouveau plan de circulation. Les exécutions à la hache sont le fait de cas individuels ; l’arme la plus utilisée est le couteau, de préférence au rasoir. Interrogés, les témoins ont précisé que chacun avait ses préférences, le maniement de la hache était leur technique. Les chefs de groupes fida ne s’y opposent pas. Seul le résultat compte. Il est à noter que ce type d’exécutions est le fait de fidayîn tard venus au terrorisme, après 1958.

Où ont lieu ces attentats ? La majorité écrasante des attentats sont commis en quartier algérien ou à leur lisière. La fuite et le refuge sont plus faciles que dans les quartiers européens. Par ailleurs, la pose de barbelés au printemps 1956 obligera le FLN à se replier sur les quartiers musulmans. Le choix des victimes s’en trouve modifié : là, ce sont les traîtres à la cause qui seront abattus en grand nombre. Les Algériens qui commettent des attentats en milieu européen sont soit véhiculés soit de type européen. Mais l’usage du véhicule devient presque impossible à partir de l’adoption en 1957 du plan Massu qui multiplie les rues à sens unique débouchant sur les quartiers européens.

Quelles parties du corps le fida vise-t-il ? Au début les attentats sont faits au hasard. Le fida, vise la tête ou le tronc sans endroit précis. Certaines personnes sont blessées plusieurs fois, à des dates différentes, avant d’être abattues. Après 1958, les coups sont plus ajustés. La lecture de l’Écho d’Oran et d’Oran républicain nous a permis de recenser deux endroits du corps choisis par les fidayîn : la nuque et la gorge. La nuque lorsque l’attentat est perpétré au pistolet, la gorge quand il l’est à l’arme blanche. Dans les deux cas, le fidaï est surveillé par deux ou trois personnes - armées ou non selon les possibilités - qui font le gué. Le fidaï ne porte jamais l’arme lui-même, mais un de ses compagnons. Après la multiplication des fouilles, l’aide des femmes sera précieuse. Elles ne sont pas contrôlées[9]. Les femmes porteront les armes avant et après l’attentat. Sauf s’il s’agit d’une hache qui est laissée plantée dans la tête de la victime. Les pré-adolescents cacheront aussi les armes lors d’attentats.

Comment le fidaï s’y prend-il ? Il avance doucement et tire dans la nuque en se plaçant au dos de la victime, ou arrive à hauteur de la personne à abattre, tire brusquement le rasoir et lui tranche la gorge. Les autres organes visés sont le cœur - attentat au pistolet -, le foie et l’estomac - attentat au couteau. Ces attentats sont difficiles. Le fidaï se place face à la victime qui se protège, crie, fuit... faisant échouer l’attentat.

Quand ont lieu les attentats ? La plupart ont lieu en fin de semaine, le samedi après-midi, parce que le fidaï ne travaille pas et surtout parce que l’attention se relâche ce jour-là. Jamais l’appareil économique ne sera visé mis à part celui servant à l’exportation des produits algériens. L’outil de production est préservé. Le FLN pense le récupérer à l’indépendance. On ne cherche pas à augmenter le chômage, parce qu’on a besoin de l’aide des populations. Cette aide est multiple : nourriture, vêtements, médicaments et surtout financière ; c’est pourquoi elle est soumise à la mise en place d’une organisation précise.

Organisation

Elle est horizontale - géographique - et verticale - de fonction. La restructuration du terrorisme est antérieure au congrès de la Soummam (août 1956). Celui-ci lui donne une forme définitive. Les changements apportés par la suite resteront à l’intérieur du cadre tracé par ce congrès. Les zones géographiques varient selon le dispositif militaire français. Lorsqu’une forêt est brûlée, une montagne vidée de postes de gardes, ou un lieu de passage mal protégé, la zone est remaniée.

En 1954, l’ouest algérien est divisé en trois zones : ouest, est et centre. Oran-ville est rattachée à la zone centre. Après août 1956, Oran-ville dépend de la wilaya 5 - zone 3. Elle est divisée en deux secteurs, 6 et 7. Un remaniement intervient après 1958, la ville est élevée au rang de région avec toujours deux secteurs. Ce sera la wilaya 5 - zone 4 - région 4. À la veille du cessez-le-feu, à l’instar d’Alger, la ville est érigée en zone autonome (ZAO) divisée en neuf secteurs. Le chef de la zone autonome d’Oran sera Djelloul Nemmiche, dit « capitaine Bakhti ». Ce schéma est purement théorique. La réalité est fort différente. Oran est l’objet d’âpres disputes pour obtenir la mainmise sur les cotisations.

Chaque zone, chaque région de la wilaya 5 et parfois des wilaya 3 et 4 y a son groupe de collecteurs de fonds et/ou de fidayîn. Le schéma du réseau du secteur 7, démantelé en août 1958, diffère des autres réseaux et de ceux établis par le général Massu. L’organisation dépend des responsables et des moyens disponibles. Les refuges servent à l’acheminement vers le maquis des fidayîn reconnus par la police. Après 1958, le bouclage de la ville oblige les fidayîn à utiliser des complicités algériennes aux chemins de fer. Les fidayîn d’Oran seront acheminés en wagons de marchandises sur Oujda.

Comment sont opérées les collectes de fonds ? Le FLN remet des bons d’aide financière dits bayane à ceux qui s’acquittent de leur cotisation. Rares seront ceux qui refuseront de payer. Ils seront abattus. La cotisation est mensuelle. Si un autre réseau s’avisait de la percevoir une seconde fois, l’exhibition du bon d’aide financière constituait une garantie. Chaque réseau aura ainsi sa « clientèle ». Cependant des irrégularités se produiront. De fausses attestations sont établies par des « réseaux fantômes ». Aucun réseau ne se maintiendra tel quel durant toute la guerre. La durée moyenne de vie est de trois mois pour les groupes de fidayîn. Ils se reformeront à chaque fois. Le FLN a engendré sa propre dynamique. Comment le FLN assure-t-il son renouvellement ?

Composition

Pour cerner le personnage du terroriste, il est utile de définir sa fonction :

Le fidaï est un soldat. Mais c’est un soldat installé au cœur même du dispositif ennemi [...]. Le fidaï fixe et immobilise de grandes unités dans les centres [...]. L’importance du fidaï réside surtout dans le climat d’insécurité que son action fait régner dans les centres urbains [...]. Le fidaï, toujours volontaire lorsqu’il est choisi pour abattre un ennemi, reçoit en communication tous les renseignements le concernant.[10]

Entrer dans le groupe fida est un acte de courage. L’insécurité, la peur sont en lui inséparables jusqu’à la capture ou la mort. Un pareil choix exprime un état de foi. Le terroriste algérien, plus que quiconque - collecteur de fonds, agent de liaison, ravitailleur, etc. - est un croyant. L’islam attise sa foi dans le combat contre l’ennemi. Mais la religion ne peut expliquer, à elle seule, l’adhésion. Le fidaï est pénétré de la justesse de sa cause. Il contribue à chasser le colonialisme de son pays. Le fidaï est un patriote fervent. Le sentiment national est le feu qui l’anime pour abattre les traîtres. Il n’a pas une idée claire de la lutte des classes. La seule lutte pour lui est anticoloniale et patriotique.

Est-ce là le portrait-robot du fidaï ? Le recrutement n’a jamais cessé, les arrestations non plus. N’y a-t-il pas de différence entre le fidaï de 1954 et celui de 1961 ? Certes, il en existe, mais ni sur le plan des motivations qui l’ont amené à choisir le terrorisme, ni sur l’origine sociale.

Quelle est la formation politique du fidaï ? Nous avons été frappés par un trait commun. À de très rares exceptions près, ils n’ont aucune formation politique. Il en est ainsi jusqu’au « commissaire politique » qui assume en fait la fonction d’officier d’intendance. La pauvreté de leurs analyses lorsqu’ils jugent le Mouvement national algérien (MNA), le Parti communiste algérien (PCA) ou expliquent leur adhésion, est commune à tous. L’adhésion au FLN se nourrissait d’elle-même par la misère sociale, le racisme inhérent au colonialisme, les représailles de l’armée française et la terreur des méthodes du front.

Quelle est l’origine sociale du fidaï ? Le FLN recrute parmi le sous-prolétariat, les chômeurs « déguisés », et rarement parmi la petite bourgeoisie et les petits commerçants. L’origine géographique s’élargira au fil des ans. Les premiers à créer des « comités d’influence », sous l’égide de Larbi Ben M’hidi, sont natifs de la ville ou établis depuis plus de dix ans. Après les arrestations incessantes, le recrutement s’élargit aux personnes fraîchement installées à Oran.

Quel est le niveau d’instruction du fidaï ? Les surnoms que prennent certains, après 1958 il est vrai, sont symptomatiques de l’immaturité idéologique et du faible niveau d’instruction. Ainsi certains fidayîn, par dérision, se donnent des noms de chefs d’État comme Khroutchev dit l’« homme à la hache », Mac Millan, Kennedy, etc. Les personnes natives d’Oran ou anciennement installés ont un degré d’instruction plus élevé. Aussi occuperont-t-elles des fonctions de responsabilité. Il est à souligner que le niveau d’études dépasse rarement le certificat d’études primaires.

Conclusion

Quelle est donc l’importance numérique du FLN d’Oran ? En retenant le chiffre de 1 350 fidayîn engagés à Oran de novembre 1954 à juin 1961[11], il apparaît que seulement 0,79 % de la population algérienne oranaise a directement participé à un attentat terroriste. En multipliant 1 350 par 4 afin d’obtenir le total des fidayîn et de l’organisation politico-administrative - agent de liaison, collecteur de fonds, refuge, etc. -, le pourcentage s’élève à 3,17 % de la population musulmane. Le terrorisme n’a pas créé de dynamique de masse. Il est resté une forme de guérilla limitée à une « avant-garde » relativement élargie au fil des années : de 0,06 % en novembre 1954 à 3,17 % pour le total des années novembre 1954 - juin 1961, soit 80 mois.

À quoi tient ce faible taux ? De par sa nature, le terrorisme ne peut être un phénomène de masse. L’extrême faiblesse est due aux particularités propres à Oran et à l’indigence idéologique du FLN. Cependant, cette analyse mérite d’être corrigée, car, si l’on ne tient compte que des personnes âgées de 18 à 24 ans - tranche d’âge qui sacrifie le plus en période de guerre -, alors il est à remarquer que ce sont 50,26 % des jeunes Algériens d’Oran qui ont participé au FLN de 1954 à juin 1961 et 12,56 % à des actions terroristes. Si l’organisation politico-administrative a séduit la moitié des jeunes Algériens d’Oran, le terrorisme n’en a recruté qu’un seul sur neuf, ce qui témoigne tout de même d’une forte mobilisation.


[1] D’après un tract du FLN cité par Jacques Soustelle dans Aimée et souffrante Algérie. Paris : Plon, 1956, p. 183.

[2L’Écho d’Oran, 8 janvier 1955, dernière page, article non signé.

[3L’Écho d’Oran, 9 mars 1956, article signé « D.N.G.C. » ; 16 mai 1956, article signé « Pullman » ; 23 juin 1956, article non signé.

[4L’Écho d’Oran, 2 mai 1956, p. 10, communiqué du secrétaire général de préfecture M. Grollemuna.

[5] Les tracts distribués sont : « [...] participer tous et toutes au succès de la journée d’action du 2 février 1956 », tract édité par l’Union des syndicats confédérés d’Oranie ; « [...] Oranais, Oranaises, rendez-vous tous à la place Jeanne d’Arc dimanche 2 février 1956 à deux heures du matin », tract du Comité de salut public. Le 31 janvier 1956, l’Écho d’Oran publie en page 5 un télégramme de « Volontés Algériennes » à Guy Mollet : « s’étonne nomination comme ministre résidant Alger général Catroux 80 ans pour entreprendre un rajeunissement du pays » .

[6] Mohamed Lebjaoui, Bataille d’Alger ou bataille d’Algérie. Paris : Gallimard, 1972, p. 34.

[7] Selon témoignage : le FLN employait une vieille dame algérienne du faubourg Gambetta parlant espagnol, surnommée la « Zaïma », qui transportait les armes en chemin de fer.

[8El-Moudjahid, t. I, n° 9, 20 août 1957, p. 104.

[9] Jusqu’à la fin de la guerre, la police locale, d’origine européenne, s’interdira de fouiller une femme dans la rue, ce qui n’empêchait pas les forces de répression de se livrer à des tortures dans les commissariats ou les casernes.

[10El-Moudjahid, t. I, n° 9, 20 août 1957, p. 106.

[11] Ce chiffre est avancé par de nombreux fidayîn et il semble le plus vraisemblable, une fois les journaux locaux compulsés. La dernière année de la guerre - juillet 1961 à juin 1962 - a été exclue car le déchaînement de l’OAS obligera chaque individu à assurer sa propre survie. L’issue de la guerre ne faisant plus de doute, beaucoup rejoindront le FLN.


Citer cet article :
Miloud Karim Rouina, «  Radioscopie du front de libération nationale à Oran durant la Guerre de Libération nationale  », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007, http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=255