ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


GALLISSOT René

Université Vincennes-Saint-Denis-Paris 8, Institut Maghreb Europe

Les mouvements ouvriers au Maghreb : étude comparée

Session thématique « Sociétés : scènes et acteurs »

Mardi 20 juin 2006 - Après-midi - 14h30-16h30 - Amphithéâtre

La paresse régnante est de se soumettre à l’histoire nationale qui est un point de vue d’État et d’éducation dite nationale. Il n’y a pas de droit à la paresse intellectuelle. Dans la longue durée des mouvements idéologiques pour parler comme Maxime Rodinson, l’idéologie nationale recouvre encore en ces temps contemporains, les mobilisations antécédentes par les religions qui agissent en retordant les nœuds et les normes de la parenté. La famille dite patriarcale est d’abord patrimoniale et l’identité nationale est devenue propriété, la seule propriété de ceux qui n’ont pas de patrimoine.

Une des questions de fond aujourd’hui commande l’interrogation sur le retour des légitimations politiques et des conduites publiques par le religieux dans l’usure des nationalismes modernistes à la fin de la période de « national-développementalisme » dominant. La volonté de pouvoir n’en a pas moins pour but l’appropriation de l’État national et le placement ou un reclassement dans l’État selon le modèle même qui est la raison du mouvement national.

Faisons un détour par l’histoire comparée des mouvements ouvriers pour respecter le sujet imposé, en s’efforçant de prendre quelque distance avec le service historique de la religion nationale. Bien que le premier soit double, trois exemples permettent ici d’approcher ce qui relève d’un populisme prolétarien, de l’engagement d’une intelligentsia seconde ou subalterne qui va au mouvement ouvrier et de la construction d’un syndicalisme d’encadrement. Les acteurs ou les agents sont d’authentiques militants sous conformation naissante puis acquise du couple organisationnel : syndicat-parti national.

Mouvement ouvrier national : construction syndicale et partisane

L’exemple double pour le mouvement tunisien touche au moment naissant d’un populisme ouvrier. Les initiateurs sont devenus des icônes nationales, et Tahar El Haddad reste une icône du mouvement féministe. Cependant dire « la femme tunisienne », c’est déjà parler de notre femme tunisienne, propriété nationale. Au Maroc, Michel Mazzella, communiste français, syndicaliste enseignant à l’œuvre, fut le formateur ou du moins le promoteur d’Ali Yata qui conduira le Parti communiste marocain vers une surenchère de nationalisme royal. Pour l’histoire algérienne, on voit Embarek Djilani, cadre du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), instituer directement l’Union général des travailleurs algériens (UGTA), syndicalisme de l’État-parti ; encore était-il un vrai militant politique.

Mohamed Ali (1896-1926) et Tahar El Haddad (1899-1935)

Mohamed Ali est considéré comme le père du syndicalisme national en Tunisie ; célibataire, ce serait plutôt le frère aîné. Tahar El Haddad est la figure tutélaire d’intellectuel musulman progressiste de langue arabe. Leurs itinéraires se croisent dans la première Confédération générale tunisienne du travail (CGTT).

Commune origine familiale en milieu déshérité du Sud tunisien à El Hamma de Gabès ; Mohamed Ali y est né avant de suivre son père à Tunis, et très jeune, il va travailler au consulat d’Autriche aux côtés de son frère, pour devenir chauffeur du consul. Son métier sera par qualification : chauffeur-mécanicien.

Tahar El Haddad est né à Tunis, mais dans une famille de migrants gabésiens qui lui permet de passer de l’école coranique à la Grande mosquée El Zitouna en 1911 ; il en sort diplômé en 1923.

En 1911, Mohamed Ali accompagne comme chauffeur Anouar Pacha, dignitaire ottoman dépêché de Tunis en Tripolitaine auprès de la résistance turque à l’offensive italienne. Il entre dans la mouvance ottomane et se retrouve en Turquie pendant la guerre dans le milieu des militaires Jeunes Turcs et dans l’entourage d’Enver Pacha. Le général Jeune turc vient du front tripolitain et part à la recherche d’un soutien armé auprès de la révolution bolchevique avant de mourir dans le camp adverse. Les Tunisiens partisans des Turcs trouvent appui auprès des alliés allemands. C’est à Berlin que s’active Ali Bach Hamba, le banni (1911) du mouvement Jeune tunisien qui lance La revue du Maghreb.

En 1921, Mohamed Ali est à Berlin où il anime la confédération des étudiants arabes en Allemagne (El Arabia). Il est inscrit à l’Université mais en est renvoyé pour « insuffisance de travail » ; ce qui ne l’empêchera pas, quand il rentrera à Tunis en 1922-1923 et finalement en mars 1924, de passer pour docteur en économie politique. Il loge alors chez sa sœur en milieu gabésien et entreprend une campagne pour le développement du mouvement coopératif. On connaît ses idées par Tahar El Haddad qui rapporte une conférence faite à l’association la Khaldounia. Les coopératives doivent permettre d’échapper à la spéculation et à l’exploitation. On reconnaît là un leitmotiv des socialismes débutants dans l’Europe du xixe siècle et dans le monde arabe des années 1920. Une « coopérative commerciale pour l’achat et la vente de produits alimentaires » est ainsi créée. C’est cette réputation de savant et de propagandiste des coopératives ouvrières qui suscite l’appel des dockers en grève en juillet 1924. Mohamed Ali passe du rôle d’animateur du comité d’action et de soutien qui double le comité de grève, à la direction de la CGTT fondée face à l’Union des syndicats CGT, le 3 septembre 1924.

Arrêté au début de février, il sera condamné en décembre 1925 - avec trois autres gabésiens sur les cinq Tunisiens à la direction de la CGTT - par le tribunal d’Alger qui juge « le complot » contre le Protectorat français de Tunisie. C’est Tahar El Haddad qui avec d’autres anciens de la Zitouna, a participé activement à cette première expérience de syndicalisme national, qui dresse l’historique de la CGTT en reconstituant presque immédiatement les faits et gestes de Mohamed Ali dans son livre de près de 200 pages publié en 1927 à l’imprimerie El Arab de Tunis : Al Oummâl al-toûnissiyyoun wa dhoubour al-’harakah al-niqâbiyyah (« Les travailleurs tunisiens et la naissance du mouvement syndical »).

Redevenu chauffeur-mécanicien, Mohamed Ali vit au Caire. Chauffeur d’un pacha, il aurait refusé de conduire l’Ambassadeur de France. Pour le compte d’une entreprise de louage de voitures, il trouve la mort le 10 mai 1928 dans un accident d’automobile survenu entre Djedda et La Mecque.

Après avoir soulevé la polémique et les protestations des gens de mosquée pour son deuxième livre publié en 1930 : Imra’atouna Fî’l-shariah wa’l-moujtama’ (« La femme tunisienne dans la législation religieuse et dans la société »), Tahar El Haddad meurt de tuberculose en décembre 1935.

(Extrait d’Histoire du syndicalisme dans le monde. Des origines à nos jours. Jean Sagnes (dir.), Toulouse : Privat, 1994. Version reprise dans René Gallissot, Le Maghreb de traverse. Saint-Denis : Bouchène, 2000.)

Mazella Michel

Né le 27 juillet 1907 à Oran (Algérie), mort à Concarneau (Finistère, France) le 10 avril 1980 ; époux de Lucette Mazzella-Gorré ; instituteur à Marnia (Algérie) puis avec sa femme, en poste double à Mazagan, Casablanca et Oran (1954-1962) et dans l’Algérie indépendante ; l’un des principaux organisateurs du parti communiste au Maroc, auprès de Léon Sultan, et assurant la promotion de Ali Yata au secrétariat général ; expulsé du Maroc en 1952.

Né dans une famille de Français d’Algérie, Michel Mazzella était le fils d’Élisabeth Lubrano de Lavarra épouse Mazzella et de Nicolas Léonard Mazzella, chauffeur dans la Marine. Il fit ses études primaires supérieures à Oran puis entra en 1923 à l’École normale d’instituteurs de la Bouzaréah près d’Alger. Il prit son premier poste d’instituteur à Marnia (département d’Oran à l’époque) qu’il occupa d’octobre 1926 à novembre 1927. Il fit ensuite son service militaire à Oujda (Maroc) de novembre 1927 à avril 1929 et choisit de s’installer au Maroc avec sa femme, Lucette Gorré venue elle aussi d’Oran, en poste double d’instituteurs et l’on peut dire aussi en poste double d’action militante. Le couple Mazzella fut nommé d’abord à Mazagan (El Jadida, 1929-1931) puis à Casablanca, à l’école du Maarif, quartier à la fois « petit blanc » et très « mêlé » de la ville coloniale (1931-1948), puis à l’école des Roches Noires, quartier industriel et ouvrier, de 1948 au 10 décembre 1952 ; ce jour-là - après les manifestations et la répression à Casablanca faisant suite à l’assassinat du leader syndical tunisien Ferhat Hached -, il fut arrêté dans sa classe pour être expulsé le lendemain vers l’Algérie.

En 1933-1934, les jeunes militants communisants, notamment les jeunes enseignants, étaient membres des sections socialistes de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), le parti français autorisé au Maroc alors que le parti communiste était interdit. Ces groupes communistes se réunissaient ainsi en cellules clandestines, cellule d’avocats avec Léon Sultan, venu lui aussi d’Algérie ; cellule populaire comme au Maarif, la cellule animée par le boucher Xavier Gransart que fréquentaient les Mazzella. Michel Mazzella fut aussi un des secrétaires du Comité de rassemblement populaire. Après l’arrivée du général Noguès, nommé résident général par le gouvernement de Front populaire, à partir d’octobre 1936, le parti communiste agit publiquement, mais se trouva en 1937 secoué par une crise d’organisation entre les partisans d’un parti communiste propre au Maroc (groupe Hiroux-Grondin), et ceux qui sont attachés au Parti communiste français (groupe Gransart avec Charles Dupuy), si tant est que cet affrontement, fort confus, ne recouvrait pas d’autres motifs de querelle. La conférence régionale du parti communiste, c’est-à-dire statutairement de la région communiste du parti communiste, Section française de l’Internationale communiste, tenue à Casablanca le 4 avril 1937, se termina dans la division.

Michel Mazzella participa alors aux efforts de regroupement des communistes qu’entreprenait Léon Sultan, dont il était très proche. Il s’occupa plus particulièrement des Jeunesses communistes, où l’on retrouva principalement des lycéens et des étudiants, et de la section du Secours populaire à Casablanca. Le parti communiste fut dissous en 1939 et les communistes pourchassés. C’est après le débarquement américain du 8 novembre 1942 et la libération des militants communistes et syndicalistes détenus, que l’opération de rassemblement des communistes reprit autour de Léon Sultan jusqu’à la formation du Parti communiste marocain à la conférence constitutive du 13 novembre 1943 ; Michel Mazzella devenait secrétaire à l’organisation. À l’école du quartier du Maarif, il fit la connaissance d’un jeune enseignant d’arabe : Ali Yata, qui participait aux cercles de jeunes nationalistes marocains avant d’adhérer au parti communiste. Quand en juillet 1944, Léon Sultan s’engagea dans l’armée française de débarquement en Europe, c’est sur Michel Mazzella et Henri Lafaye qui suivait surtout l’action syndicale, que reposa la direction du parti communiste ; en février 1945, Ali Yata entrait au secrétariat du parti communiste.

À cette époque, dans l’engagement de guerre contre l’Allemagne aux côtés de l’urss et également dans la perspective d’agir dans le domaine réservé que représente le domaine colonial français qui supportera le projet de ce que l’on appellera l’Union française, auquel le Parti communiste français restera attaché, le mouvement communiste se prononçait contre l’indépendance et contre les nationalismes d’Afrique du Nord ; c’était au sein du secrétariat du Parti communiste français, André Marty[1] qui était chargé de « suivre » selon la ligne du « centre », c’est-à-dire de Moscou, les trois partis communistes d’Afrique du Nord. Avec Léon Sultan, Michel Mazzella condamna le Manifeste pour l’indépendance du 11 janvier 1944 (Manifeste de l’Istiqlal), puis il se trouva conduire l’opposition communiste au Parti de l’Istiqlal. Lors des obsèques de Léon Sultan, décédé des suites de ses blessures de guerre, il lui revint de prononcer l’éloge funèbre que, brisé par l’émotion, il ne put achever (25 juin 1945).

Tout en dénonçant la répression qui frappait les leaders et militants politiques marocains, c’est la position d’union à la France, que défendit encore le rapport politique que Michel Mazzella présenta au premier congrès du Parti communiste marocain : « au service du peuple dans les villes et les campagnes », les 5, 6 et 7 avril 1947. L’infléchissement du mouvement communiste dans les trois pays d’Afrique du Nord comme ailleurs, amorcé à l’été 1946, poussait à une meilleure représentation des nationaux aux côtés des « Européens » dans les instances du parti et des syndicats. C’est alors Ali Yata qui présenta le rapport politique au comité central des 3 et 4 août 1946, évoquant la fin du Protectorat et l’élection d’une Assemblées nationale souveraine. Le 26 août 1946, Michel Mazzella faisait partie de la délégation communiste reçue au Palais par le Sultan.

C’est à partir de 1947 et plus encore de 1948, en cessant de se référer à l’Union française, que le Parti communiste marocain en vint à l’idée d’indépendance nationale, prétendant de surcroît avoir été le premier parti « à poser nettement le problème national marocain ». La répression à partir de 1948 s’abat sur les militants marocains, nationalistes, syndicalistes, et communistes. L’action devient pour partie clandestine ; Michel Mazzella s’emploie à protéger et couvrir les dirigeants marocains du Parti et tout particulièrement Ali Yata. Au deuxième congrès du Parti communiste marocain, en avril 1949, c’est Abdeslam Bourquia qui fut chargé de présenter le rapport politique. Il constatait que les résistances du parti à la marocanisation et à son orientation nationale n’avaient pas disparu ; aussi le congrès accéléra la marocanisation : Michel Mazzella fut déplacé sur le poste de trésorier général et n’appartenait plus au secrétariat général. Il est vrai que dans cette période très dure, il n’en continuait pas moins à prendre une part très active à la direction du parti, aux côtés donc d’Ali Yata et Abdeslam Bourquia, jusqu’à son expulsion le 11 décembre 1952 vers son « département d’origine » l’Oranie.

Il y continua son activité politique et syndicale. Instituteur à l’école Ferdinand Buisson à Oran, il fut un des secrétaires de l’Union départementale des syndicats CGT d’Oranie. Il échappa avec sa femme à une tentative d’assassinat par l’OAS, le 22 mai 1962. Revenu à Oran après l’indépendance de l’Algérie, il fut directeur de l’école d’application Lamoricière. Michel Mazzella quitta l’Algérie en 1964.

SOURCES : G. Oved, La Gauche française et le nationalisme marocain, t. II ; A. Ayache, Le mouvement syndical au Maroc, t. I et II ; « Droite et gauche dans le Protectorat français au Maroc », La Pensée, août 1976 ; id., « Les communistes du Maroc et les Marocains », Mouvement ouvrier, nationalismes et communisme dans le monde arabe, R. Gallissot (éd.), Paris : Éditions ouvrières, 1978. Correspondances de Michel Mazzella en réponse à A. Ayache, lettres du 17 décembre 1973, 31 janvier 1975, 1er et 14 octobre 1976.

A. Ayache, R. Gallissot, G. Oved.

(Notice du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier : Maghreb. MAROC des origines à nos jours. René Gallissot [dir.], Paris : L’Atelier [collection Jean Maitron], 1998).

Djilani Embarek

Né le 16 janvier 1917 à Saint-Arnaud (El Eulma, wilaya de Sétif), instituteur, responsable du PPA de Sétif en mai 1945, emprisonné ensuite. Élu député à l’Assemblée algérienne en 1948, membre du Comité central et trésorier du MTLD, arrêté en novembre 1954. Réorganisateur clandestin des secrétariats de l’UGTA à Alger en 1956-1957. Coordinateur adjoint de la Délégation extérieure de l’UGTA à Tunis à partir de 1958. Député FLN après l’indépendance.

Quelquefois confondu avec Mohammed Si Djilani et signalé pour collaboration avec l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, en fait bien plus jeune, Embarek Djilani est à cette époque instituteur près de Guenzet dans la région de Sétif. Son père qui a une nombreuse famille, était cafetier . Djilani suivit le cours complémentaire à Saint-Arnaud et exerce comme instituteur d’école indigène à partir de 1938. C’est après le débarquement allié de novembre 1942, qu’il devient actif au PPA ; il organise un groupe de Scouts musulmans à El-Hilal en 1943, puis installé à Saint-Arnaud, ouvre un Cercle du progrès qui sert de base aux Amis du Manifeste, et en réunissant principalement les scouts routiers constitue la cellule du Parti du peuple algérien (PPA). En 1945, il est le responsable du parti nationaliste, toujours sous interdiction, pour la région de Sétif s’étendant outre sur Sétif et le plateau, vers la Kabylie, aux villes et bourgades de M’Sila, Bordj-Bou-Arreridj, Bougie (Béjaia), Sidi-Aich, Guenzet. Cette extension montre que le parti n’est pas encore fortement implanté contrairement à l’illusion qu’apportent les « événements de 1945 ».

Les scouts musulmans formaient un petit cortège au matin du 8 mai 1945 pour porter leurs bouquets de fleurs au monument aux morts sur la place de Sétif. Comptant quelque 2 000 manifestants scandant « libérez Messali », le cortège du PPA s’avançait depuis l’entrée de la ville dans la rue principale ; un policier abat le porteur du drapeau algérien et les tirs se poursuivent depuis les balcons de maisons « européennes ». La panique gagne ; le mois des massacres est ouvert dans le Constantinois, vouant à la mort quelque 30 000 Algériens et entraînant dans la démesure, arrestations et condamnations. Si Embarek Djilani passe au travers de ces terribles moments, c’est qu’il a été arrêté préventivement étant connu comme le responsable du PPA. Il est révoqué de l’enseignement, condamné à trois ans de prison et 20 000 francs d’amende pour « reconstitution de ligue dissoute ». Libéré au bénéfice de l’amnistie, reprenant un poste d’instituteur, il se retrouve à la tête du parti messaliste légal en 1947. Responsable du MTLD, il est élu en 1947 au conseil municipal de Saint-Arnaud, et en 1948, à l’Assemblée algérienne. Il est emprisonné au lendemain de l’élection, condamné pour « atteinte à la souveraineté de l’État », mais élargi il va siéger à l’Assemblée algérienne à Alger où il se fait remarquer par la vigueur de ses interventions contre le système colonial.

Membre du Comité central du MTLD, il devient le trésorier du parti nationaliste ; en juin 1951, il en est le candidat aux élections législatives à Sétif. On lui doit d’avoir sauvé dans ses archives qui comme trésorier sont celles du parti, la brochure signée Idir El Watani L’Algérie libre vivra, que la direction du MTLD a retiré de la diffusion. Cela témoigne de son intérêt intellectuel et politique, de sa réflexion sur une conception ouverte et pluraliste de la nation algérienne. C’est cette brochure écrite par les étudiants Yahia Hénine, Mabrouk Belhocine, Sadek Hadjéres que Mohammed Harbi pourra ainsi republier en 1987 dans la revue Sou’al[2].

Dans la crise du MTLD en 1953, il suit l’action sinon l’orientation des partisans du Comité central dont il reste membre. Arrêté dès novembre 1954, Embarek Djilani est emprisonné à Constantine jusqu’en août 1955 puis détenu dans les camps de Djorf - près de M’Sila dans le Constantinois -, puis à Berrouaghia et Saint-Leu près d’Oran dont il sort, malade, en juin 1956. Trouvant le contact avec la direction du FLN à Alger (R. Abane et B. Benkhedda), il est chargé de suivre la reconstitution d’un bureau de l’UGTA du deuxième au troisième secrétariat démantelé par les arrestations. Il fait ensuite partie à la fin décembre 1956 du quatrième secrétariat qui met en place le Comité de grève pour la grève des huit jours (27 janvier-3 février 1957). Il sera condamné à vingt ans de réclusion criminelle au procès dit de l’UGTA en janvier 1959, par contumace.

Échappant en effet à la traque policière et militaire de la Bataille d’Alger, il réussit à embarquer pour Marseille et à gagner Tunis. Dans l’entourage de Benyoussef Benkhedda, il entre à la commission chargée d’élaborer un programme social pour le FLN, et d’abord de constituer la Délégation extérieure de l’UGTA dont il devient membre de la coordination, restant en second le coordinateur adjoint dans les successifs secrétariats. La session d’organisation de l’UGTA du 12 au 15 octobre 1958 lui confie la direction du journal syndical à faire reparaître : L’Ouvrier algérien. Il se consacre à la tâche pendant une année. Il devient aussi le chef de délégations envoyées en mission au titre de l’UGTA, à Prague, siège de la Fédération syndicale mondiale (FSM), en février 1959 puis en urss en mars. En décembre 1959, il fait partie de la délégation du l’UGTA au quatrième congrès de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) à Bruxelles ; il va en outre sur le compte d’un stage de trois mois de la CISL, être amené à faire le tour des organismes du travail en Europe. Il offre ainsi l’exemple de la commande politique du syndicalisme ; et ce « syndicalisme d’encadrement » par le parti-État devient aussi un syndicalisme de représentation diplomatique. Encore dans ce cas, sommes-nous devant un véritable politique qui a un passé militant et une pensée sociale, un politique professionnel devenu syndicaliste de profession, d’autant qu’il est resté célibataire.

Après l’indépendance, Embarek Djilani sera député à l’Assemblée constituante (novembre 1962) puis à l’Assemblée nationale, membre en 1964 de la Commission préparatoire du Congrès du FLN qui se donne un projet socialiste. Après 1965, il sera Président directeur général d’une Société nationale, société d’État, avant de prendre sa retraite.

SOURCES : Arch. Outre-mer, Aix-en-Provence, 9H51. L’Algérie libre, novembre 1953. L’Ouvrier algérien, 1958-1960. B. Stora, Dictionnaire biographique des nationalistes algériens, op. cit. Entretiens entre M. Farès et E. Djilani, M. Farès, Aïssat Idir, op. cit. Témoignage de E. Djilani daté septembre 1985 dans B. Bourouiba, Les syndicalistes algériens, op. cit. M. Harbi, Une vie debout. Mémoires politiques. Tome 1 : 1945-1962. Paris : La Découverte, 2001. J.-L. Planche, Sétif 1945. Histoire d’un massacre annoncé. Paris : Perrin, 2006.

René Gallissot

(Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier : Maghreb. ALGÉRIE des origines à nos jours. René Gallissot [dir.]. Paris : L’Atelier [collection Jean Maitron], 2006).


[1] Voir Jean Maitron, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français. Paris : Éditions ouvrières, 1964, t. XXXVI.

[2] Mohamed Harbi, « L’Algérie libre vivra », Sou’al, avril 1987, n° 6.


Citer cet article :
René Galissot, «  Les mouvements ouvriers au Maghreb : étude comparée  », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007,
http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=238