ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


KHALFOUNE Tahar

Université Jean Moulin - Lyon III

L’Algérie : champ d’expérimentation favori de(s) théories(s) du Domaine

Session thématique « Pouvoirs d’États et États »

Mardi 20 juin 2006 - Matin - 9h45-11h45 - Salle F 106

« Un droit sans histoire serait un droit sans avenir,
ne sachant d’où il vient, il ne saurait connaître où il va. »[1]

L’histoire et, plus précisément, l’histoire des biens est au cœur de cette réflexion, mais elle n’en est pas vraiment l’objet. Si le droit apporte un matériau particulièrement riche à l’historien car il est le siège où se cristallisent toutes les pratiques d’une société à un moment donné, à son tour l’histoire éclaire le juriste d’une lumière particulièrement vive parce qu’un phénomène juridique n’est jamais mieux connu que lorsqu’on l’aperçoit dès son origine. Seul le rapport à l’histoire est de nature à permettre une compréhension en profondeur. Le détour par l’histoire est donc indispensable pour bien comprendre comment la célèbre théorie juridique du domaine a été utilisée à des fins non domaniales mais coloniales.

La France s’était dotée dès 1790 d’un code du Domaine (décret des 22 novembre et 1er décembre) transférant à la Nation le domaine de la Couronne et d’un code civil dès 1804 contenant quatre dispositions consacrées spécialement aux biens domaniaux[2]. Force est de constater, cependant, que l’application de la théorie juridique du domaine a été longtemps éloignée du droit positif métropolitain, alors qu’elle est bien l’œuvre, comme chacun sait, de la doctrine et de la jurisprudence françaises.

Il s’agit donc d’une notion phare du droit public français[3]. D’une part, elle siège au cœur de l’histoire de France puisqu’elle est étroitement liée à la formation de l’État[4], et elle a participé, historiquement, à l’institutionnalisation du pouvoir, en ce sens qu’elle correspond au transfert des biens domaniaux en 1790 des mains de la Couronne à la Nation. D’autre part, elle trône au confluent de la souveraineté, de la propriété, des libertés publiques, des finances publiques, du droit, de la politique, de l’économie et, plus récemment, de l’information, de la décentralisation et de l’environnement. Bref, c’est une notion transversale qui imprègne en profondeur l’ensemble des aspects de la vie juridique et économique. Malgré la place considérable qu’elle occupe en droit français, elle a pourtant été pendant longtemps le terrain privilégié des colonies et, plus particulièrement, de l’Algérie au xixe siècle et durant la première moitié du xxe siècle.

On ne peut dès lors manquer de poser la question de savoir pourquoi la théorie dualiste du domaine - domaine public/domaine privé des personnes publiques - a-t-elle été d’abord appliquée dans les colonies et, plus précisément, en Algérie, avant d’être reçue, mais bien plus tard, en métropole ? Avant de tenter de répondre à cette question, il convient tout d’abord d’évoquer brièvement, dans un premier temps, la structure de la propriété foncière en Algérie avant la colonisation, et l’on tentera, dans un second temps, de montrer le processus de « domanialisation » de la propriété foncière dans ce territoire conquis au début du xixe siècle.

La structure de la propriété foncière : une grande variété de statuts

Le système domanial en Algérie n’a de sens que si l’on remonte aux conditions historiques de sa genèse pour saisir ce qui fait précisément sa particularité et qui lui donne un caractère complexe où se mêlent le moderne et le traditionnel : droit coutumier (biens arch), droit musulman (biens habous ou wakfs), droit ottoman (biens beylik), droit français (domaine public / domaine privé / domaine de l’État), droit socialiste (domaine économique). Il est même possible d’observer, si l’on remonte plus loin dans l’histoire, quelques traces cadastrales datant de l’époque romaine aux alentours des domaines appelés de nos jours haouchs qui coïncident quasiment avec celles des latifundia[5] antiques, c’est-à-dire de grands domaines agricoles privés.

Traiter des biens domaniaux avant la colonisation n’est pas une sinécure tant la question est fuyante et éloignée des conceptions contemporaines du Domaine. Sans remonter à une époque aussi lointaine, à des temps immémoriaux qui nous renvoient aux empires carthaginois, romain, vandale ou byzantin, l’Algérie a connu, avant la colonisation française, la domination turque[6] pendant près de quatre siècles. Une présence aussi longue n’est pas sans laisser d’empreintes sur le régime de la propriété foncière. Encore faut-il préciser que sous la régence turque, la propriété, qu’elle soit privée ou publique, s’inspirait, dans ses grandes orientations, du droit coutumier et du droit islamique.

Le fonds commun institutionnel des biens reste d’ailleurs quasiment le même, à quelques nuances près, pour l’ensemble des pays du Maghreb. Les auteurs[7] qui s’y sont penchés distinguent généralement six types de propriété composant le régime foncier à l’orée de la colonisation. Le point de vue historique est donc essentiel pour comprendre l’ossature de la propriété foncière et son évolution.

À la veille de la colonisation le régime foncier était composé de biens melks, arch, beyliks, habous, makhzen, kharradj et ils s’étendent sur environ 40 millions d’hectares de terres cultivables, soit 14 millions d’hectares dans le Tell - régions du Nord bien arrosées et fertiles - et 26 millions d’hectares dans le reste du pays.

Les terres melks représentaient alors 4 500 000 hectares[8] et constituent la propriété privée des familles ; elles s’étendent sur les régions telliennes, proches de la Méditerranée où l’humidité permet de riches cultures notamment près des côtes, ainsi que sur les oasis du Sahara. Les terres melks étaient possédées par les familles en pleine propriété conformément au droit islamique ou au droit coutumier.

Le domaine beylik, s’étendait sur plus de 4 000 000 d’hectares ; il a été établi par l’Empire ottoman à partir de 1514. Il recouvre les propriétés des beys ainsi que celles du beylik ; il est constitué de larges domaines fonciers, de terres de culture confisquées aux tribus, de biens vacants, de terres incultes, forêts, bois, etc.

Les biens arch - près de 5 000 000 hectares - que l’on désigne par le terme sebaga[9] dans la région d’Oran, et qui sont des biens collectifs sur lesquels les tribus disposent d’un droit de jouissance perpétuel et non de propriété ; elles (tribus) ne peuvent donc ni vendre ni léguer ces terres. L’existence des biens arch remonte, semble-t-il, à la plus haute Antiquité[10]. Ils correspondent grossièrement aux biens communaux en France. Ils sont répandus notamment dans la steppe - grandes plaines incultes au climat sec, à la végétation pauvre -, et dans l’ex-région d’Aumale (Sour el ghozlane, Tiaret, etc.).

Les terres makhzen - 1 500 000 hectares - sont des terres mises à la disposition des militaires turcs ou à des tribus soumises. Ces biens assuraient une fonction économique - agriculture - et militaire - surveillance d’une région et répression des tribus insoumises -, et ne pouvaient faire l’objet d’une acquisition privative.

Les biens habous - appelés aussi wakfs - sont des biens immobilisés, c’est-à-dire rendus imprescriptibles et inaliénables - hors du commerce - par la volonté du donateur au profit de fondations pieuses ou d’utilité publique. Le habous est une institution tout à fait originale du droit islamique : il peut être public ou privé. Lorsque le donataire du bien est une fondation pieuse ou d’intérêt général - confrérie religieuse, mosquée, école, cimetière, etc. - et qu’il y a coïncidence entre le moment de la donation et le moment de l’appréhension du bien, on est en présence d’un habous public (kheiri).

En revanche, il y a habous privé, appelé aussi habous de famille (ahli), lorsque la donation est faite alors que l’appréhension est retardée en raison de l’existence d’héritiers ; la donation est soumise dans ce cas à une condition suspensive. Le transfert de propriété du bien habous n’aura lieu qu’à l’extinction des dévolutaires intermédiaires. Le habous devient, dès lors, public et est administré par un mandataire appelé nadhir. Loin d’être négligeables, les biens habous représentaient au début de la colonisation presque la moitié des terres cultivables[11].

En ce qui concerne enfin le kharadj et afin de prévenir tout malentendu, il convient d’abord de remarquer qu’à la différence des autres types de propriété foncière qu’on vient d’évoquer, il ne constitue pas une forme de propriété, mais il s’agit bien plutôt d’un impôt. C’est par un glissement de sens qu’il est parfois utilisé pour désigner les terres tombées entre les mains de l’État après la conquête d’un territoire ennemi ou acquises suite à un traité. Autrement dit, c’est un impôt annuel en nature ou en argent payé généralement par un non-musulman en contrepartie de l’exploitation d’une terre conquise ou confisquée par l’État.

Les habitants conservent ainsi leurs terres, mais la communauté musulmane - l’État - possède sur ces dernières un droit de propriété éminent, puisque les titulaires du sol ne disposent que d’un droit d’usufruit en contrepartie du paiement d’un impôt dit de kharradj. Quant à son fondement, il importe de préciser que le kharradj ne puise pas sa source dans les préceptes révélés - Coran -, mais dans l’ijtihad, c’est-à-dire l’exégèse des jurisconsultes, et sa théorie ne sera établie qu’au ve siècle de l’hégire[12].

Ces différents types d’organisation de la propriété foncière présentent certes quelques similitudes avec la notion moderne de propriété publique dans sa double dimension domaine public / domaine privé. Mais la notion de domanialité est relativement récente ; ce n’est qu’avec la colonisation française que la summa divisio[13] domaine public et domaine privé a vu le jour à la faveur de la loi du 16 juin 1851 sur la constitution de la propriété foncière en Algérie.

Fortement marquée par les droits coutumier et islamique sous la régence turque, l’organisation de la propriété foncière va connaître, à partir de 1830, des changements substantiels ; le régime foncier s’imprégnera forcément du type d’organisation politique que l’État français mettra en œuvre en Algérie.

La propriété foncière : une « domanialisation » a marche forcée

Par « domanialisation », il convient d’entendre les techniques juridiques et le processus par lesquels les pouvoirs publics ont procédé pour s’approprier peu à peu les biens en Algérie, c’est-à-dire leur annexion par l’État, gérés par l’administration des domaines et soumis, par conséquent, à la législation domaniale française. Pour ce faire, l’Administration a recouru essentiellement à des méthodes de cessions forcées tels que le séquestre, l’expropriation et le cantonnement. Quant aux modes d’acquisition de droit privé, comme le rachat, l’échange, etc., c’est la colonisation dite libre qui les a adoptés, mais bien tardivement.

Le séquestre

L’objectif de constituer en Algérie un fonds de terrains, le plus étendu qui soit, a largement dominé la législation foncière au xixe siècle. Le domaine de la propriété foncière et, plus particulièrement, le régime des terres a été l’objet d’une importante activité législative, réglementaire et administrative en vue de créer les conditions juridiques favorables à une certaine mobilité de la propriété.

Nous ne saurions cependant entrer dans l’examen aride de tout l’arsenal juridique par lequel la « domanialisation » de la propriété s’était effectuée. Ce dispositif est très complexe, et il nous a paru inutile d’établir ici un inventaire exhaustif de tous les textes et d’en rapporter tous les détails : lois, sénatus-consulte, ordonnances, décrets, arrêtés et décisions de toutes sortes pris en la matière. Mais il n’est pas totalement sans intérêt d’en relever quelques-uns parmi les plus importants.

Souvent l’Administration des domaines se procurait des terres par l’affirmation des droits prétendus de l’État français sur les biens beyliks, les habous publics, les terres incultes ou sans maître, les forêts, etc. [14] En général les colons considéraient les terres comme terra nullius, pour reprendre une formule du droit romain, ce qui fut d’ailleurs l’argument avancé fréquemment pour justifier la colonisation.

En déclarant réunis au domaine tous les biens du dey et des beys, les terres de parcours, les biens des déportés et des fondations pieuses, l’arrêté[15] du maréchal Clauzel du 8 septembre 1830 peut être considéré comme le point de départ du processus de « domanialisation » de la propriété en Algérie.

Cette première mesure a inauguré une politique active d’appropriation des terres par divers procédés juridiques s’étalant sur plusieurs dizaines d’années, et qui va permettre de libérer une superficie très étendue de terrains au profit de l’Administration du domaine. Ainsi sont réunis au Domaine tous les immeubles occupés par les Turcs ou affectés à un service public, les terres appartenant aux marabouts et zaouïas (confréries religieuses) et les biens habous[16].

L’ordonnance du 1er octobre 1844 a aboli la règle d’inaliénabilité protégeant les biens habous pour faciliter leur acquisition par les Européens. Les litiges opposant ces derniers aux musulmans à propos de cette catégorie de biens sont désormais soumis aux tribunaux français. L’inaliénabilité du habous demeure en revanche valable dans les transactions entre autochtones.

L’ordonnance du 21 juillet 1846, prescrivant le recensement général des titres de propriété rurale, a rangé dans le domaine de l’État les biens sans maître ou dont les titres de propriété ont été considérés insuffisants. La loi du 16 juin 1851 relative à la propriété foncière en Algérie a consacré les principes d’inviolabilité de la propriété, de la liberté des transactions et de la soumission à la loi française de toute transaction où est partie un Européen.

Le sénatus-consulte du 22 avril 1863 - dont on ne saurait trop souligner l’importance - a curieusement reconnu aux tribus, pour la première fois, le droit de propriété sur les terres arch, makhzen, sebaga, alors qu’elles n’exerçaient sur elles, jusque-là, qu’un droit de jouissance perpétuel. Ce droit de propriété concédé aux tribus retire du par conséquent à l’État son droit de propriété éminent sur ces biens. Outre la division du territoire des tribus entre les différents douars et le classement juridique des terres (melks, arch, domanial, communal), le sénatus-consulte postulait en fait l’édification de la propriété privée sur les terres arch.

La loi du 26 juillet 1873, dite loi Warnier, complétée par la loi du 28 avril 1887, relative à l’établissement et à la conservation de la propriété en Algérie, est intervenue pour activer les opérations de constitution de la propriété individuelle sur les territoires divisés par le sénatus-consulte et à constater la propriété dans les territoires de propriété melk (privée). Quant aux terres sahariennes et pré-sahariennes, elles sont rangées dans le domaine de l’État.

Mais l’activité normative visant la propriété foncière n’a pas cessé à la fin du xixe siècle ; d’autres textes viendront, tout au long de la première moitié du xxe siècle, consolider la construction de cet édifice juridique. À titre strictement indicatif, il est possible de citer :
- la loi du 16 février 1897, complétée par la loi du 4 août 1926, relative aux enquêtes partielles sur les terres arch et melk et délivrance des titres,
- l’ordonnance du 13 avril 1943 modifiant et complétant la législation applicable en Algérie au domaine de l’État et de l’Algérie et au domaine public national[17],
- le décret[18] du 26 mars 1956 sur l’aménagement du foncier en Algérie,
- l’ordonnance[19] du 3 janvier 1959 instituant un nouveau régime foncier applicable dans certains périmètres, etc.

C’est là un long processus d’affirmation de la souveraineté française sur le territoire algérien et d’une politique de « domanialisation » de la propriété par des méthodes souvent peu respectueuses des droits des propriétaires indigènes[20] et des règles classiques d’incorporation des biens dans le Domaine.

Parmi les techniques les plus utilisées, figure au premier rang le séquestre entendu comme « la mainmise de l’État sur les biens meubles et immeubles d’une collectivité ou d’un individu », selon la définition de l’ordonnance du 31 octobre 1845. Dès qu’il s’agit d’un bien collectif, à l’exemple des biens du dey, des biens beyliks, des biens habous, des biens makhzen, arch, etc., c’est la technique du séquestre qui était très souvent mobilisée.

Il s’agit d’une technique que l’Administration a fréquemment utilisée, et dont les premières applications ont touché Alger et ses alentours. Existant de facto, le séquestre sera institutionnalisé par l’ordonnance du 31 octobre 1845 dont l’application sera maintenue en Algérie même après sa prescription en France en 1845[21].

Aux termes de l’ordonnance du 31 octobre 1845 et de la loi du 17 juillet 1874, le séquestre est une sanction prise à l’encontre des indigènes qui ont commis des actes malveillants contre les Européens ou contre les tribus soumises à la France, ou coupables d’assistance à l’ennemi ou d’intelligence avec lui. Il est appliqué également à toute personne ayant abandonné son bien. Toute absence du domicile depuis plus de trois mois, sans permission de l’autorité française, est assimilée à l’abandon de ses biens et au passage à l’ennemi.

De même que l’incendie implique l’application du séquestre à l’encontre de la personne qui en est responsable. La loi du 17 juillet 1874 dispose : « Nul n’ignore que les incendies précèdent souvent les mouvements insurrectionnels et sont un des fléaux de l’Algérie. »

Pour lutter contre d’éventuels incendies de forêts, les responsables de tels actes sont soumis aux mêmes sanctions que les auteurs d’actes insurrectionnels. L’article 130 de la loi forestière de 1903 entretient cette confusion en précisant que

lorsque les incendies par leur simultanéité ou leur nature dénoteront de la part des indigènes un concert préalable, ils pourront être assimilés à des faits insurrectionnels et en conséquence donneront lieu à l’application du séquestre, conformément aux dispositions actuellement en vigueur de l’ordonnance du 31 octobre 1845.[22]

Le séquestre a été utilisé d’une manière systématique en 1871 lors de l’insurrection de Mokrani en Kabylie dont les terres ont été attribuées aux Alsaciens-Lorrains chassés de leurs propriétés par les Allemands. Un séquestre général a été alors organisé et l’Administration des domaines a pu ainsi acquérir 324 000 hectares à titre de répression collective et 250 000 hectares à titre de sanction individuelle[23], ce qui donne un total de 574 000 hectares versés au Domaine. L’Administration a également recouru au séquestre de manière massive en 1881, année marquée par de graves incendies qui ont ravagé 169 056 hectares de forêts.

Les indigènes ont été immédiatement désignés comme responsables de ces incendies. En application des dispositions de la loi forestière de 1903, les populations ont été, d’une part, dépossédées de 18 476 hectares et, d’autre part, elles ont été contraintes de verser à l’État, à titre de dommages, la somme de 2 248 639 francs[24]. En l’espace d’une dizaine d’années, ces deux cas de séquestre sans précédent ont rapporté au Domaine 592 476 hectares.

L’expropriation pour cause d’utilité publique

Dès que l’opération d’annexion des biens beyliks et des biens habous a été menée à terme, le processus d’implantation coloniale nécessitait l’acquisition par l’Administration de nouvelles parcelles de terrains. Pour ce faire les pouvoirs publics vont mettre au point un dispositif juridique permettant le transfert de la propriété indigène aux Européens. Pour accroître la masse de biens du domaine national, l’Administration pouvait mettre en œuvre divers procédés.

D’abord elle pouvait recourir aux outils du droit privé pour acquérir à l’amiable les biens qui lui sont indispensables. Si le propriétaire refuse ce procédé ou s’en tient à des prétentions exagérées, l’Administration pouvait toujours l’obtenir en utilisant les prérogatives exorbitantes du droit commun, soit la réquisition quand il s’agit d’un bien mobilier, soit l’expropriation pour cause d’utilité publique lorsqu’il est question d’un droit réel immobilier.

En effet, quand il est question de biens melks - c’est-à-dire de biens privés -, l’Administration a très souvent fait appel au procédé de l’expropriation pour cause d’utilité publique. C’est précisément ce dernier procédé que l’Administration a fréquemment utilisé pour accroître son Domaine.

Quant à la solution à l’amiable, les indigènes étaient trop attachés à leurs terres pour s’en défaire aussi facilement, étant entendu qu’elles constituaient alors leur unique source de vie. Les terres étaient d’ailleurs très souvent à l’origine de nombreux conflits, parfois très violents, avec l’Administration.

C’est donc à l’expropriation qu’il sera très souvent fait appel ; elle a concerné en effet toutes les terres riches situées autour des périmètres de colonisation. L’expropriation a été entérinée et reprise par l’ordonnance du 1er octobre 1844 et la loi du 16 juin 1851 qui ont consacré parmi les raisons d’expropriation d’autres causes que celles qui sont prévues par les lois métropolitaines, tels la fondation de villages, hameaux et villes, l’établissement d’ouvrages de défense et de lieux de campement, la construction de fontaines, d’aqueducs et, enfin, l’ouverture de routes et de chemins, de canaux de dessèchement ou d’irrigation[25].

L’ordonnance du 21 juillet 1846 est venue consolider les dispositions de l’ordonnance du 1er octobre 1844. L’expropriation ou la confiscation ne relève plus de la compétence des tribunaux, mais de celle de l’Administration ; elle donne à celle-ci compétence à déclarer l’expropriation pour cause d’utilité publique de toute terre jugée nécessaire à l’implantation coloniale[26].

En outre, pour que l’expropriation soit légale puisque l’Administration fait appel à des prérogatives de puissance publique afin d’obliger un particulier à lui céder un bien immobilier, elle doit absolument être justifiée par l’utilité publique et moyennant certaines conditions parmi lesquelles le versement d’une indemnité juste et préalable[27].

Or, les procédures établies en Algérie s’écartent sensiblement de celles en cours en métropole dans la mesure où le gouverneur général est autorisé à déclarer dans tous les cas l’utilité publique. L’indemnisation est fixée, quand elle n’est pas purement et simplement refusée par l’Administration, à l’exception de l’expropriation pour l’installation des voies des chemins de fer où l’indemnité est fixée par le tribunal[28].

Mais l’utilité publique s’était avérée en fin de compte insuffisante pour exproprier certains biens. C’est la raison pour laquelle l’ordonnance du 1er octobre 1844 a introduit le principe d’expropriation pour cause d’inculture en disposant : « Toutes les terres incultes doivent être réunies aux domaines. »[29] Dès lors qu’une terre est constatée comme inculte, elle est considérée vacante et, partant, est sujette à être expropriée. De même qu’en l’absence d’un titre de propriété, tout bien immobilier est déclaré vacant et versé au domaine de l’État[30].

Toutefois, il convient de souligner que la notion d’utilité publique, fondement juridique de l’expropriation, est ici fort discutable. Même si les terres expropriées deviennent ainsi propriété de la collectivité - ce qui les rapproche évidemment de l’objectif pour lequel elles ont fait l’objet de mesures d’expropriation -, mais le fait qu’elles aient été concédées par la suite à des particuliers, leur ôte en principe toute qualification d’utilité publique. Quand bien même les terres concernées étaient devenues momentanément biens de l’État, il est tout de même difficile d’admettre en l’espèce que l’expropriation, ayant finalement servi les intérêts de la colonisation, répondait à l’objectif d’utilité publique dans le sens où cette expression est couramment employée.

Il est bien sûr possible d’objecter que l’État est fondé à prendre et des mesures d’expropriation quand l’utilité publique le justifie et des mesures de cession de ses biens à des particuliers quand ils ne remplissent plus la mission d’intérêt général et que les deux mesures sont prises à des moments espacés. Mais là aussi l’argument avancé ne résiste pas à l’épreuve des faits, puisque les mesures d’expropriation et celles de cession s’inscrivent dans un processus presque ininterrompu et que les premières n’étaient envisagées que pour servir les secondes.

Au demeurant, les biens expropriés sont essentiellement des terres à vocation agricole alors qu’il n’est ni dans la tradition ni dans les principes de l’État libéral de s’approprier des fermes. Surtout dans le contexte économique d’alors où les principes de propriété privée et de liberté du commerce et de l’industrie étaient fort bien consacrés par la Révolution de 1789.

Le cantonnement

Le séquestre et l’expropriation n’étaient pas exclusifs d’autres techniques que l’Administration a mobilisées pour accroître la contenance du domaine comme le cantonnement qui a procuré à l’administration domaniale une quantité non négligeable de biens immobiliers. En posant le principe du droit de nue-propriété de l’État sur les terres arch, la loi du 16 juin 1851 peut être considérée comme le signe avant-coureur de la théorie du cantonnement.

La loi de juin 1851 entendait, selon François Borella, stabiliser les droits fonciers des musulmans et les protéger contre les spéculations européennes[31]. Mais la théorie des terres arch a permis de mettre sur pied le système des cantonnements indigènes qui avait pour but de procurer des terres livrables à la colonisation. Le cantonnement avait donc pour cible les terres arch sur lesquelles s’exercera désormais un double droit de propriété.

Sur une partie des terres le droit de propriété revient aux tribus qui n’exerçaient jusque-là qu’un droit d’usufruit et, sur l’autre, c’est l’État qui en devient propriétaire. Autrement dit, il s’agit d’une opération de partage des terres arch qui a pour objet, d’une part, de concéder à l’État une partie du sol en pleine propriété et, de l’autre, de reconnaître aux tribus un droit de propriété sur le sol restant, en compensation de la perte du droit de jouissance qu’elles avaient sur la portion annexée par l’État.

Il semble que le cantonnement n’a pas connu un grand succès ; seulement cinq à six tribus subirent ce système dans certaines régions du pays (Alger, Constantine, Oran, Chlef, Skikda, Tlemcen). En une douzaine d’années de mise en œuvre, les opérations de cantonnement ont porté sur une étendue de 531 387 hectares dont 134 489 hectares, constitués de meilleures terres, ont été versés au domaine de l’État[32]. Mais cette technique de « domanialisation » de la propriété n’a pas suscité naturellement l’adhésion des populations autochtones. Et pour cause, le cantonnement a non seulement permis à l’Administration du domaine de s’approprier les meilleures terres arch, mais il a aussi fragilisé le système communautaire.

Bien que le domaine de l’État ait été le principal fournisseur de l’essentiel des terres à la colonisation agraire, l’achat de terrains aux indigènes par les Européens a contribué aussi à l’extension de la propriété coloniale. C’est le cas de la colonisation libre qui recueillait des terres auprès des colons officiels et surtout par des achats aux musulmans. Cette forme de colonisation a pris de l’essor au début du xxe siècle.

Toutefois, il convient de rappeler que les indigènes se dessaisissent difficilement de leurs terres. Bien mieux, ils ont, à leur tour, souvent acheté des terres auprès des Européens, mais la part de terrains acquise par ces derniers est nettement supérieure. Durant presque toute la colonisation, les aliénations entre indigènes et Européens ont rapporté pour les derniers 1 840 597 hectares et pour les premiers 876 520 hectares[33].

En un peu plus d’un siècle, les pouvoirs publics ont pu dégager en Algérie par un arsenal de techniques juridiques diverses, un fonds considérable de biens immobiliers estimé à 6 677 622 hectares, constituant le domaine national[34]. Cet arsenal juridique a surtout permis aux colons de s’approprier les meilleures terres et de les « conquérir par la charrue après [les] avoir conquises par l’épée », pour reprendre l’expression pertinente de Sabatier[35].

Mais spolier les autochtones de leurs biens et, en particulier, de leurs terres et agir comme si les habitants de ce pays n’existaient pas, n’auguraient pas bien de l’avenir. Alexis de Tocqueville a exprimé, dès 1847, des idées prophétiques au regard du conflit sanglant qui allait opposer plus tard les Algériens aux Français : « L’Algérie deviendrait, tôt ou tard, croyez-le, un champ clos, une arène murée, où les deux peuples devraient combattre, sans merci, et où l’un des deux devrait mourir. »[36]

La théorie du Domaine : une application à géométrie variable

Au moment de la colonisation, le droit positif ne connaissait qu’un seul domaine : le domaine national. Ni le code domanial[37], ni même le code civil qui, pourtant, contenait, nous l’avons vu, quatre dispositions relatives aux biens domaniaux, n’avaient opéré une quelconque distinction des Domaines. Il est aujourd’hui admis que c’est bien la loi du 16 juin 1851 qui a introduit pour la première fois cette distinction. Mais la mise en œuvre de cette théorie appelle une double remarque : d’une part, sa consécration n’était pas fondée sur le critère de l’affectation à l’usage du public et, de l’autre, son application dans les colonies était effrayante parce qu’elle était entachée de nombreux abus.

La distinction des Domaines : un principe introuvable

Pendant longtemps, la théorie juridique du Domaine était un thème favori de la doctrine, mais ignoré totalement, aussi bien du législateur que de la jurisprudence[38]. Jean-Marie Auby et Pierre Bon notaient, à juste titre, que

de nombreux auteurs du xixe siècle ont soutenu que le Code civil consacrait la distinction du domaine public et du domaine privé. On estime aujourd’hui qu’il n’y avait là que scrupules d’exégètes désireux de rattacher leurs conceptions à des textes et qu’en réalité les rédacteurs du code civil, qui employaient indifféremment les expressions de domaine public et de domaine de la Nation, n’avaient jamais pensé à la distinction domaine public et du domaine privé. Cette distinction était du reste ignorée de la doctrine et de la jurisprudence des premières années du xixe siècle.[39]

Jean Dufau, observait à son tour que

certes aux termes de l’article 2 du décret des 22 novembre et 1er décembre 1790 [code domanial] qui a transféré à la nation le domaine de la Couronne [...] les chemins publics, rues et places des villes et, en général, toutes les portions du territoire national qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée sont considérés comme des dépendances du domaine public. En réalité l’expression « domaine public » n’a aucune signification précise ; elle est utilisée comme synonyme de « domaine national ».[40]

De même que la terminologie du code civil, selon Philippe Godfrin, ne présente en l’espèce aucun intérêt scientifique[41] ; la preuve en est, précise-t-il, que l’article 539 range dans le domaine public des biens qui, aujourd’hui, font partie du domaine privé[42], en l’occurrence les biens vacants et sans maître ainsi que les biens en déshérence.

L’idée que le code civil consacrait déjà la distinction du domaine public et domaine privé est infondée ; c’est par une interprétation abusive que l’on a prétendu y trouver l’origine de la distinction. Les rédacteurs du code civil employaient indifféremment les expressions « domaine public » et « domaine de la nation »[43]. La langue du droit n’était donc pas encore fixée avec précision sur le sens des concepts domaniaux mobilisés alors par le législateur.

Il a fallu attendre la loi du 16 juin 1851 sur la constitution de la propriété foncière en Algérie[44] pour qu’enfin la distinction entre domaine public et domaine de l’État, et non domaine privé, soit utilisée officiellement pour la première fois[45].

Un important courant de la doctrine[46] a, depuis, confirmé que c’est bien ce texte qui a inauguré la distinction moderne entre domaine public et domaine de l’État. Il convient de préciser, cependant, que si le texte de 1851 a, certes, établi sans ambiguïté la séparation entre les deux domaines, cette distinction ne renvoie pas à la définition moderne de la domanialité.

Pour bien comprendre les logiques qui la sous-tendent, il convient de répondre à une double question : premièrement l’introduction de la théorie du Domaine a-t-elle obéi à une logique juridique ou à une rationalité économique ? Deuxièmement, pourquoi la théorie juridique du Domaine a-t-elle été appliquée d’abord dans les colonies, et plus précisément en Algérie, avant d’être reçue, mais bien plus tard, en métropole ?

L’affectation domaniale : un principe inconnu

À la première question, on est tenté de répondre que la distinction des Domaines opérée par le législateur n’était guère fondée sur le critère moderne de l’affectation. Ce ne sont pas, en fait, des considérations de finalité d’intérêt général et d’utilité pour l’usager qui étaient alors à l’origine de cette loi et de la distinction des Domaines qu’elle consacre. La dualité domaniale obéissait alors à une logique, non pas juridique, mais strictement économique ; elle répondait à une difficulté circonstancielle à laquelle l’État était à ce moment précis confronté : celle de la présence d’une importante masse de biens dans le domaine national.

La politique de « domanialisation » des terres a fourni, en l’espace d’une vingtaine d’années, au domaine national une grande quantité de biens immobiliers. Les réserves domaniales ainsi aménagées, en raison de leur nature foncièrement économique, puisqu’il s’agit principalement de terres cultivables, n’étaient pas destinées à rester ad vitam aeternam une propriété publique, ni même que l’État doive assurer leur exploitation.

L’État libéral n’a, en principe, ni vocation à s’approprier une quantité très étendue de biens immobiliers, ni à agir dans le domaine économique. Ceci est d’autant plus avéré que les biens en question sont essentiellement des terres agricoles ou à vocation agricole, alors que l’État libéral n’a point pour mission de s’approprier des fermes. L’État propriétaire de biens de nature économique était juste un passage pour les besoins de la colonisation.

Ce rôle inhabituel assigné à l’État était circonstanciel, car ce dernier devait procéder au transfert des terres domaniales essentiellement par un système de concessions et de ventes publiques au bénéfice des Européens. Les terres prises en possession, au début de la colonisation notamment, ont été rattachées dans un premier temps à l’ensemble du domaine national, puisque la distinction entre domaine public et domaine privé n’avait connu encore aucune application concrète.

Il fallait donc opérer une séparation entre les biens domaniaux, pour distinguer ceux qui doivent rester dans le domaine public et ceux qui sont aliénables, c’est-à-dire les biens économiques. Mais cette distinction n’était pas encore conçue, faut-il le préciser, sur le critère moderne de l’affectation à l’intérêt général. C’est donc pour répondre à cette difficulté conjoncturelle que la théorie juridique du Domaine a été appliquée pour la première fois, en 1851, en vue de favoriser alors la rétrocession d’une partie de ce fonds immobilier aux Européens.

La loi de 1851 utilise l’expression de « domaine national » qu’elle scinde en « domaine public et domaine de l’État »[47]. Le domaine public comprend « les biens de toute nature que le code civil et les lois générales de la France déclarent non susceptibles de propriété privée »[48]. Au contraire, les biens du domaine de l’État « pourront être aliénés, échangés, concédés, donnés à bail ou affectés à des services publics »[49].

Comme il est aisé de constater la définition que donne le législateur du domaine public est articulée, non sur l’affectation du bien, mais sur sa nature, selon qu’il est, par lui-même, susceptible ou non de propriété privée. Or ce critère est depuis longtemps abandonné tant par la doctrine que par la jurisprudence au profit de l’affectation. Seul le législateur continue à l’adopter en dépit de son incohérence. La distinction des Domaines a été ensuite utilisée de manière systématique par différents décrets sur les domaines coloniaux[50].

Mais si le législateur l’a d’abord appliquée dans les colonies, et plus tard dans la métropole, dès la première moitié du siècle dernier, la distinction domaine public - domaine privé, sous sa configuration actuelle, est récente. Il a fallu attendre l’année 1956, dans le célèbre arrêt Société Le Beton[51], pour que le Conseil d’État lui confère, enfin, sa présente morphologie.

Curieusement les raisons de l’introduction de la conception dualiste du Domaine en 1851 ne sont pas sans rappeler celles qui ont présidé à sa récente réhabilitation en droit algérien, près d’un siècle et demi après sa première application. En effet, le rétablissement de la domanialité classique grâce à la réforme constitutionnelle du 23 février 1989 (article 18) porte en fait la marque des circonstances qui ont été alors à l’origine de son adoption.

En d’autres termes, il s’agit d’une réponse circonstancielle à des difficultés dues à la présence d’une masse importante de biens dans le domaine national, protégés alors par la loi d’unification du domaine du 30 juin 1984, par le régime de la domanialité publique - inaliénabilité, imprescriptibilité et insaisissabilité -, et dont l’État entend se libérer du moins en partie.

Et c’est bien cette logique qui sous-tend aujourd’hui la réhabilitation de la domanialité classique. L’État s’est trouvé confronté à un problème qui l’oppose, pourrait-on dire, à lui-même, à son propre patrimoine. La stratégie d’appropriation étatique qui a prévalu pendant la double décennie 1960 et 1970, correspondant à la conception qui a fait de l’État l’unique artisan du développement, a eu pour effet, en particulier, l’accumulation d’une masse considérable de biens en tous genres, tous protégés par le régime juridique spécial de la domanialité publique.

La remise en cause de cette politique s’est accompagnée de la contestation d’une partie de la propriété de l’État mal gérée, qui a fini par devenir, en raison de son poids, un pesant fardeau, et dont il veut se décharger. La domanialité classique tombe ainsi à point nommé, puisqu’elle permet le transfert d’une partie de la propriété, jugée non rentable et encombrante, dans le domaine privé, ce qui la rapproche naturellement du régime de la propriété privée.

La théorie du Domaine : une mise en œuvre effrayante

Quant à la seconde question, on peut dire que l’exécution à géométrie variable de la théorie du Domaine tient essentiellement à la crainte qu’inspirent à la classe politique métropolitaine les premières applications souvent abusives de cette théorie dans les colonies.

Quand le gouvernement a décidé, en 1851, de ranger les Eaux, en Algérie, dans le domaine public, pour ne prendre que cet exemple, certains députés s’étaient alors aussitôt élevés contre l’extension des pouvoirs de l’Administration. « Ce principe, affirme l’un d’eux, qu’on veut introduire en Algérie est un principe détestable [...]. L’administration aura le droit de réglementer, d’ôter, de donner à qui elle entendra. »[52]. On comprend mieux la crainte qu’a pu susciter alors cette conception du Domaine.

En effet, sa mise en œuvre a eu immédiatement pour effet de concéder à l’Administration des pouvoirs économiques trop élargis, incompatibles avec le libéralisme triomphant du xixe siècle. La matière domaniale est réputée pour être le terrain d’exercice favori des prérogatives de puissance publique que cette théorie reconnaît à l’administration.

Or l’idéologie libérale, en vogue à cette époque, soutient que l’économie de marché est un mouvement naturel et spontané que l’intervention économique de l’État est de nature à nuire à sa logique[53]. Dans le domaine économique, l’État doit avoir l’attitude d’un simple particulier, puisque le monde des affaires se nourrit d’initiatives individuelles dont la nature est spontanément hostile aux mécanismes d’autorité.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la domanialité publique est conçue, en théorie, comme un régime finalisé dont le but est précisément de limiter l’étendue des prérogatives de puissance publique de l’Administration sur les dépendances qui lui sont soumises.

Mais son application, en Algérie, a été entachée de nombreuses irrégularités, car elle n’a été envisagée que pour faciliter l’implantation coloniale. Les techniques juridiques du droit domanial mobilisées pendant toute la période de la colonisation apparaissent ainsi comme le type même de normes d’une législation de nature colonialiste puisque des situations juridiques ont été conçues à la faveur d’une domination coloniale. Le droit domanial édifié a contribué aussi à couvrir la spoliation de l’habit de la légalité.

Ce décalage est d’autant plus incompréhensible que la Constitution de 1848 précise dans son article 109 que l’« Algérie est un territoire français », et que, à ce titre, elle est placée sous le régime de cette Constitution. Par conséquent, la propriété en Algérie devait obéir au même régime juridique prévalant en métropole. Tel n’a pourtant pas été le cas.

L’Algérie a servi, en quelque sorte, de repoussoir ; et c’est principalement la raison pour laquelle cette théorie a été éloignée pendant longtemps du droit en vigueur dans la métropole, pendant que les colonies ont été très tôt le lieu privilégié d’expérimentation de cette conception singulière du Domaine. En effet, les colonies ont été un véritable laboratoire où sont élaborés les principes et règles du droit domanial.

Aussi convient-il de relever que le Domaine en Algérie a été le théâtre non seulement d’une activité législative et réglementaire intense, nous l’avons vu plus haut, mais encore le siège d’une production jurisprudentielle éclairante. Il n’y a cependant à cela rien d’étonnant quand on sait que c’est bien la jurisprudence du Conseil d’État qui a dégagé les règles et principes fondamentaux de la domanialité sans référence à des textes.

Parmi les exemples disponibles de jurisprudence dont l’Algérie fut le siège, on peut citer l’arrêt du Conseil d’État du 17 janvier 1923, Société Piccioli - qui exploite le charbon dans le département d’Oran -, à l’occasion duquel le juge a admis sans ambiguïté que l’Administration est véritablement propriétaire de son domaine ; l’arrêt « Administration des chemins de fer algériens »[54] a confirmé que l’intérêt général est un critère fondamental du domaine public qu’il soit affecté à l’usage du public ou aux services publics ; l’arrêt Berthier[55] du Conseil d’État qui a estimé que la place de l’aéromoteur située à Maison Blanche, près d’Alger, constituait une promenade publique affectée à l’usage du public, parce qu’elle était spécialement aménagée à cette fin ; l’arrêt « Compagnie fermière du casino municipal de Constantine »[56] a été l’occasion, pour le juge administratif, de se reconnaître, même en l’absence d’un texte, une compétence générale en matière d’expulsion des occupants sans titre du domaine public ; l’arrêt du Conseil d’État du 29 juillet 1943, « Ville d’Alger », à l’occasion duquel la Haute Cour de justice a confirmé que la domanialité publique est exclusive des propriétés privées, etc.

 

Cette réflexion sur l’utilisation, en quelque sorte, détournée d’un concept en l’occurrence la domanialité dans le double rapport aux droits français et algérien, venant à son terme, appelle une triple remarque.

La première consiste à préciser qu’en dépit des efforts soutenus de la politique foncière coloniale d’unifier les différents statuts fonciers par, d’un côté, les techniques d’immatriculation et de cadastre et, de l’autre, par l’institution domaniale visant à rapprocher la propriété indigène de la conception civiliste de la propriété, c’est-à-dire une propriété individuelle, unitaire et absolue, le morcellement des statuts de la propriété en Algérie a la vie dure. La diversité a survécu à toutes les tentatives d’unification.

Si bien que, même après l’indépendance avec l’adoption de la loi d’unification des Domaines en juin 1984 et la loi réintroduisant la dualité domaniale en décembre 1990, la propriété foncière reste très marquée par la pluralité de statuts fonciers puisqu’on y trouve encore aujourd’hui à côté des concepts de domaines public et privé... certains vieux concepts comme les biens habous, biens arch, biens melks, biens mechmel, biens beylik... forgés par une histoire plusieurs fois séculaire. Il s’agit de concepts si solidement enracinés qu’ils sont devenus indifférents aux changements de doctrine politique et économique et de conception de la propriété.

La deuxième tient au fait que la fameuse théorie juridique du Domaine n’a connu sa configuration moderne qu’à travers un processus long qui a commencé en 1851 et qui va s’étaler pendant un siècle et demi pour connaître ses attributs actuels, en évolution toujours constante[57]. Mais cette évolution, il convient de le souligner, est rarement l’œuvre du législateur ; hormis les récentes réformes législatives sur la possibilité de constituer des droits réels sur le domaine public, son apport à la modernisation de la domanialité est dérisoire.

Comme l’a relevé, à fort juste titre, Sabliere « lorsque le législateur a essayé d’y toucher, soit dans le code du domaine de l’État où il a écrit des choses bizarres, soit dans la loi de 1988 [...] il n’a pu qu’introduire un peu d’obscurité dans une matière qui n’en avait pas besoin »[58]. Décidément la question domaniale ne réussit pas au législateur.

D’ailleurs le droit d’origine législative est parfois conçu simplement comme un instrument du pouvoir politique qui se traduit en lois, ordonnances, décrets, etc., et soumis, de ce fait, davantage à une logique politique ou économique que juridique. Dans ces cas, ce sont souvent des considérations d’urgence, de contingence qui président à la démarche du législateur. Alors le souci de cohésion, de clarté et de logique juridique dans la définition des concepts est, en l’espèce, peu présent.

Et lorsque le législateur ne donne que des définitions approximatives et incohérentes - c’est particulièrement vrai dans le cas qui nous occupe -, c’est en effet au juge qu’il appartient, au nom de son pouvoir d’interprétation des lois et règlements, d’y mettre de l’ordre.

En la matière, c’est bien la jurisprudence, notamment du Conseil d’État, qui a remédié aux incohérences du législateur. Le premier se présente ainsi comme l’artisan incontestable de la notion moderne de la domanialité, suite à une longue et minutieuse élaboration. Il a fallu attendre l’année 1956, dans le célèbre arrêt Société Le Beton, cité plus haut, pour que le Conseil d’État lui confère, enfin, sa présente morphologie, c’est-à-dire une notion fondée sur le critère jurisprudentiel général de l’affectation d’un bien à l’usage du public soit directement soit par l’intermédiaire d’un service public pourvu qu’en ce cas il soit adapté par nature ou par des aménagements spéciaux.

La troisième en est que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’application de la théorie dualiste du domaine tout au long de la colonisation française n’a pas été abandonnée à l’indépendance, malgré sa connotation péjorative en ce qu’elle renvoie directement à la colonisation. Son application a été, certes, interrompue après 1962, mais elle n’a pas été totalement écartée pour autant, étant donné que la rupture avec la législation française, comme on pouvait s’y attendre, n’a finalement pas eu lieu ; elle a été officiellement prorogée par la loi du 31 décembre 1962 portant reconduction de la législation antérieure, bien que les liens politiques entre les deux pays aient été rompus.

Mais le législateur algérien ne s’est pas contenté de la conception dualiste. L’Algérie se présente comme le théâtre d’une quadruple expérience de construction d’un droit des biens publics qui a fortement imprégné la notion de Domaine.

À côté de la domanialité classique, insérée au milieu du xixe siècle (1851) et renouvelée au lendemain de l’indépendance, l’Algérie connaît depuis bien avant la colonisation française une conception de la propriété publique inspirée du droit islamique, appelée habous ou wakf et qui est du reste toujours en cours. On est passé le 30 juin 1984, vingt-deux ans après l’indépendance, à la conception socialiste dite unitaire du Domaine, pour réintroduire, cinq années plus tard - le 23 février 1989 - la conception classique du Domaine. Enfin, on peut dire que l’Algérie est en effet le champ « favori » d’expérimentation des conceptions domaniales.


[1] Albert Rigaudière, Introduction historique à l’étude du droit et des institutions. Paris : Economica, 2006, 3e édition, p. 11.

[2] Il nous paraît utile de reproduire ici ces dispositions :

- Article 538 : « Les chemins, routes et rues à la charge de l’État, les fleuves, rivières navigables ou flottables, les rivages, lais et relais de la mer, les ports, les havres, les rades et généralement toutes les portions du territoire français qui ne sont pas susceptibles d’une propriété privée sont considérés comme des dépendances du domaine public. »

- Article 539 : « Tous les biens vacants sans maître et ceux des personnes qui décèdent sans héritiers ou dont les successions sont abandonnées appartiennent au domaine public. »

- Article 540 : « Les portes, murs, fossés, remparts des places de guerre et des forteresses font ainsi partie du domaine public. »

- Article 541 : « Il en est de même des terrains, des forteresses et des remparts des places qui ne sont plus places de guerre ; ils appartiennent à l’État s’ils n’ont pas été valablement aliénés ou si la propriété n’en a pas été prescrite contre lui. »

[3] René Capitant observe que « le domaine ce beau nom imprégné de latin, [qui] désigne une des institutions les plus importantes de notre droit administratif, plus que tout autre, a sollicité l’effort de la doctrine », cité par Jean-Pierre Lebreton, « Le domaine public ». La documentation française. 12 juin 1988, n° 2, p. 3.

[4] Christian Lavialle, « Des rapports entre la domanialité publique et le régime des fondations », loc. cit., p. 484.

[5] Mohamed Hédi Cherif, « Les statuts et formes de propriété ». In Camille et Yves Lacoste (dir.), Maghreb, peuples et civilisations. Paris : La Découverte, 1995, p. 107.

[6] En réaction à la menace espagnole de conquérir les villes côtières, Alger a fait appel aux corsaires turcs, les frères Barberousse, qui étaient à l’origine de la fondation de l’État d’El-djazair, province du grand empire musulman du xvie siècle, dirigée alors par les Turcs.

[7] Des renvois aux travaux de ces auteurs seront indiqués tout au long de cette réflexion.

[8] Les statistiques relatives à la superficie des différentes catégories de biens mentionnées ci-dessus sont données par Amar Aloui, Propriété et régime foncier en Algérie. Alger : Éditions Houma, 2006, p. 41-42.

[9] Le terme sebaga signifie en arabe « antériorité », « premier occupant ».

[10] On peut lire sous la plume de De Chavigny à propos de la propriété en Algérie et en Tunisie que « si l’on voulait remonter aux origines premières du sol collectif, on lui trouverait des racines autrement lointaines que les théories religieuses et politiques de l’islam. Il faudrait les chercher jusqu’aux commencements lointains ou l’on passait de la vie pastorale à la vie agricole et où l’on avait trop de choses à redouter pour que l’individu comptât pour beaucoup », (De Chavigny A., La terre collective de tribu en Algérie et en Tunisie. Tunis : Société de législation comparée, 1911, p. 3 ; cité par Abdelfattah Eddahbi, Les biens publics en droit marocain. Casablanca : Éditions Afrique-Orient, 1992, p. 40).

[11] Pour de plus amples détails sur la notion de biens habous, voir notre réflexion « Le habous, le domaine public et le trust ». Revue internationale de droit comparé, avril-juin 2005, n° 2, p. 441-470.

[12] Raymond Charles, Le droit musulman. Paris : PUF, 1965, p. 67.

[13] Expression latine signifiant que rien n’échappe à cette classification qui recouvre l’ensemble des biens : l’un des deux termes, domaine public ou domaine privé, s’applique nécessairement à tous les biens publics.

[14] Charles-Robert Ageron relevait à propos de la colonisation civile que « les terres du beylik turc et les terres incultes furent déclarés propriétés de l’État » (Histoire de l’Algérie contemporaine. Paris : PUF, 1974, p. 23).

[15] On peut citer bien d’autres arrêtés :

- arrêté du 1er mars 1833 instituant un système de vérification des titres de propriété ;

- arrêté du 23 mars 1843 rattachant les recettes et les dépenses des établissements religieux au budget colonial ;

- arrêté du 30 octobre 1848 portant réunion au domaine de l’État des immeubles appartenant aux mosquées, marabouts, zaouïas et, en général, à tous les établissements religieux musulmans ;

- arrêté du 26 novembre 1948 relatif à la procédure d’institution des demandes d’autorisation d’occupation du domaine public national, etc.

[16] Youcef Djebari, « L’accaparement des terres par les pouvoirs publics ». In La France et l’Algérie : bilan et controverses. Alger : OPU, 1995, p. 77. Voir aussi Charles-André Julien, Histoire de l’Algérie contemporaine. Paris : PUF, 1960.

[17Journal officiel du 30 avril 1943, p. 303.

[18] Décret n° 56-290 du 26 mars 1956.

[19] Ordonnance n° 59-41 du 3 janvier 1959.

[20] Sur les irrégularités qui ont entaché le processus de domanialisation de la propriété, voir notamment C.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 23 ; Ghouti Hamadi, « La législation foncière en Algérie avant l’indépendance ». Revue algérienne des sciences juridiques, économiques et politiques, septembre 1971, n° 3, p. 724 ; Ahmed Rahmani, Les biens publics en droit algérien. Alger : Éditions Internationales, 1996, p. 31.

[21] « En ce qui concerne les séquestres, on maintient la législation de 1845 malgré les prescriptions des confiscations dans la métropole. Celle-ci était aux mains des autorités coloniales un moyen de répression jugé absolument nécessaire », in Victor Demontes, L’Algérie économique. Alger : Imprimerie algérienne, Gouvernement général d’Algérie, Direction de l’agriculture, du commerce et de la colonisation, 1922, t. III, p. 265, cité par Y. Djebari, op. cit., p. 79.

[22] Y. Djebari, op. cit., p. 80.

[23Ibid.

[24Ibid.

[25] Sur ces méthodes, voir C.-R. Ageron, Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit, p. 23 ; Y. Djebari, op. cit., p. 84.

[26] A. Rahmani, op. cit., p. 31.

[27] Jean De Soto, Droit administratif. Paris : Éditions Montchrestien, 1981, p. 406.

[28] Y. Djebari, op. cit., p. 84.

[29] Charles-Robert Ageron, écrivait que « Les ordonnances de 1844 et 1846 inventèrent le système des expropriations pour cause d’inculture », in Histoire de l’Algérie contemporaine, op. cit., p. 23 ; voir également G. Hamadi, « La législation foncière en Algérie avant l’indépendance », art. cité, p. 724.

[30] A. Rahmani, op. cit., p. 31.

[31] François Borella, loc. cit., p. 513 et 514.

[32] Y. Djebari, op. cit., p. 83.

[33Ibid., p. 106.

[34Ibid., p. 111.

[35] Sabatier, Rapport sur la propriété indigène. Alger : Heintz, 1904, p. 170.

[36] Alexis de Tocqueville, cité par Mohamed Harbi, « L’Algérie en perspectives ». In Mohamed Harbi et Benjamin Stora (dir.). La guerre d’Algérie 1954-2004. La fin de l’amnésie. Paris : Laffont, 2004, p. 42 et 43.

[37] « Sous la Révolution, le décret des 22 novembre et premier décembre 1790 [code domanial] a transféré à la nation le domaine de la Couronne [...]. Mais la législation révolutionnaire ne comporte aucune distinction des domaines public et privé » (Jean Dufau, Le domaine public. Le Moniteur, 1993, 4e édition, t. I, p. 14).

[38] Michel Verpeaux, « Proudhon et la théorie du domaine public ». In 109e congrès national des sociétés savantes. Dijon, Série Histoire moderne, 1984, t. II, p. 113-130.

[39] Jean-Marie Auby et Pierre Bon, Droit administratif des biens. Paris : Dalloz, 1993, 2e édition, p. 6. Guillaume Drago, constatait aussi que « le code civil, dans ses articles 538 à 541, reconnut l’existence d’un domaine public mais l’expression qualifiait alors l’ensemble du domaine de la nation » (Le domaine public, Droit administratif et administration. Paris : La Documentation française, 1988, p. 1). Voir également sur ce point Jean-Pierre Lebreton, Le domaine public. Paris : La Documentation française, 1988, p. 8.

[40] J. Dufau, op. cit., p. 14.

[41] Philippe Godfrin, Droit administratif des biens. Paris : Masson, 1983, 2e édition, p. 15.

[42] J. Dufau, op. cit., p. 3.

[43] Jean-Marie Auby et René Ducos Ader, Droit administratif. Paris : Dalloz, 1983, 6e édition, p.  257 et suiv.

[44] Article premier : « Le domaine national comprend le domaine public et le domaine de l’État. »

Article 2 : « Le domaine public se compose : des biens de toute nature que le code civil et les lois générales de la France déclarent non susceptibles de propriété privée ; des travaux d’irrigation, de navigation et de dessèchement exécutés par l’État ou pour son compte, dans un but d’utilité publique, et des dépendances de ces canaux ; des aqueducs et des puits à l’usage du public ; des lacs salés, des cours d’eau de toute sorte et des sources. Néanmoins, sont reconnus et maintenus tels qu’ils existent les droits privés de propriété, d’usufruit ou d’usage légalement acquis antérieurement à la promulgation de la présente loi sur les lacs salés, les cours d’eau et les sources ; et les tribunaux ordinaires restent seuls juges des contestations qui peuvent s’élever sur ces droits. »

Article 4 : « Le domaine de l’État se compose : des biens qui, en France, sont dévolus à l’État, soit par les articles 33, 539, 541, 713, 723, du code civil et par la législation sur les épaves, soit par suite de déshérence, en vertu de l’article 768 du code civil en ce qui concerne les Français et les étrangers, et en vertu du droit musulman en ce qui concerne les indigènes ; des biens et droits mobiliers et immobiliers provenant du beylik et de tous autres réunis au domaine par les arrêtés et ordonnances rendus antérieurement à la promulgation de la présente loi ; des biens séquestrés qui auront été réunis au domaine de l’État dans les cas et suivant les formes prévus par l’ordonnance du 31 octobre 1845 ; des bois et forêts, sous la réserve des droits de propriété et d’usage régulièrement acquis avant la promulgation de la présente loi. » Loi citée par Robert Estoublon et Adolphe Lefébure, Code de l’Algérie annoté. Alger : A. Jourdan, 1904, t. I, p. 135.

[45] François Borella, « Les biens d’État en Algérie en dehors du domaine public et privé ». Revue juridique et politique indépendance et coopération, 1971, n° 1, p. 15 ; voir J.-M. Auby et R. Ducos Ader, op. cit., p. 259 ; voir aussi P. Godfrin, op. cit., p. 14.

[46] J.-P. Lebreton, op. cit. p. 4 ; Jean-Marie Auby et Pierre Bon, Droit administratif des biens. Paris : Dalloz-Sirey, 1995, 3e édition, p. 7.

[47] Article premier de la loi du 16 juin 1851.

[48] Article 2 de la loi.

[49] Article 6 de la loi.

[50] J.-M. Auby et P. Bon, Droit administratif des biens. Paris : Dalloz, 1993, 2e édition, p. 7.

[51] C.E sect, arrêt Société Le Beton du 19 octobre 1956, conclusion Long, AJDA, 1956, p. 472.

[52] Y. Djebari, op. cit., p. 112.

[53] Mais cette vision est loin d’être conforme à la réalité ; l’État agit d’une façon ou d’une autre sur l’économie par diverses mesures de protection - douanière - et d’incitation - encouragements des exportations - ainsi qu’en faisant fonctionner certains services de régulation, etc.

[54] Cass. Civ. du 7 novembre 1950.

[55] 22 avril 1960.

[56] C.E., du 13 juillet 1961.

[57] Le législateur en France a récemment procédé à une réforme de la domanialité publique qui admet la possibilité de constituer des droits réels sur le domaine public artificiel, qu’il suffise de citer la loi du 25 juillet 1994 qui permet la constitution de droits réels sur le domaine public artificiel de l’État, et la loi du 13 février 1997 qui facilite l’investissement et l’implantation d’activités économiques sur le domaine ferroviaire. Alors que cette faculté était considérée jusque-là incompatible avec le régime juridique du domaine public, c’est-à-dire avec le principe de précarité des occupations privatives.

[58] Actes du colloque « Domaine public et activités économiques », in CJEG, n° hors série, octobre 1991, p. 9.


Citer cet article :
Tahar Khalfoune, «  L’Algérie : champ d’expérimentation favori de(s) théorie(s) du Domaine  », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007, http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=258