ENS LSH - Colloque - Pour une histoire critique et citoyenne, le cas de l’histoire franco-algérienne

Pour une histoire critique et citoyenne
Le cas de l’histoire franco-algérienne

20, 21, 22 juin 2006


JACKSON Julian

Université de Londres (Grande-Bretagne)

De Gaulle et l’Algérie : grand dessein ou adaptation empirique ?

Session thématique « France, guerre d’Algérie et enjeux internationaux »

Mercredi 21 juin 2006 - Matin - 9h-11h - Salle F 05

Introduction

« Que pense De Gaulle de l’affaire algérienne ? Bien fin celui des ministres qui, après deux conseils de cabinet, peut le dire avec certitude » note Robert Buron, ministre des Travaux publics, en juin 1958, un mois après le retour du général au pouvoir[1]. Dix-huit mois plus tard, en mars 1960, il n’est guère plus éclairé : « où nous mène donc le prince de l’équivoque ? »[2] note-t-il dans ses carnets. Il faut dire que même quarante-cinq ans plus tard, malgré un flot de témoignages, l’ouverture d’archives en France et à l’étranger, et la publication d’une partie de la correspondance personnelle du général, les historiens sont toujours aussi désemparés quant aux véritables intentions de De Gaulle sur l’Algérie après son retour au pouvoir. Le mystère et la ruse faisant partie de sa philosophie politique[3], il est évident que l’« affaire algérienne » est une des périodes pendant laquelle il a pu utiliser ces tactiques à l’envi.

Les interprétations historiographiques

Parmi les historiens qui ont étudié ce sujet, au moins trois thèses s’affrontent. On note tout d’abord la version du général lui-même qui nous livre, dans ses Mémoires d’espoir, une version lisse et idéalisée de sa politique[4]. Il affirme que, sans avoir un « plan rigoureusement préétabli, les grandes lignes étaient arrêtées dans [son] esprit ». Il excluait toute idée d’assimilation et voyait l’intégration comme « une formule astucieuse et vide » et l’Algérie française comme « une ruineuse utopie ». Il poursuit :

Quoiqu’on ait pu rêver jadis ou qu’on pût regretter aujourd’hui, quoi que j’ai moi-même, assurément, espéré à d’autres époques, il n’y avait plus, à mes yeux, d’issue en dehors du droit à l’Algérie à disposer d’elle-même [...]. Telle était ma stratégie. Quant à la tactique, je devrais marcher par étapes, avec précaution [...]. Sans jamais changer de cap, il me faudrait donc manœuvrer, jusqu’au moment où, décidément, le bon sens aurait percé les brumes.[5]

À quelques nuances près, cette version est acceptée par Benjamin Stora qui croit « à son désir sincère, exprimé avant la prise du pouvoir, de s’engager dans un processus assurant à l’Algérie une évolution progressive vers l’autonomie »[6], et par Guy Pervillé qui pense que De Gaulle « s’il simplifie la vérité ne la trahit pas »[7].

Même si la grande majorité des historiens est plutôt sceptique - avec raison - sur cette vision, on peut relever que déjà en octobre 1959 De Gaulle parlait dans des termes semblables à Alain Peyrefitte : « Vous croyez que je pouvais faire du jour au lendemain ce que je voulais ? Il fallait faire évoluer peu à peu les esprits. Où en était l’armée ? Où en était l’Assemblée ? Où en était mon gouvernement ? Où en était mon Premier ministre ? Nous ne sommes pas une dictature. Les gens sont longs à renoncer à leurs préjugés. »[8] Mais même s’il est vrai que depuis le début De Gaulle sentait la nécessité de ruser, savait-il réellement où il voulait aller ?

La deuxième école de pensée est celle de l’historien américain Irwin Wall[9] - et avec plus de nuances celle de Matthew Connelly[10] - selon laquelle, quoi qu’il ait dit ultérieurement, à son retour au pouvoir De Gaulle croit en la possibilité de garder l’Algérie et tente même de poursuivre une politique d’intégration. Selon Wall, cette politique semble découler logiquement des premières décisions du général - le plan de Constantine, l’introduction du Collège unique aux élections de 1958, le plan Challe - qui pèsent plus fort que quelques remarques ambiguës sur l’indépendance qu’aurait fait le général avant son retour au pouvoir. Plus encore, Wall interprète les premiers pas de la politique étrangère du général dans cette perspective. Pour lui, le célèbre mémorandum du 17 septembre 1958 adressé à Eisenhower et Mac Millan, où De Gaulle critique l’organisation de l’OTAN et semble revendiquer une espèce de directoire égale entre leurs trois pays impliquant un contrôle partagé des armes nucléaires, est également une tentative d’associer les États-Unis à la politique française en Algérie. De Gaulle aurait dit aux Américains que pour avoir le soutien français ailleurs dans le monde, il leur fallait soutenir la France en Algérie au lieu d’appuyer plus ou moins ouvertement les revendications du FLN. Quand De Gaulle retire la flotte méditerranéenne du commandement de l’OTAN, en mars 1959, c’est parce qu’il ne veut pas la partager avec l’OTAN si le problème algérien n’est pas partagé de la même façon[11].

Cette analyse, déjà préfigurée en 1974 par l’historien Edward Kolodzeij[12], ne me convainc pas entièrement, surtout quand Wall prétend que De Gaulle continue cette politique après septembre 1959[13]. Et s’il est vrai qu’il faut distinguer entre ce que De Gaulle dit et ce qu’il fait, d’autant plus que sur l’Algérie De Gaulle disait tout et rien, il faut également reconnaître que sur le plan de l’action, sa marche de manœuvre était liée par les circonstances de son retour au pouvoir.

Néanmoins, l’analyse de Wall et de Connelly a deux très grands mérites. Ils réinsèrent la politique algérienne dans la politique étrangère du général, tandis que souvent les deux sujets sont traités séparément par les historiens. Plus encore, ils suggèrent qu’au début, loin de voir dans sa politique algérienne un obstacle à sa politique étrangère, elles étaient au contraire toutes les deux liées dans son esprit. Son but est de mettre fin à l’internationalisation de la question algérienne pour en faire une affaire purement française, d’empêcher l’ingérence étrangère. Mais la précondition de cette politique est, paradoxalement, de solliciter l’aide des Américains : en 1958, la survie de l’Algérie française passait par Washington, et aussi par Londres, Rabat, Tunis, et Moscou. Il est frappant à cet égard de constater que la plupart des grandes interventions du général sur l’Algérie se situent chaque année en automne, c’est-à-dire avant les réunions de l’Assemblé générale de l’ONU.

Par ailleurs, ces historiens américains nous mettent en garde contre la tentation de lire l’« histoire à l’envers ». Par exemple, on a tendance aujourd’hui à montrer une contradiction entre la modernisation et la colonisation, entre l’Europe qui était l’avenir de la France et l’Empire qui était son passé. Mais à l’époque cette contradiction n’était pas si évidente : la découverte du pétrole dans le Sahara en 1956 semblait au contraire ouvrir de grandes possibilités pour l’économie française. D’autant plus que nombreux étaient ceux qui pensaient que l’avenir économique de la France passait par un bloc eurafricain.

Enfin, entre ces deux thèses assez tranchées, une analyse intermédiaire est partagée par les principaux biographes du général (Jean Lacouture, Éric Roussel, Paul-Marie de la Gorce), mais aussi également par Charles-Robert Ageron. Elle affirme que, même si De Gaulle est convaincu sous la IVe République que l’Algérie est perdue, son retour au pouvoir ouvre de nouveaux horizons entre l’intégration et l’indépendance, dont par exemple une association dans le cadre de la Communauté qu’il a créée pour l’Afrique noire.

Faut-il attendre l’ouverture des archives privées de De Gaulle concernant cette période pour pouvoir enfin trancher définitivement et dévoiler ses intentions ? Je n’en suis pas convaincu. L’analyse de la formation de la politique gaullienne - et surtout sa politique algérienne - échappent aux procédés habituels de l’historien accoutumé à dépouiller les archives, à étudier les procès-verbaux des réunions et à analyser les conflits internes du gouvernement. De Gaulle parlait beaucoup en privé - à ses collaborateurs, à ses ministres, à ses proches, à des chefs de gouvernements étrangers - et en public - dans ses allocutions télévisées, ses discours et ses conférences de presse. Pour quelqu’un qui a la réputation d’être machiavélique, il y a souvent une concordance étonnante entre ce qu’il disait en privé, à un moment donné, et ce qu’il disait en public au même moment. Mais il parlait plus pour tester ses idées sur ses interlocuteurs que pour les discuter : il décidait seul et sans consulter. La célèbre phrase sur « une République algérienne qui existera un jour » était insérée dans son discours de décembre 1960 à l’insu de Michel Debré, son Premier ministre. Révélateur de ses méthodes de travail, cet incident est décrit par Bernard Tricot. Un jour, ce dernier lui envoie un papier annoté, « si le général est d’accord ». De Gaulle renvoie le papier annoté de sa main : « Mal dit, je décide : oui ou non ; je n’accorde pas. »[14] Une seule fois, le 26 août 1959, De Gaulle proposa à son conseil des ministres une discussion sur l’Algérie, au terme duquel il conclut de façon assez sibylline : « Dans une telle affaire, il faut marcher ou mourir. J’ai choisi de marcher, mais cela n’empêche pas de mourir. »

Pour toutes ces raisons, je ne suis pas convaincu que l’ouverture de nouvelles archives va bouleverser nos connaissances sur ce sujet. On a déjà tous les éléments nécessaires pour analyser la politique gaullienne, même si cette politique gardera toujours sa part de mystère.

De Gaulle avant l’Algérie

Il nous faut tout d’abord replacer la réflexion gaullienne sur l’Algérie dans un contexte plus général.

Un homme du Nord

De Gaulle, ce « petit Lillois de Paris » comme il se décrit, est un homme du Nord dont il aime les paysages sombres. De la dure campagne autour de Colombey, il disait avec délectation « ce n’est pas rigolo ». Il n’est pas sensible à l’« envoûtement algérien ».

Les circonstances

Il ne faut jamais sous-estimer, dans la philosophie politique de De Gaulle, l’importance primordiale qu’il attache toujours aux circonstances et son hostilité à toute doctrine de l’a priori. Cette idée, présente dès son premier livre, La discorde chez l’ennemi (1924), parcourt toute son œuvre qui est d’un bout à l’autre parsemée de phrases comme « la force des choses », « la réalité telle qu’elle est », etc. De Gaulle est ainsi obnubilé par l’idée que la France « épouse son siècle » comme il le déclare en juillet 1961. Déjà dans le Fil de l’épée, il évoquait « le siècle des syndicats, du code de la route, du système Taylor et des grands magasins ». De Gaulle est toujours, me semble-t-il, étranger aux nostalgies désuètes d’un Maurras.

L’empire

Des deux traditions de l’armée française, celle des troupes « coloniales » et celle de l’armée métropolitaine, De Gaulle appartient à la seconde. Même s’il y a chez le jeune De Gaulle, comme l’écrit Jean Cointet, un « versant Pischari » qui voit l’empire comme école d’énergie et d’aventure[15], il semble avoir été moins sensible à l’envoûtement de l’empire que beaucoup d’autres de sa génération. Son expérience au Liban en 1930-1931 le laisse plutôt désabusé. Il écrit en 1930 : « Le Levant est un carrefour où tout passe : religions, armées, empires, marchandises, sans que rien ne bouge. Voilà dix ans que nous y sommes. Mon impression est que nous n’y pénétrons guère. »[16]

Il est vrai qu’en 1940 tout bascule. Sa première initiative historique est de proposer que le gouvernement français se replie en Afrique du Nord. Après la signature de l’Armistice, il ne reste que l’empire comme recours. L’empire est présent dès les premières lignes du discours du 18 juin ; il est la première assise du pouvoir gaulliste après l’établissement du Conseil de défense de l’empire en octobre 1940. L’Algérie devient le siège du Gouvernement provisoire en 1943.

Plus tard, il est vrai, De Gaulle s’est fait la réputation d’un héros de la décolonisation à cause de la déclaration de Brazzaville en 1944. Mais la portée de cette déclaration ne doit pas être exagérée. Il ne faut pas oublier non plus que De Gaulle est chef du gouvernement au moment du massacre de Sétif en mai 1945, et qu’une fois dans l’opposition il émet des réserves sur le statut de l’Algérie en 1947 - quoi qu’il en dise dans ses Mémoires où il le décrit comme « un pas important dans la bonne voie ». D’ailleurs, il a constamment appuyé la guerre en Indochine comme un combat contre le communisme.

L’Histoire

S’il faut relativiser la réputation de De Gaulle comme un prophète de la décolonisation pendant les années 1940, il faut par ailleurs souligner son sens profond de l’histoire qui lui permet plus aisément qu’à d’autres hommes politiques de relativiser l’importance de l’empire dans la longue durée de l’histoire française. On se souvient de sa boutade lancée à Roosevelt : « Je le dis depuis 200 ans. » C’est ce sens de l’histoire qui lui permet de dire à Terrenoire en 1960 : « Jadis nous avons fait un empire pour nous consoler des traits de 1815 et de Fancfort [...]. L’ère industrielle a tout changé, notre force est à l’intérieur. »[17] Déjà, avant-guerre, il est sensible aux évolutions possibles de l’histoire. Dans L’armée de métier (1934) il écrit :

Tandis que sous notre égide se répandent dans ces contrées la richesse, l’instruction, la liberté, nous voyons naître des mouvements d’idées, de passions, d’intérêts dont le but manifeste est la fin de notre domination.[18]

De Gaulle et l’Algérie avant 1958

Que pense De Gaulle de l’Algérie avant de revenir au pouvoir en mai 1958 ? Dans sa conférence de presse du 30 juin 1955 il s’exprime avec beaucoup de modération sur l’avenir de l’Afrique du Nord : « Aucune autre politique que celle qui vise à substituer l’association à la domination dans l’Afrique du Nord ne saurait être valable, ni digne de la France. » Après cette date, il ne dit plus rien en public, mais dans des conversations privées il parle souvent de sa conviction de l’inéluctabilité d’une indépendance algérienne. Déjà en mars 1944 il aurait dit au socialiste André Philip : « L’autonomie, Philip ? Vous y croyez ? Vous savez bien que tout cela finira par l’indépendance. » Il dit plus ou moins la même chose à l’ancien résistant catholique Edmond Michelet en 1955 en affirmant que l’« Algérie est perdue ». À son proche collaborateur Geoffroy de Courcel il affirme toujours en 1955 qu’« il ne faut pas se faire des illusions. L’Algérie sera un jour indépendante » ; au Prince héritier du Maroc, Moulay Hassan en 1956, au socialiste Christian Pineau en avril 1958, il formule encore les mêmes idées.

Cependant, il faut se méfier de ces indiscrétions plus ou moins soigneusement filtrées. De Gaulle est un maître de l’ambiguïté. Comme le note Jean Touchard, pendant ces années « les partisans de l’Algérie française quittent le général, convaincus qu’il est inébranlablement attaché à l’Algérie française. Les partisans d’une paix négociée quittent le général convaincus qu’il est partisan d’une paix négociée »[19]. Il faut noter également que souvent De Gaulle nuance ses remarques sur l’inéluctabilité de l’indépendance en rendant la IVe République responsable de cette situation. À Tournoux, il dit « le régime perdra le Sahara. Il a perdu l’Indochine, la Tunisie, le Maroc. Il perdra l’Algérie. Le système perdra aussi l’Alsace, la Lorraine, la Corse, la Bretagne. Il nous restera que l’Auvergne, parce que personne n’en voudra ! »[20]

Ce qu’il insinue est que lui seul pourrait tenter le coup d’inverser le cours de l’histoire. C’est le sens de sa remarque à Terrenoire en mai 1955 :

Nous sommes en présence d’un mouvement général dans le monde, d’une vague qui emporte tous les peuples vers l’émancipation. Il y a des imbéciles qui ne veulent pas le comprendre [...]. Si nous voulons nous maintenir en Afrique du Nord, il nous faut accomplir des choses énormes, spectaculaires et créer les conditions d’une nouvelle association. Or ce n’est pas ce régime qui peut le faire. Moi-même, je ne serais pas sûr de réussir [...]. Mais bien sûr je tenterais la chose.[21]

Il nous faut bien noter que même ici De Gaulle ne parle que d’« association » et pas d’« intégration ». Et il me semble plus ou moins certain qu’il ne croyait pas à cette dernière solution. Même Jacques Soustelle, qui veut y croire, ne réussit pas à se convaincre que De Gaulle en est partisan. Dans une lettre à Soustelle en 1956, De Gaulle ne parle que d’une « association sincère »[22] ; et en mars 1958, Soustelle note, après un entretien avec De Gaulle, que ce dernier « désire le maintien de l’Algérie française mais qu’il fait des réserves sur l’intégration »[23]. S’il n’est pas capable, même à Soustelle, de montrer de l’enthousiasme pour cette solution, il faut croire que le général croit plus ou moins déjà à ce qu’il dit à Peyrefitte en mars 1959 : « De toutes les façons, l’Algérie française est une élucubration abracadabrante des colons d’Algérie, une fichaise et ceux qui préconisent l’intégration sont des jean-foutre. »

Sur ce point on peut dire que De Gaulle est plus raciste que Soustelle qui ne voit aucune différence entre un paysan algérien et un paysan cévenol. De Gaulle dit à Peyrefitte :

Les Musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés, avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français ! Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées.[24]

De Gaulle et l’Algérie après mai 1958

Dans l’évolution de la politique de De Gaulle depuis son retour au pouvoir, il faut distinguer deux époques - le grand tournant se situant autour de juin 1960 - mais une chronologie plus fine révèle également des infléchissements importants de sa politique dans chacune de ces deux périodes.

Mai 1958 - juin 1960

Mai 1958 - septembre 1959

À son retour au pouvoir en mai 1958 De Gaulle n’est pas partisan de l’intégration même si une fois, dans l’émotion du moment - à Mostaganem le 6 juin - il prononce la fameuse phrase « Algérie française ». Plusieurs des artisans de son retour au pouvoir commencent à en douter très tôt . Le 5 juin, Léon Delbecque publie un article où perce sa déception : « Nous n’avons pas franchi le Rubicon pour y pêcher à la ligne. »[25] Il est significatif également, que c’est à René Brouillet et Bernard Tricot, pas à Soustelle, que, dès le début, De Gaulle confie la gestion de sa politique algérienne.

Mais sans croire à l’intégration, De Gaulle n’est pas pour autant résigné à l’indépendance de l’Algérie ou à une Algérie coupée de la France. Il n’a pas encore défini la forme exacte de sa politique, sauf à exclure la possibilité de livrer l’Algérie au FLN : « Ferhat Abbas n’est pas le gouvernement de l’Algérie [...]. L’Algérie ne s’est pas donnée à lui et il n’y a aucune chance qu’elle le fasse. » Il insiste devant plusieurs interlocuteurs en 1958 et 1959 que « l’Algérie n’a jamais été et n’est pas un État [...]. L’Algérie est une poussière d’hommes »[26].

Le plus vraisemblable est que De Gaulle nourrit l’idée de garder l’Algérie au sein d’une association avec la France - dans le cadre de la Communauté - et qu’il se fie à son charisme pour parler à la population algérienne au-dessus des têtes des dirigeants de l’Armée de libération nationale (ALN) - c’est la recherche d’une « troisième voie ». En fait, il est assez explicite dans son allocution radiodiffusée le 13 juillet 1958 qui présente sa vision de la communauté :

Établir sur le mode fédéral les liens de notre union [...]. Je ne saurais manquer de dire qu’avec l’Afrique Occidentale, l’Afrique Équatoriale, avec Madagascar, Djibouti, la Nouvelle-Calédonie [...]. La place de l’Algérie, si chère et si déchirée, est marquée dans cet ensemble, et que c’est une place de choix.

Il me semble que ni le plan de Constantine - qui est nécessaire pour gagner le soutien des masses algériennes -, ni le renforcement des moyens militaires (le plan Challe), ne sont incompatibles avec ce but. Déjà dans son discours sur la « paix des braves » (octobre 1958) - qui malgré le ton nouveau est un appel à la capitulation du Front de libération nationale (FLN) - il parle de la « personnalité courageuse de l’Algérie et son association étroite avec la métropole française » (23 octobre 1958). Les mots « association » et « personnalité » sont présents depuis le début ; ils sont ambigus, mais ils ne sont pas la même chose que l’intégration.

Le refus du FLN de répondre à son invitation, ainsi que l’échec des élections de l’automne 1958 à susciter une troisième force condamne cette politique. Durant l’année qui suit De Gaulle laisse le temps aux opérations militaires qui pourraient, espère-t-il, faire évoluer le FLN-GPRA[27]. Durant l’été 1959, Buron qui l’accompagne en Algérie le trouve pessimiste : « Le général me paraît découragé. Il est trop tard pour conduire l’évolution comme j’y avais songé ; il est impossible à la fois de gagner la guerre et l’arrêter. »[28] Mais ces accès de dépression font partie du tempérament cyclothymique du général.

Septembre 1959 - printemps 1960

Le grand discours du 16 septembre 1959, conçu pour faire évoluer les choses et désamorcer les critiques de l’ONU, ne me semble pas être un tournant dans sa politique, mais plutôt une clarification de la politique antérieure, tout au plus un infléchissement. Dans ce discours qui propose solennellement un référendum sur l’autodétermination, il est clair qu’entre les trois solutions envisagées, la « francisation » - un néologisme pour décrire l’intégration -, l’« indépendance » - fustigée comme « la sécession qui entraînerait la misère [...] l’affreux chaos politique, l’égorgement généralisé » -, et l’« association » - décrite comme « le gouvernement des Algériens par les Algériens appuyé sur l’aide de la France et en union étroite avec elle » - c’est la dernière que De Gaulle préfère. Même si la possibilité d’autodétermination est nouvelle, la solution préférée - l’association - n’a pas changé. S’il choisit de ne pas utiliser ce mot, c’est peut-être, comme le suggère Lacouture, parce qu’au même moment les Maliens et les Malgaches utilisent ce même terme pour « revêtir leur passage à l’indépendance »[29]. De plus, De Gaulle envisage un assez long délai - jusqu’à quatre ans - entre le retour à la paix et le référendum, et il n’y a aucune reconnaissance du FLN comme interlocuteur privilégié.

En fin de compte, il s’agit-là du retour au triptyque de Guy Mollet : cessez-le-feu, élection, autodétermination. Il est possible que De Gaulle espérait que des succès militaires sur le terrain acculeraient le GPRA à accepter un cessez-le-feu. Le 10 septembre, il dit à Tournoux : « La guerre est terminée [...]. Ils demanderont la paix à genoux. »[30] Mais cet espoir est déçu, et la situation reste bloquée pendant les mois qui suivent.

Printemps 1960 - mars 1962

Juin 1960 - décembre 1960

Le vrai tournant de la politique de De Gaulle se situe, me semble-t-il, au printemps de 1960. Il est annoncé dans son discours du 14 juin 1960 qui s’adresse directement aux dirigeants du FLN et leur propose, pour la première fois, des négociations, sans cessez-le-feu préalable, et lance une nouvelle formule - l’« Algérie algérienne » - déjà utilisé en mars dans une mise au point dictée à Terrenoire après « la tournée des popotes » en mars 1960.

Pourquoi ce changement ? De nombreux éléments ont sans doute pesé dans l’évolution de la pensée de De Gaulle : l’enlisement de la stratégie suivie jusqu’alors - De Gaulle était toujours avide de mouvement ; la semaine des barricades en janvier 1960 qui cristallise sa méfiance envers les pieds-noirs mais lui prouve également qu’il peut les vaincre - même si pendant la « tournée des popotes », il se sent obligé de donner quelques gages verbaux à l’armée ; l’explosion de la bombe atomique en février 1960 qui aiguise sa hâte de jouer un rôle sur la scène internationale et accentue de plus en plus son sentiment que l’Algérie y est un obstacle - la France est sans cesse en accusation à l’ONU ; les prémices de l’éclatement de la Communauté - la Fédération du Mali accède à l’indépendance en juin - qui ruine son espoir d’en faire le moyen de retenir l’Algérie.

On a le sentiment que dans son for intérieur, le général devient convaincu en mai-1960 que l’Algérie représente moins un atout - une possibilité pour l’avenir - qu’un obstacle, un « boulet » comme il l’a déjà dit à Peyrefitte en octobre 1959. Il écrit à son fils le 19 juillet 1960 :

La guerre d’Algérie est une épine dans le pied de la France qui infecte le corps social tout entier. Ce conflit ridicule empêche la France de tenir sa place dans le monde et d’abord en Europe. Il faut ramener la France aux vrais problèmes, ne pas laisser gaspiller outre-mer substance, énergie et argent [...]. D’ici-là il faut évidemment que l’Algérie ait cessé de nous lier les mains.[31]

Ce n’est pas bien sûr ce ton qu’il utilise dans son discours du 14 juin suivant. Mais on sent une nouvelle note élégiaque, comme s’il fallait préparer la population aux évolutions déchirantes. C’est le célèbre discours où il évoque « la douceur des lampes à huile, la splendeur de la marine à voile, le charme des équipages. Mais quoi ? Il n’y a pas de politique qui vaille en dehors des réalités ».

Cette allocution est précédée de quelques jours par la rencontre étonnante à l’Élysée entre De Gaulle et trois dirigeants de la wilaya 4 du FLN qui avaient fait savoir qu’ils voulaient des contacts avec des responsables politiques français[32]. De la part de De Gaulle, le sens de cette démarche reste obscur : les partisans de l’Algérie française, prenant leurs désirs pour des réalités et exagérant l’importance de cette dissidence, ont vu une occasion manquée de diviser un FLN en voie d’être vaincu militairement. De Gaulle voit peut-être un moyen de faire pression sur le GPRA, et il est possible qu’après la rencontre avec Si Salah des fuites aient été organisées dans ce but. Quoi qu’il en soit, pour la première fois, l’appel de De Gaulle reçoit un accueil positif du GPRA et cela donne lieu à la rencontre entre des représentants français et des négociateurs Algériens à Melun le 25 juin.

Les entretiens de Melun tournent court après trois jours, les négociateurs français ayant essayé de limiter le champ des discussions à la question d’un cessez-le-feu militaire, et refusant d’aborder les questions politiques. Il est possible que, pris de court par l’acceptation du GPRA, les Français n’aient pas eu le temps de préparer leur position ; il est possible que De Gaulle avait interprété l’acceptation du GPRA comme un signe de faiblesse. Mais malgré cet échec, De Gaulle est dans l’engrenage, et pendant les dix-huit mois qui suivent, il va être obligé de céder progressivement sur toute la ligne même si la voie vers l’indépendance reste sinueuse.

Novembre 1960 - mars 1962

Le 4 novembre 1960 De Gaulle annonce un référendum sur l’Algérie pour janvier 1961 - tandis que dix-huit mois plus tôt le référendum était censé suivre un cessez-le-feu - et il parle pour la première fois du « gouvernement de la République algérienne ». Enhardi par les résultats du référendum, puis par l’échec du putsch militaire d’avril 1961, De Gaulle est prêt à engager des pourparlers avec le FLN même s’il essaie de garder deux fers au feu. En même temps que les discussions officieuses et secrètes commencent avec des représentants du FLN, Jean Morin, le nouveau délégué à Alger, qui remplace Paul Delouvrier à la fin de 1960, est chargé d’instituer un exécutif provisoire qui serait l’ébauche d’une autodétermination algérienne organisée par les Français[33]. Cette tentative, totalement oubliée aujourd’hui - mais qui avait en principe été approuvée dans le référendum - est mort-née : le sort de l’Algérie se joue dans les négociations avec le FLN.

Ayant abandonné le cessez-le-feu comme un préalable aux négociations, les Français sont aussi obligés devant le refus du FLN, d’abandonner une dernière tentative en mars 1961 d’inclure le Mouvement national algérien (MNA) dans les négociations : c’est la fin de l’espoir d’une troisième force. Les négociations commencent enfin à Évian (20 mai-13 juin) et puis à Lugrin (20-28 juillet)[34]. Elles échouent sur deux questions : les garanties éventuelles à la population pied-noir et le Sahara. Pour débloquer la première question, en été 1961 De Gaulle brandit la menace d’un regroupement de la population européenne. Peyrefitte qui se croit chargé de préparer une étude sur ce sujet publie quatre articles dans Le Monde à l’automne. Mais il est presque aussitôt désavoué par De Gaulle qui désormais caractérise cette solution comme risquant de créer en Afrique du Nord « un nouvel Israël »[35].

Le deuxième point d’achoppement, concernant la possibilité de rallier le soutien des États riverains du Sahara, va tourner court. L’idée de jouer les Tunisiens contre les Algériens dans cette question est gâchée par la détérioration des relations franco-tunisiennes, après la crise sur de la base de Bizerte qui éclate en juillet. Alors, De Gaulle évoque le Sahara au détour d’une phrase au cours de sa conférence de presse le 5 septembre, qui va permettre aux négociations de reprendre aux Rousses en février 1962.

De Gaulle a hâte d’en finir, et ce à n’importe quel prix. Cela est particulièrement clair dans sa conférence de presse du 11 avril 1961 : « L’Algérie nous coûte plus qu’elle nous rapporte [...]. La France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l’Algérie cesserait d’appartenir à son domaine. »[36] À Hervé Alphand, le 23 août 1961 De Gaulle est net : « Il faut nous débarrasser de cette boîte à chagrin où nous engloutissons pour rien nos énergies et qui nous attire toutes sortes de difficultés sur tous les plans avec l’extérieur. »[37] Son mépris croissant pour les pieds-noirs est sans doute aggravé par la tentative d’assassinat dont il est la victime le 8 septembre. Nationaliste traditionnel, De Gaulle n’a jamais tout à fait sympathisé avec l’identité déchirée de cette communauté, mais de plus en plus il voit en eux des factieux qui bloquent l’avenir radieux qu’il conçoit pour la France. Il dit en décembre 1961 : « Nous n’allons pas suspendre notre destin national aux humeurs des “pieds-noirs” ». Ou un peu plus tard : « On ne fait pas la paix en Algérie pour les Français d’Algérie. S’ils ne font pas ce que la France veut, ils ne sont pas des Français. »[38]

Cette impatience gaullienne, de plus en plus visible, de régler l’affaire algérienne, coûte que coûte, coupe l’herbe sous les pieds de Louis Joxe et les autres négociateurs français. Avant le départ des négociateurs pour Évian, il leur dit : « Il n’y a aucun rapport entre l’intérêt primordial qui consiste à aboutir et l’intérêt secondaire qui consiste à tenir un peu plus longtemps certaines choses que de toute façon, nous n’entendons pas tenir toujours. »[39] Dans la dernière phase des négociations, en février 1962, De Gaulle est en contact téléphonique permanent avec Louis Joxe à Évian. Le 18 février, il insiste :

L’essentiel est d’aboutir à un accord comportant le cessez-le-feu puis l’autodétermination, du moment où cet accord n’entraîne pas de bouleversements soudains dans les conditions actuelles relatives aux intérêts matériels et politiques des Européens, à la présence française en Algérie, aux conditions pratiques dans lesquelles s’opère sur place l’exploitation du pétrole et celle du gaz [...]. C’est cet aboutissement, je répète, cet aboutissement qu’il faut réaliser aujourd’hui.[40]

C’était demander la quadrature du cercle.

Dans ces circonstances il faut rendre hommage aux dons de négociateur de Joxe, qui réussit à arracher des concessions assez importantes au FLN sur la question des garanties aux pieds-noirs. Le Premier ministre britannique Mac Millan considérait les accords d’Évian comme un grand succès pour la France qui « contraste fortement avec ce que nous avons gagné de nos anciennes colonies quand elles sont devenues indépendantes »[41]. Bien sûr, tout ce bel édifice est gâché par la folie meurtrière de l’Organisation armée secrète (OAS), mais De Gaulle n’en a cure. Il a déjà les yeux ailleurs. Au Conseil des ministres du 21 février, réuni pour approuver les accords d’Évian, De Gaulle aurait dit : « Maintenant, nous devons nous tourner vers l’Europe. L’ère des continents organisés succède à l’ère coloniale. »[42] Même si De Gaulle parle parfois de sa douleur face à la situation algérienne, il reste cependant fort discret à ce sujet. Nous connaissons l’aveu qu’il fit à Jacques Chaban-Delmas qui lui parlait des souffrances des pieds-noirs : « Et De Gaulle ? Vous croyez qu’il a été créé et mis au monde pour lâcher l’Algérie ? Vous croyez, qu’il ne souffre pas, De Gaulle ? »[43] Comme il dit quelquefois, citant Nietzsche, l’« État est le plus froid des monstres », et chez De Gaulle, la raison d’État prime sur tout.

Conclusion

Comment conclure ? Dans un sens il est possible de lire la politique gaullienne comme un échec total. Il ne faut pas oublier que la guerre a duré plus longtemps sous De Gaulle (46 mois) que pendant la IVe République (43 mois). Dans ses Mémoires, il écrit :

Décidé à reconnaître à l’Algérie le droit à disposer d’elle-même, je le ferais dans certaines conditions. D’abord c’est la France, celle de toujours, qui, seule, dans sa force, au nom de ses principes et suivant ses intérêts, l’accorderait aux Algériens. Pas question qu’elle y fût contrainte par des échecs militaires, ou déterminée par l’intervention des étrangers.[44]

Il faut reconnaître que presque tout est faux dans cette belle reconstruction historique ! L’indépendance algérienne n’a pas été accordée par la France, elle a été arrachée par le FLN dans des conditions tout à fait différentes de celles prévues par De Gaulle en 1958.

Comme le dit Jean Touchard, qui est plutôt sympathisant de la politique menée par De Gaulle en Algérie :

Si le général De Gaulle était convaincu en 1958 que l’indépendance de l’Algérie était inéluctable, quatre ans étaient-ils vraiment indispensables pour aboutir au référendum du 1er juillet 1962 ? N’aurait-il pas été possible d’aller un peu plus vite et tant de ruse était-elle nécessaire ? Dans la dernière phase de la crise, un autre ton n’aurait-il pas été possible à l’égard des Français de l’Algérie ? Était-il, enfin, possible de sauver les Algériens qui ont été massacrés à cause de leur fidélité à la France ?[45]

Jean Touchard n’est pas le seul à reprocher à De Gaulle un excès de dissimulation, un manque de pédagogie qui va en fait « retarder l’acceptation de l’inéluctable »[46].

C’est peut-être vrai, mais on peut également voir les petites phrases qui parcourent les quatre années de la politique gaullienne - « une Algérie étroitement associée à la France » (janvier 1959), « la « nouvelle personnalité » de l’Algérie » (mars 1959), l’« Algérie de Papa est morte » (avril 1959), « une Algérie algérienne liée à la France » (mars 1960), « il y a une Algérie algérienne, il y a une entité algérienne, il y a une personnalité algérienne » (septembre 1960), « la République algérienne » (novembre 1960) - comme une lente et douloureuse pédagogie destinée à accoutumer les Français à des évolutions nécessaires. Le célèbre discours du 14 juin 1960 commence comme une leçon d’histoire aux élèves de primaire : « Il était une fois un vieux pays, tout bardé d’habitudes. » Mais à qui s’adresse cette pédagogie ? Si c’est à la population de la métropole, n’oublions pas que les sondages montrent que déjà en février 1959, 71 % de la population voulaient des négociations avec le FLN et 51 % voyaient l’indépendance comme inévitable[47]. Dans ce cas, l’opinion publique a largement devancé De Gaulle. Si elle s’adressait aux pieds-noirs et à l’armée, le moins qu’on puisse dire c’est que cette pédagogie n’a pas réussi.

Mais si dans les « faits » la politique algérienne a été un échec, De Gaulle a néanmoins réussi par les « mots » - pour la deuxième fois dans sa carrière - à transformer une défaite en victoire. Après 1940, il crée l’illusion d’une France unie derrière la résistance ; et cette image s’impose après la Libération. Après 1962, il réussit à inscrire l’indépendance de l’Algérie dans le destin historique de la France et à offrir au pays de nouveaux horizons en Europe. Comme l’écrit Alfred Grosser : « La guerre d’Algérie a été très vite effacée des grands débats de la politique française. »[48] Le génie de De Gaulle a été d’imposer une nouvelle fois sa version de l’histoire - ce que, par exemple, les dirigeants américains n’ont pas réussi à faire après la guerre du Viêtnam qui a immédiatement été vécue comme un cuisant échec, même si la tâche de De Gaulle était facilitée par la prospérité des années 1960. Mais si la version gaullienne de l’Occupation commence à être contestée pendant les années 1970, depuis une dizaine d’années c’est au tour de la guerre d’Algérie de ressurgir dans les mémoires. En effet, notre colloque aujourd’hui est la revanche de l’histoire sur la légende gaullienne.


[1] Robert Buron, Carnets politiques de la guerre d’Algérie (1954-1962). Paris : Plon, 1965, p. 100.

[2Ibid., p. 119.

[3] Voir par exemple ces deux citations du Fil de l’épée (1932) : « L’homme d’action ne se conçoit guère sans une forte dose d’égoïsme, d’orgueil, de dureté, de ruse » ; « Le prestige ne peut aller sans le mystère. »

[4] Charles De Gaulle, Mémoires d’espoir. Paris : Gallimard, 2000, p. 917-919.

[5Ibid.

[6] Benjamin Stora, La gangrène et l’oubli. Paris : La Découverte, 1991, p. 81.

[7] Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d’Algérie. Paris : Picard, 2002, p. 186.

[8] Alain Peyrefitte, C’était De Gaulle. Paris : Gallimard, 2002, p. 72.

[9] Irwin Wall, France, the United States and the Algerian War. Berkeley : University of California Press, 2001.

[10] Matthew Connelly, A Diplomatic Revolution. Algeria’s Fight for Independence and the Origins of the Post-Cold War Era. Oxford : Oxford University Press, 2002.

[11] I. Wall, op. cit., p. 196.

[12] Edward Kolodzeij, French International Policy under De Gaulle and Pompidou. Ithaca-Londres : Cornell University Press, 1974, p. 75-458. En revanche, Stephen Schuker ne parle pas d’Algérie dans sa discussion du mémorandum : A Constructed Peace. The Making of the European Settlement, 1945-1963. Cambridge : Cambridge University Press, 1999, p. 242-247.

[13] I. Wall, op. cit., p. 192.

[14] Bernard Tricot, Mémoires. Paris : Quai Voltaire, 1994, p. 88-89.

[15] Jean Cointet, « Le général De Gaulle et l’Empire ». De Gaulle et le Tiers Monde. Paris : A. Pedone, 1984, p. 73-94 et particulièrement p. 75.

[16] Jean Lacouture, De Gaulle. T. I : Le rebelle. Paris : Gallimard, 1984, p. 164.

[17] Louis Terrenoire, De Gaulle et l’Algérie. Paris : Fayard, 1964, p. 162.

[18] Charles De Gaulle, L’armée de métier. Paris : Plon, 1934.

[19] Jean Touchard, Le gaullisme 1940-1969. Paris : Seuil, 1978, p. 147.

[20] Jean-Raymond Tournoux, Secrets d’état. Paris : Plon, 1960, p. 177.

[21] L. Terrenoire, op. cit., p. 41.

[22] J. Lacouture, De Gaulle. T. II : Le politique. Paris : Gallimard, 1985, p. 513.

[23] Jacques Soustelle, L’espérance trahie. Paris : Éditions de l’Alma, 1962, p. 18.

[24] A. Peyrefitte, op. cit., p. 65. Plusieurs autres remarques vont dans le même sens : « Le monde existe autour de nous, et il a changé. Les peuples colonisés supportent de moins en moins leurs colonisateurs [...]. Nous avons fondé notre colonisation, depuis les débuts, sur le principe de l’assimilation. On a prétendu faire des nègres de bons Français. On leur a fait réciter : “Nos ancêtres les Gaulois” ; ce n’était pas très malin. » (Ibid, p. 68). À Léon Delbecque, en octobre 1959 : « Et puis, Delbecque, vous nous voyez mélangés avec des musulmans ? Ce sont des gens différents de nous. Vous vous voyez mariant nos filles avec des Arabes ? » (J.-R. Tournoux, La tragédie du Général. Paris : Plon, 1967, p. 347).

[25] J. Lacouture, De Gaulle. T. II : Le politique, op. cit., p. 521.

[26] Éric Roussel, Charles De Gaulle. Paris : Gallimard, 2002, p. 634-635.

[27] GPRA : Gouvernement provisoire de la République algérienne.

[28] R. Buron, Carnets politiques de la guerre d’Algérie (1954-1962). Paris : Cana, 2002, p. 106.

[29] J. Lacouture, De Gaulle. T. III : Le Ssouverain : 1959-1970. Paris : Seuil, 1986, p. 75.

[30] J.-R. Tournoux, La tragédie du Général, op. cit., p. 345.

[31] Maurice Vaisse, La grandeur : politique étrangère du général De Gaulle, 1958-1969. Paris : Fayard, 1998, p. 72.

[32] Bernard Tricot raconte l’affaire, du côté français dans Les sentiers de la paix. Algérie 1958-1962 (Paris : Gallimard, 1972, p. 166-184).

[33] Voir l’instruction du 5 décembre 1960 in Charles De Gaulle, Lettres, notes et carnets : juin 1958 - décembre 1960. Paris : Plon, 1985, p. 418-420.

[34] Voir Rhéda Malek, L’Algérie à Évian : histoire des négociations secrètes, 1956-1962. Paris : Seuil, 1995.

[35] Voir A. Peyrefitte, C’était De Gaulle, op. cit., p. 92-99.

[36] C’est la première fois qu’il exprime en public ces vues « cartieristes » qu’il a déjà exprimées en privé à Peyrefitte en octobre 1959 : « Puisque nous ne pouvons pas leur [aux Algériens] offrir l’égalité, il vaut mieux leur donner la liberté ! Bye bye, vous nous coûtez trop cher [...]. L’Algérie française, ce serait le tonneau des Danaïdes », in A. Peyrefitte, C’était De Gaulle, op. cit., p. 69.

[37] Hervé Alphand, L’étonnement d’être : journal 1939-1973, Paris : Fayard, 1977, p. 365.

[38] É. Roussel, Charles de Gaulle, op. cit., p. 707.

[39] Michèle Cointet, De Gaulle et l’Algérie française, 1958-1962. Paris : Perrin, 1995, p. 242.

[40] R. Buron, Carnets politiques..., op. cit., p. 228-229.

[41] M. Connelly, A Diplomatic Revolution..., op. cit., p. 265.

[42] J.-R. Tournoux, La tragédie du Général, op. cit., p. 402.

[43] J. Lacouture, De Gaulle. T. III : Le souverain, op. cit., p. 51.

[44] C. De Gaulle, Mémoires d’espoir, op. cit., p. 918.

[45] J. Touchard. Le gaullisme1940-1969, op. cit., p. 192-193.

[46] É. Roussel, Charles de Gaulle, op. cit., p. 668.

[47] Guy Pervillé, Pour une histoire de la guerre d’Algérie, 1954-1962. Paris : Picard, 2002.

[48] Alfred Grosser, « La France en Occident et en Algérie ». In Jean-Pierre Rioux, La guerre d’Algérie et les Français. Paris : Fayard, 1990, p. 382-389 et particulièrement p. 387.


Citer cet article :
Julian Jackson, «  De Gaulle et l’Algérie : grand dessein ou adaptation empirique ?  », colloque Pour une histoire critique et citoyenne. Le cas de l’histoire franco-algérienne, 20-22 juin 2006, Lyon, ENS LSH, 2007, http://ens-web3.ens-lsh.fr/colloques/france-algerie/communication.php3?id_article=240